- Prénom : Sasha
- Âge : 21 ans
- Occupation : Étudiante
- Lieu de vie : Grande ville
Comment décririez-vous votre rapport au féminisme ?
Nourrissant, enrichissant, primordial, sain.
Je vois le féminisme comme une grille de lecture puissante qui fait réfléchir et nous permet, en tant que femmes, de mener une introspection précieuse.
À quand remonte votre déclic féministe ?
Cela s’est fait en plusieurs étapes, à deux âges différents. J’ai d’abord entendu parler du féminisme quand j’avais douze ans, via ma grande sœur. La première base d’éducation féministe que j’ai reçue, c’était par elle.
Puis ma véritable prise de conscience est arrivée l’année de mes 20 ans, après une séparation compliquée. Le fait de me séparer m’a permis de réaliser tout ce qui n’allait pas d’un point de vue féministe dans ma relation.
Le sexisme était à la source de nos principales disputes. Mon ex me disait « ne bois pas, tu ne sais pas boire », « Ne mets pas ça, ne dis pas ça, c’est pas joli dans la bouche d’une fille les gros mots… ».
Je qualifierais mon éveil féministe par de la colère : j’ai réalisé à quel point j’étais en colère contre la société patriarcale après ma séparation. Puis cette colère s’est transformée en tristesse de vivre dans une société si nulle.
La dernière étape de mon déclic est celle où je me trouve maintenant : j’ai pris du recul sur la situation et j’ai plus de tolérance vis-à-vis des personnes qui n’ont pas encore eu leur éveil. Je pense que tout le monde en est capable, mais que tout le monde n’en a malheureusement pas la volonté. Après tout, c’est plus confortable de camper sur ses positions.
Un autre facteur qui a joué dans mon éveil, c’est de discuter avec mes copines. On avait chacune nos problématiques, nos vécus, nos expériences de discrimination… On s’est éveillées toutes ensemble.
Mon déclic s’est aussi fait à l’université. J’ai fait mes études au Canada. En dernière année, j’ai choisi un cours en théories du féminisme. J’y ai appris le concept de misogynie intériorisée, et j’ai réalisé que j’en faisais. Que des gens très proches de moi en faisaient…
Dans le cadre de ce cours, nous avions un projet de groupe à rendre. Le mien consistait à créer un safe space sur le campus. Pendant plusieurs mois, nous avons travaillé sur la question du consentement, du sexe, des pressions qui peuvent exister dans ces domaines. Nous avons mené un sondage de grande ampleur parmi les étudiant•e•s et j’ai pris conscience, en collectant les réponses, à quel point rien n’allait dans ma relation, qui était profondément sexiste.
J’ai aussi appris qu’autour de moi, énormément de personnes avaient été victimes de violences sexistes et sexuelles. Ça a été un véritable électrochoc.
Comment le féminisme infuse-t-il votre vie aujourd’hui ?
Dans mon groupe d’amis du lycée, il y a une majorité de garçons. Quand on était encore à l’école, je ne me posais pas la question, ça me plaisait même bien d’être la bonne copine que l’on considère comme l’un des mecs. Il y avait une espèce de fétichisme des hommes à cette époque, on trouvait ça « stylé » d’avoir une bande de garçons. Aujourd’hui, c’est pesant.
Je ressens vraiment la différence de traitement et de vécus. Mes copains disent souvent qu’ils comprennent ce que c’est d’être une femme, mais ils comprennent uniquement ce que c’est d’être une femme du point de vue d’un homme.
J’ai l’impression d’être la chieuse de service à les reprendre quand ils font des blagues sexistes. Je laissais passer beaucoup de choses avant cette prise de conscience, certaines remarques me dérangeaient moins.
Socialement, mon éveil féministe m’a fait réévaluer mes relations, constater que certaines personnes étaient matrixées par le patriarcat.
Ce qui m’énerve le plus, c’est quand je vois des femmes faire preuve de misogynie. Je trouve ça hallucinant de créer de la division au sein de son propre genre alors qu’on devrait être soudées.
Dans ma famille, j’excuse plus facilement la misogynie intériorisée de mes parents, car je me dis que c’était une autre époque. J’ai l’impression que quand on en parle, ils comprennent mon point de vue.
Je comprends qu’on n’aille pas tous au même rythme sur ces questions. On ne peut pas en vouloir à certaines personnes d’avoir un éveil moins complet que d’autres. Mais, je trouve cela dommage d’être fermé à la discussion.
Politiquement, j’ai regardé les programmes des candidats pour la première fois lors des présidentielles et depuis, je vérifie à chaque élection ce qui est fait pour les femmes, les jeunes et les minorités.
Je vais à des manifestations, j’écoute des podcasts, je suis des comptes Instagram féministes à propos de la sexualité féminine… Je pensais, par exemple, que ce n’était pas normal de se masturber. J’ai découvert que si. Ces comptes sont une super source d’information, qui permet aussi de créer du lien avec d’autres personnes qui ont des expériences de vie similaires.
Enfin, je poursuis mon éducation féministe à travers mes recherches : je rentre en Master en septembre, et mon sujet de mémoire porte sur la misogynie au sein de l’industrie musicale.
Avez-vous laissé de côté certaines habitudes, défait certaines croyances, ou posé de nouvelles limites ?
Oui, notamment dans mes relations amicales et sentimentales.
Quand il s’agit de mes partenaires, mes critères ont évolué. J’ai l’impression de mieux repérer les signaux qui m’empêchent de me projeter. Par exemple, on m’a déjà demandé si je m’épilais… Si je sens que la personne a été élevée à la pornographie mainstream, c’est un no go. Aujourd’hui, ça me paraît impossible de sortir avec quelqu’un qui n’est pas déconstruit.
Du côté de mes amitiés, j’ai pris mes distances avec certaines personnes qui ne partageaient plus les mêmes valeurs.
- Le podcast « Le Cœur sur la Table » animé par Victoire Tuaillon.
- Le livre Jouissance Club : Une cartographie du plaisir de Jüne Plã.
- L’association MEWEM France contre le sexisme dans la musique
Comment vos proches ont-ils accueilli ce déclic ?
Ma famille l’a bien pris. On est relativement sur la même longueur d’onde. Mon père trouve ma sœur bien plus « radicale » que moi.
Mes amis, c’est 50/50. Certains ne comprennent pas. On s’aime toujours autant, mais ça creuse un écart entre nous. Je pense que mon éveil est reçu inconsciemment comme quelque chose qui nous éloigne. Ils me trouvent moralisatrice. J’ai l’impression parfois que mes amis garçons ne me comprennent pas et qu’ils ne pourront jamais me comprendre, car ce ne sont pas des femmes.
Avec d’autres, cela a débloqué des discussions, amené des débats intéressants.
Mon féminisme est parfois source de friction autour de moi. Ce ne sont pas de grosses embrouilles, seulement des déceptions que j’ai vis-à-vis de mon entourage. Je suis consciente que ces frictions, au fond, viennent de moi.
Avec mon ex, en revanche, nous avions de grosses disputes sur le féminisme. Il répétait : « Je suis pour l’égalité homme-femme dans une économie tertiarisée » tout en martelant que certains métiers sont réservés aux hommes. Pour lui, le féminisme est synonyme d’insulte.
Avez-vous l’impression d’être arrivée au bout de votre éveil féministe ?
Non ! Je pense qu’on n’arrête jamais d’être en évolution. Je vais sûrement être confrontée à des situations que je n’avais pas anticipées. Je ne sais pas si je me reprendrai une aussi grosse claque que lors de mon déclic, mais je pense avoir encore plein de choses à apprendre.
Par exemple, sur le sexisme dans l’univers professionnel : je sais ce que c’est dans la théorie, mais je n’en ai jamais fait l’expérience puisque je suis encore en études.
Il y a aussi des sujets que j’aimerais creuser, comme les divisions au sein du mouvement ou le traitement médiatique du féminisme.
Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !
Vous aimez nos articles ? Vous adorerez nos newsletters ! Abonnez-vous gratuitement sur cette page.
Les Commentaires