Pourquoi les comptes de campagne ont-ils été rejetés ?
Le financement d’une campagne électorale doit respecter un certain nombre de règles, ce qui s’entend dès lors qu’une partie de ce financement provient de subventions publiques. En clair, le parti avance l’argent, et sous réserve que les comptes de campagnes soient validés, une partie des dépenses lui seront remboursées par l’État.
Le principe du financement public garantit à tous les partis les moyens de faire campagne, même si tous n’ont pas autant de fonds : il faut par exemple rassembler 5% des suffrages à l’élection présidentielle pour bénéficier des subventions publiques (pour éviter que n’importe qui puisse faire campagne, au motif que « c’est l’État qui paie », notamment).
Les règles de financement à respecter sont assez simple et sont consultables sur Vie Publique. En résumé :
- tenir des comptes de campagnes rigoureux (ce à quoi doit se conformer toute entité gérant de l’argent public, c’est la base)
- respecter le plafonnement des dépenses (fixé par décret)
- respecter la limitation des dons privés et l’interdiction des dons et avantages aux natures des entreprises privées.
À la fin des élections, les comptes de campagnes sont déposés auprès de la CNCCFP : la Commission Nationale des Comptes de Campagne et des Financements Politiques.
En l’occurrence, cette commission a rejeté les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, candidat de l’UMP.
Nicolas Sarkozy, qui conteste cette décision, a donc présenté un recours devant le Conseil Constitutionnel. En effet, le Conseil Constitutionnel est le juge des élections. À chaque élection, lorsque des irrégularités sont constatées et portées à sa connaissance, il peut décider de l’annulation d’un ou plusieurs bureaux de vote, voire de l’élection tout entière s’il juge que les irrégularités ont compromis le résultat.
Ici, c’est la Commission qui valide ou rejette les comptes de campagne, mais on peut contester cette décision devant le Conseil Constitutionnel.
Donc quand Nadine Morano regrette sur iTélé « une décision politique », puisque le Conseil Constitutionnel n’est pas une juridiction, que c’est quand même étrange qu’il n’y ait pas de possibilité de recours sur cette décision : elle fait preuve d’ignorance ou de mauvaise foi.
Les conséquences de la décision du Conseil Constitutionnel
La CNCCFP a rejeté les comptes de Nicolas Sarkozy car elle a constaté un dépassement du plafond de dépenses. En conséquences, les dépenses ne seront pas remboursées par l’État et le parti doit restituer les 153 000€ d’avance forfaitaire qui lui avaient été versés au moment de la campagne présidentielle.
Nicolas Sarkozy doit rembourser personnellement 363 615 €, ce qui correspond au dépassement du plafond de dépenses.
« Comment ça je dois rembourser 360 000€ ? Vous plaisantez les gars ?! »
Le Conseil Constitutionnel a donc examiné le recours déposé par l’ancien Président de la République ; ses avocats ont été entendus (vous pouvez lire le communiqué de presse qui détaille la procédure ici) et sa décision est la suivante :
- la CNCCFP a sous-estimé le dépassement : le Conseil Constitutionnel arrête à 1 669 930 € le montant total des dépenses qui ne figuraient pas dans le compte de campagne.
- Une réunion publique (à Toulon) avait été financée par l’État (lorsque N. Sarkozy était Président) et n’avait pas été refacturée à l’UMP : son financement est illégal.
- Le Conseil conclut que le dépassement total s’élève à 466 118 €, « soit 2,1% du plafond autorisé ».
Le Conseil maintient la somme à rembourser personnellement par Nicolas Sarkozy à 363 615 € (somme à restituer au Trésor Public).
Un manque à gagner pour l’UMP
Depuis ce matin, les ténors de l’UMP se succèdent pour dénoncer cette décision. Il est vrai que le parti comptait sur le remboursement de ses dépenses de campagne. À ce titre, il doit désormais trouver une autre source de financement pour équilibrer ses comptes.
Gueule de bois à la tête du parti
Nicolas Sarkozy a annoncé sa démission du Conseil Constitutionnel. En fait il est membre de droit à vie, comme tous les anciens Présidents de la République, donc c’est pas vraiment possible de démissionner.
Il publiait ce matin un message sur sa page officielle :
Toutes proportions gardées…
11 millions d’euros, c’est une somme. Qu’un parti se retrouve en risque de faillite, ce n’est pas une bonne chose pour le multipartisme et la démocratie. Mais avant d’en appeler au sauvetage de la démocratie, il ne faudrait pas oublier le contexte.
Si l’UMP se retrouve privée du financement public, c’est avant tout parce qu’elle n’a pas respecté les règles de financement qui garantissent justement l’égalité dans la course électorale.
La décision du Conseil Constitutionnel n’est pas une surprise. Pendant la campagne, des voix s’étaient élevées pour dénoncer la confusion des rôles candidat/Président, et le risque que cela présentait en termes de financement électoral. En clair : l’UMP, vous aviez été prévenus.
Certes, en son temps, les comptes de campagne présentés par Edouard Balladur avaient aussi quelques imperfections. On se souvient notamment d’un million en liquide suspect, que le candidat avait expliqué comme étant « les recettes de la vente de t-shirts de campagne ».
« Laissez-moi en dehors de cette histoire, je n’ai rien à voir là-dedans ! »
Alors ce qui étonne aujourd’hui, c’est tout simplement que
les règles soient appliquées. La règle n’a pas été respectée, la sanction prévue a été prononcée. Est-ce à ce point étonnant ? La réaction de surprise de certains politiques en dit long sur le respect qu’ils portent aux règles démocratiques.
- À lire sur Le Monde : quelques contre-vérités sur le rejet des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy.
Le prix du sexisme
On ne va pas se réjouir des déboires du « premier parti d’opposition » (sic) de France. Mais puisqu’on déballe les comptes, il serait opportun de rappeler un chiffre important.
La loi du 6 juin 2000 tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives dispose :
« Sur chacune des listes, l’écart entre le nombre des candidats de chaque sexe ne peut être supérieur à un. Chaque liste est composée alternativement d’un candidat de chaque sexe. »
On ne peut pas faire plus clair : quand on présente une liste, un candidat sur deux doit être une femme, sous peine de sanctions financières.
L’UMP assume régulièrement le fait de présenter des listes non paritaires, et préfère payer les amendes (lesquelles vont être augmentées avec l’adoption du projet de loi en faveur de l’égalité).
Le non-respect de la parité coûte beaucoup plus cher à l’UMP que l’annulation des comptes de campagne de Nicolas Sarkozy. De 2007 à 2012, le financement de campagne de l’UMP a chuté de 34 à 23 millions ; rien qu’aux élections législatives de 2012, l’UMP perds un tiers de son financement, soit 4 millions d’euros, car les listes présentées ne comportaient que 25% de femmes (source Le Monde).
Sur son site, le Mouvement des Jeunes Socialistes estime le coût du non-respect de la parité aux élections à 20 millions d’euros pour l’UMP sur 5 ans.
Ce qui est certain c’est que le non-respect de la parité coûte très cher à l’UMP. Avant de lancer une grande campagne de souscription nationale pour renflouer ses caisses, le parti pourrait commencer par se conformer à la législation en vigueur.
Au lieu de siffler les femmes à l’Assemblée, vous feriez mieux d’en faire entrer dans vos rangs, les mecs. J’dis ça, j’dis rien.
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Les Commentaires
Mais bon, il se trouve que c'est la loi, et à partir du moment où c'est la loi, tout le monde doit s'y soumettre, non ? Du coup un parti qui préfère dépenser de l'argent en amende et qui vient pleurer après, alors qu'il suffirait de présenter plus de femmes sur leurs listes (c'est pas si compliqué que ça, si ?), je trouve ça désolant et oui, je trouve que ça indique qu'ils accordent plus d'importance à l'argent parce qu'ils savent qu'ils en auront toujours, qu'aux femmes. C'est tout