En novembre 2008, j’avais 13 ans. Dans la cuisine de mes parents était accrochée une carte du monde, sur laquelle on pouvait coller de petits bateaux… et surtout, les faire avancer.
Ces petits bateaux, c’étaient ceux du Vendée Globe : une course à la voile qui a lieu tous les quatre ans et réunit les meilleurs skippers du monde.
Parmi les concurrent•es, l’une retient particulièrement mon attention : c’est Samantha Davies, sur le bateau Roxy. Dès le départ, c’est ma pref, et d’ailleurs le poster d’elle est toujours accroché dans ma chambre d’enfant.
En même temps, en termes de mixité, on se situe à un ratio de 2 femmes sur 30 participant•es, alors pour moi l’identification est vite faite. Et elle arrive 4ème !
Lors de l’édition suivante, en 2012, elle est contrainte d’abandonner la course en cours, alors mon attention se reporte sur Tanguy de Lamotte et son bateau Initiatives Coeur, qui arrivent 10ème.
Ses sponsors s’engagent à faire des dons à l’association Mécénat Chirurgie Cardiaque, pour financer les opérations d’enfants atteints de malformation cardiaque. Pour moi, ça le différencie clairement des autres concurrents !
Quelques années plus tard, me voilà dans une pièce, face à Samantha Davies et Tanguy de Lamotte, associés pour le projet Initiative Coeur, quelques semaines avant leur départ en duo pour la transat Jacques Vabre. Quelle vie !
Je vous dis pas comme la moi de 13 ans jubile
La mer dans le sang pour les deux skippers du Vendée Globe
C’est l’occasion rêvée pour moi d’en apprendre davantage sur eux, sur ce qui leur a donné le goût de la voile. Selon Samantha, « c’est dans ses gènes .
« Je viens d’une famille de marins : j’ai un grand-père paternel qui était commandant d’un sous-marin à 26 ans. Mon grand père maternel pilotait des bateaux de course à moteur et avait aussi un chantier naval. »
La mer est omniprésente pour Samantha, à tel point que ses parents lui apprennent à nager en même temps qu’elle apprend à marcher.
Tanguy, lui, prend l’habitude dès sa naissance de faire du bateau tous les étés.
Mais surtout, de base, ils sont tous les deux sportifs : avant de se passionner pour la voile vers 16 ans, Samantha fait de la natation synchronisée à haut niveau, et Tanguy du judo.
Puis la jeune femme part faire des études d’ingénieure à Cambridge. Au même moment, c’est à dire en 1997-1998, Tanguy s’oriente vers l’architecture navale, à South Hampton.
C’est à cette période, lors de rassemblements de voile au Royaume-Uni, que Tanguy et Samantha se croisent pour les premières fois.
Comment percer dans le milieu de la voile ?
Finalement, une fois diplômé•es, c’est leur passion pour la voile qui va l’emporter sur le reste. Tanguy se souvient :
« J’ai construit mon premier bateau, puis on se croisait sur un circuit avec Sam où on naviguait l’un contre l’autre, c’était des mini-transat. Après on a fait chacun nos trucs mais on se connaît depuis longtemps ! »
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Petit bond dans le temps — nous voilà en 2015.
Tanguy et Sam ont chacun•e plusieurs grandes courses à leur actif, entre la Route du Rhum, le Vendée Globe… Et Samantha a l’occasion de concourir au sein d’un équipage 100% féminin en 2015 sur la Volvo Ocean Race.
« L’organisation avait choisi un nouveau type de bateau pour la course en gardant en tête que les femmes ont moins de force physique pour le gérer. Ils avaient un peu changé les règles : sur l’équipage 100% féminin on pouvait être 11 à bord plutôt que 8 pour les garçons.
Ça fait à peu près pareil en force physique au poids de muscle en fait. Ça a ouvert le jeu pour qu’une équipe féminine puisse être performante sur cette course, car à 8 on aurait pu finir le tour du monde mais pas être compétitives. »
Le truc, c’est que sur une course comme ça, l’expérience compte beaucoup. Or, la Volvo Ocean Race a la réputation d’être si dure que durant les 12 années précédentes, seule une femme y avait participé !
Dans l’équipage de Samantha, elles sont donc toutes ou presque novices sur cette course. Malgré ce handicap, elle en parle avec le sourire :
« J’ai gardé un super souvenir de tout ce qu’on a appris ensemble, et surtout de l’étape qu’on a gagnée à Lorient parce qu’on a apporté la preuve que c’était possible et que la réglementation était bien faite. »
S’imposer en tant que femme sur les circuits de la voile est un vrai défi
Ça me donne l’occasion de parler un peu de la présence des femmes dans ce milieu très masculin. Sam me livre son analyse :
« C’est difficile, il y a des barrières « classiques », mais si on a envie de le faire, il n’y a plus de barrières dans la tête. Pour moi c’est habituel d’être sur un bateau depuis que je suis petite, alors je ne me suis pas posé la question. »
Ça ne veut pas dire que c’est simple pour autant… Outre l’exemple de la force physique et de l’expérience comme sur la Volvo Ocean Race, demeure le sujet parfois épineux du sponsor :
« Pour démarcher un sponsor, il y a plusieurs facteurs, mais souvent ils veulent quelqu’un qui est déjà bien placé dans les résultats, qui a un bon CV… »
En revanche, une fois qu’on a percé ce plafond de verre, Samantha estime que son genre peut devenir un avantage.
« On est assurées d’avoir des retours des médias parce qu’il y a une histoire à raconter, on est « la femme de la course » en quelques sortes… »
Cependant, les femmes skipper restent une minorité. Pour que leur nombre augmente, il leur faut donc des modèles, une nécessité qui a frappé Samantha et ses co-équipières :
« On a créé un petit regroupement qui s’appelle le Magenta Project, un lieu central pour raconter ce que font les femmes dans la voile, encourager les jeunes, faire une fenêtre, créer des rôles modèles, des opportunités.
Il s’agit de faire savoir qu’il y a des femmes qui arrivent à faire ça à haut niveau ! »
Clique pour découvrir le Magenta Project !
Deux concurrents devenus co-équipiers
Et pendant que Sam a la tête à fond dans la Volvo, en 2015, Tanguy cherche à préparer la transat Jacques Vabre, une course en duo à la traversée de l’Atlantique.
« Je voulais faire la dernière Jacques Vabre avant le Vendée Globe avec quelqu’un qui avait déjà préparé le Vendée Globe pour qu’on soit sur la même longueur d’onde.
Donc j’ai regardé un petit peu à droite à gauche et j’ai pensé à Sam parce que ça me paraissait être une bonne co-skipper, comme on dit.
J’avais en tête que le Vendée Globe 2016 serait peut-être mon dernier, donc je me disais que ça serait pas mal que ce soit elle qui reprenne le projet Initiative Coeur avec Mécénat Chirurgie Cardiaque, qui me tient vraiment à coeur.
C’était une petite idée dans le fond de ma tête, j’en avais un peu parlé aux partenaires… c’était donc intéressant que Sam rencontre les sponsors et vice versa. »
Alors une fois que Sam a eu la tête sortie de la Volvo Ocean Race, elle s’est embarquée dans ce projet avec Tanguy… qui après le Vendée Globe 2016 a décidé de raccrocher.
C’est décidé, il part l’année prochaine s’installer aux États-Unis avec sa famille, et laisse Initiative Coeur entre les mains de Sam !
La transat Jacques Vabre 2017, une navigation en duo
D’ici là, il reste une course, et c’est celle pour laquelle s’entraîne actuellement le duo : la Transat Jacques Vabre 2017 ! Et alors, ça fait quoi de travailler en double plutôt qu’en solitaire ?
« En fait, en double on est souvent chacun son tour en solitaire, m’explique Tanguy.
Quand on doit faire des trucs à deux, on les faits à deux, on mène le bateau plus proche de son potentiel maximum, mais ce qui compte le plus c’est d’être capable d’être deux bons solitaires qui se respectent mutuellement et qui se font confiance sans essayer de s’impressionner. »
Et Samantha de compléter :
« C’est assez choquant quand on se retrouve tout seul sur le bateau pour la première fois. Je croyais que « Oh, ça va être pareil une fois seule », et en fait je passe ton temps à regarder autour : « Mais il est où ? J’ai juste besoin de me rassurer, qu’on me confirme que j’ai fait le bon choix ! ».
En fait en double, on fait un back up, on se rend même pas compte de l’importance d’avoir l’autre jusqu’à ce qu’il ne soit plus là. »
En somme, c’est une discipline où il faut être complémentaires. Samantha m’explique par exemple qu’elle a beaucoup appris du talent de designer et de bricoleur de Tanguy, qui a une formation en architecture navale.
– Par exemple on a eu un problème qui pour moi était tellement grave qu’on allait limite pas finir la course. Et Tanguy était un peu stressé mais pas du tout inquiet, et on a pu finir à fond !
– À l’inverse s’il y a eu une panne informatique c’est Sam qui met le nez dedans, parce qu’elle est ingénieure, elle s’y connaît mieux que moi. Chacun augmente le potentiel du duo !
Initiatives Coeur, un projet solidaire
C’est donc leur dernière course en duo, comme une manière d’acter la passation du projet Initiatives Coeur de Tanguy à Samantha.
« On a trois sponsors, Initiatives, K-line et Vinci qui paient pour le bateau, l’équipe technique de 7-8 personnes qui nous assiste, et qui sont donc aussi mécènes de l’asso Mécénat Chirurgie Cardiaque !
Nous, ça change notre vie de marin. Ne pas promouvoir des fenêtres ou des chocolats mais quelque chose de positif pour venir en aide à des enfants, ça donne du sens. »
Le bateau sur lequel Samantha et Tanguy rallieront Le Havre et Salvador de Bahia, au Brésil !
L’idée du partenariat, c’est qu’à chaque like supplémentaire sur la page Initiative Coeur, 1€ est reversé à l’association – en sachant qu’il faut une moyenne de 15 000€ pour prendre en charge un enfant.
Depuis le début du partenariat, 127 enfants ont ainsi pu être opérés grâce à l’argent récolté durant les courses de voile. Tanguy poursuit :
– Nous on a la chance de réaliser nos rêves, de naviguer avec des gens qu’on choisit, une équipe qu’on choisit… Ces enfants-là, ils ont pas choisi d’avoir une maladie cardiaque. Leur permettre de pouvoir avoir des projets, une vie, en partageant des moments forts avec eux, c’est important pour nous.
– D’autant que ça permet de donner un sens un peu moins « égoïste » à notre carrière sportive : on sait pourquoi on est là !
Pour filer un coup de main, donc, rendez-vous à partir du 5 novembre, départ de la transat, pour liker la page Initiatives Coeur !
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