Dans l’actualité, et encore plus souvent sur Internet, on parle souvent de canular, de fake, d’hoax… Mais sais-tu que cette pratique est également utilisée en art et en politique ?
Aujourd’hui, je vais te parler d’un groupe d’activistes qui me tient beaucoup à coeur : les Yes Men, qui utilisent l’hoax comme un moyen médiatique et ludique de dénoncer.
Qui sont-ils ?
Les Yes Men sont composés de Mike Bonanno et Andy Bichlbaum (et quelques autres amis et complices).
Le premier a débuté son activité lorsqu’il était étudiant avec la Barbie Liberation Organization : il interchangeait les voix des poupées barbies et des figurines GI-Joe ; stupeur chez les familles américaines qui se retrouvaient avec un GI-Joe se demandant quelle robe il allait porter, et une Barbie qui, d’une voix rauque, criait vengeance. Un numéro « Service client et réclamations » était inclu dans les jouets, numéro qui en réalité, était celui d’un des grands médias du pays.
Andy Bichlbaum s’est fait connaître de manière tout aussi retentissante : programmeur de jeu vidéo, il reprogramme un jeu de baston : les hommes censés se battre se retrouvent en maillot de bain et s’embrassent. Un léger changement qui lui vaudra un licenciement… et une rencontre avec Mike Bonanno.
Dès lors, ils travailleront ensemble autour de la notion de « rectification d’identité », qui consiste à usurper l’identité d’une personne ou d’une firme, afin de mettre en lumière ses actions et discours les plus révoltants.
Pourquoi « Yes Men » ?
Il s’agit des « Hommes qui disent Oui », les « Benni-oui-oui » : leur concept est de dire oui aux discours des entreprises qu’ils visent : plutôt que d’annoncer le contraire, ils reprennent leurs idées et les poussent à l’extrême pour mettre en lumière leurs défauts.
Voyons maintenant quelles ont été leurs grandes actions.
En France, on a beaucoup entendu parlé de l’interview de Patrick Balkany, député UMP. A l’époque, un Yes Men se fait passer pour un journaliste de télé américaine, Balkany saute sur la demande d’interview et répond de façon délirante à des questions sur les pauvres et les SDF ("qui gagnent un peu moins d’argent", "nous n’avons pas de misère", "il y a quelques sans domicile fixe qui EUX ont choisi de vivre en marge de la société"). L’interview :
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Après ce fou rire (jaune), remonte sur ta chaise et concentrons-nous un petit peu pour découvrir leurs autres actions.
Lors de la première campagne de Bush, les Yes Men créent le site gwbush.com qui sera rapidement fermé, après que les Yes Men furent décris comme des "fouille-merdes" par le président lui-même.
En 2004, lors de la deuxième campagne, Andy et Mike se font passer pour un groupe de militants pro-Bush avec le slogan "Yes, Bush Can !". Ils parcourent les Etats-Unis en proposant aux citoyens de signer un "gage de patriotisme". Le contenu ? Se porter volontaire pour héberger un site de stockage de déchets nucléaires, pour envoyer ses propres enfants à la guerre, abandonner une partie de ses droits constitionnels… Bref, la plupart des choses reprochées à W. Bush ces dernières années.
C’est sûrement l’action la plus délirante entreprise par les Yes Men ! En 2000, ils achètent le nom de domaine gatt.org, l’ancien nom de l’OMC. Peu à peu, ils sont invités par des universités et des sociétés afin d’intervenir lors de conférences : Salzbourg, Paris…
Puis ils sont invités en Finlande, autour d’une conférence sur les textiles du futur, où Andy présente le futur costume des chefs d’entreprise. Le plus naturellement du monde, il arrache son costume et se retrouve devant l’assemblée en combinaison moulante et dorée… doté d’un phallus en plastique d’à peu près un mètre de long.
CLIQUE ICI POUR VOIR LE COSTUME
Des huées ? Que nenni. Andy explique que ce phallus est doté d’un écran de contrôle pour surveiller à distance les employés, et que les fibres du tissu permettent de ressentir ce que ressentent les employés. L’avantage ? On peut contrôler les esclaves à distance et les laisser dans leur pays d’origine, ce qui est moins coûteux pour l’entreprise.
Tonnerre d’applaudissement pour le prétendu représentant de l’OMC ; le plus dur sera de convaincre l’assemblée qu’il est un imposteur.
Ils réitèrent leur rectification d’identité au sein d’une université américaine où ils présenteront une nouvelle machine pour "recycler la nourriture" afin de nourrir le tiers monde (qui n’est ni plus ni moins qu’une manière de fabriquer de la nourriture avec… de la merde). Andy expliquera cette entreprise (en partenariat avec McDonalds’) et la création de pipelines important la matière première (les excréments) des pays riches vers les pays pauvres pendant un bon moment avant que les étudiants comprennent l’énormité de la chose et se mettent à siffler les faux représentants. Auparavant, des hamburgers soit-disant issus de ce procédé avaient bien évidement été distribués aux étudiants… et ingérés.
Et pour terminer, voyant que cette imposture ne pourrait pas durer éternellement, Andy et Mike mettent fin à leur période OMC avec un dernier canular : à Sidney, ils annoncent que l’OMC va disparaître pour laisser place à un organisme qui controlera mieux (et de manière plus humaine) la mondialisation. Une manière de pointer du doigt les lacunes de l’OMC. L’assistance, loin de se jeter par la fenêtre, approuvera cette décision et offrira même ses idées pour la nouvelle organisation censée voir le jour… Encore une fois, il aura fallu que l’OMC elle même démente l’information pour que la presse cesse de relayer l’info.
Bhopal et Dow Chemicals
Dow Chemicals est la société qui a inventé et distribué le napalm. Elle rachète l’entreprise Union Cartridge, propriétaire (entre autres) de l’usine chimique de Bhopal (en Inde) qui explosa en décembre 1984, faisant des milliers de morts.
Le 3 décembre 2002, date anniversaire des 18 ans de la catastrophe, les médias tombent sur un site internet diffusant un discours du patron de Dow, qui explique pourquoi il refuse de reconnaître ses torts concernant la catastrophe de Bhopal. Le communiqué fait le tour d’Internet, avant que Dow fasse fermer le faux site, qui avait été inventé de toutes pièces par les Yes Men.
Deux ans plus tard, un nouveau site est créé : il se fait passer pour une filiale humanitaire de Dow Chemicals. Andy, qui dit s’appeler Jude Finisterra (dont l’ethymologie signifie "fin de la terre"), est invité par la BBC qui voudrait connaître son avis sur la catastrophe de Bhopal, à l’occasion du 20ème anniversaire. Le faux porte-parole déclarera reconnaître sa responsabilité dans la catastrophe et annonce que 12 milliards de dollars seront débloqués pour dédommager les victimes.
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A Bhopal, la marche silencieuse commémorative vient de se terminer et la nouvelle se répand vite… tout comme la joie et le soulagement.
Dow Chemicals mettra deux heures à réagir et à démentir. Et Andy et Mike frappent une deuxième fois en publiant eux même un deuxième démenti, plus cinglant et encore plus hypocrite : « Dow ne dégagera AUCUN fonds… Dow n’a de responsabilités que devant ses actionnaires ».
Au départ, les réactions furent mitigées, et les familles des victimes se sont senties lésées par cette histoire, puis, très vite, et après des rencontres avec les Yes Men, les gens ont compris que cette intervention avait permis à cette affaire de refaire surface et d’être à nouveau discutée.
Autre conséquence : à l’annonce des faux dédommagements, l’action de Dow Chemicals a connu une chute fracassante. A présent, les Yes Men travaillent régulièrement avec les associations de victimes de Bhopal.
Les Yes Men ont continué leur travail autour de Dow Chemicals, avec en particulier une conférence (2005) où ils annonçaient la création d’un "calculateur de risques", qui permettrait aux entreprises de savoir si une catastrophe écologique ou humaine (causée par eux-même) risquait ou non d’affecter leurs profits. En résumé, ce calculateur permettrait alors de savoir jusqu’à combien de vies humaines ou d’eco-sytèmes on pourrait sacrifier pour que les profits de l’entreprise croissent. Pour ce projet, Andy va même jusqu’à présenter un faux squelette peint à la peinture dorée comme étant la nouvelle mascotte de Dow Chemicals !
CLIQUE POUR VOIR LA FAUSSE MASCOTTE
Résultat ? Approbation des entreprises présentes. Certains viennent même se renseigner pour obtenir la licence de ce calculateur.
L’explication et les images sont présentées ici : Dow Ethics (en anglais).
D’autres actions seront mises en place, contre ExxonMobil ou Halliburton, ou encore une série de fausses interviews concernant le pacte écologique de Nicolas Hulot, où Andy fait des propositions délirantes pour lutter contre le réchauffement climatique, qui ne semblent pas choquer les députés interrogés.
La plupart du temps, les Yes Men ne sont pas poursuivis en justice. Ils réussissent à créer des situations au ridicule tellement flagrant (cf. Les projections Power Point qui accompagnent leurs conférences) que les entreprises préfèrent voir ces histoires tomber dans l’oubli plutôt que d’en rajouter.
Voilà pour le tour d’horizon de ce groupe d’activistes qui a à la fois inspiré le domaine politique, mais également le domaine artistique, puisque bon nombre d’artistes utilisent également l’hoax et citent très souvent les Yes Men comme source d’inspiration.
Pour aller plus loin
- La revue Multitudes propose un très bon article sur les Yes Men, consultable ici.
- Un livre, Les Yes Men : Comment démasquer (en s’amusant un peu) l’imposture néolibérale ! de Mike Bonanno et Andy Bichlbaum (Editions La Découverte). Sorti en 2005, il est vraiment très bien conçu, il reprend des photos des conférences, les discours entiers, les schémas, les réactions…
- Un film, The Yes Men
Alors, les Yes Men ? Yes or no ? Est-ce que cette manière d’agir te paraît intéressante et/ou efficace ? Connais-tu d’autres groupes qui agissent de la même manière ou d’autres événements de ce type qui t’ont marquée ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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