Sortie en 2002, L’Auberge espagnole a bercé toute une génération en racontant les pérégrinations de Xavier, aspirant écrivain incarné par Romain Duris, qui partait vivre à Barcelone grâce à un programme Erasmus. Il intégrait une joyeuse et bordélique colocation mixte de vingtenaires, venus des quatre coins de l’Europe.
Ce succès public a été suivi en 2005 des Poupées russes, centrée sur l’histoire d’amour entre Xavier et son ancienne coloc Wendy (Kelly Reilly), puis de Casse-tête chinois en 2013, dans lequel le couple quarantenaire se séparait.
Une décennie plus tard, Cédric Klapisch a eu envie de reprendre des nouvelles de Xavier et sa tribu. Dans Salade grecque, le réalisateur nous embarque cette fois à Athènes, où Mia (Megan Northam) et Tom (Aliocha Schneider), les enfants bilingues (comme il se doit !) de Xavier et Wendy doivent toucher un héritage immobilier. Sur place, Tom, qui espérait empocher rapidement un gros chèque pour lancer sa start-up, découvre que sa sœur travaille dans une association qui aide des réfugiés. Le temps de régler ses soucis, il intègre une colocation aux airs de tour de Babel…
L’Auberge espagnole dépeignait avec justesse les expériences de l’expatriation et de la colocation ; mais certaines choses ont bien mal vieilli dans cette trilogie portée par une perspective masculine. Par exemple, le personnage lesbien d’Isabelle (qui révéla Cécile de France), révolutionnaire pour l’époque, est constamment objectifié, et Xavier se révèle assez insupportable dans sa vision fétichisante des femmes. Pour Salade grecque, Cédric Klapisch a donc eu une bonne idée : ne plus centrer son récit sur un unique protagoniste masculin.
Crise du logement et violences sexuelles
C’est en basculant dans le monde de sa sœur, Mia, que Tom ouvre les yeux sur ses privilèges et les inégalités de la société. Passés les deux premiers épisodes d’exposition, Salade grecque trouve son rythme et explore des thématiques fortes qui résonnent avec l’actualité, comme la crise du logement en Europe, le squat en tant que moyen de riposte anticapitaliste (à l’heure où la France fait passer une loi anti-squat), ou les violences sexistes et sexuelles dans les milieux d’extrême-gauche.
Un arc narratif courant sur toute la saison dissèque la relation entre Mia et Kristos, leader associatif toxique. La série prend le temps de développer son propos, de montrer à quel point il est dur pour Mia de se libérer de cette emprise, d’aller porter plainte pour viol, de se reconstruire… Plus tard, une discussion un peu pédagogique mais importante a lieu avec son père, qui écoute et soutient sa fille.
Signe des temps : si Salade grecque lorgne du côté de la comédie et garde ce côté tendre inhérent à la saga, elle se révèle résolument plus engagée que la trilogie initiale. Elle met en scène des personnages secondaires minorisés comme on en voit presque jamais sur les écrans : Reem (Reham Alkassar), une réfugiée syrienne qui ne laisse pas Tom (bien atteint du syndrome du sauveur blanc !) indifférent, ou Noam, un homme trans et racisé venu du Burundi qui va se lier avec Mia.
Incarné par le prometteur acteur trans Amir Baylly, ce personnage solaire fait du bien à la fiction française. Mais il y a un mais… Alors que Noam et Mia filent le parfait amour, ce dernier ATTENTION SPOILERS, meurt accidentellement. Dans un paysage culturel où les personnages LGBTQI+ en général, et transgenres en particulier, sont rarissimes, ce choix malheureux possède forcément une résonance politique. Cette mort brutale sonne comme une punition divine alors que le couple venait de passer un week-end ressourçant sur l’île de Milos, avec des amis queer.
Rejouant le trope “Bury your gays” , Salade grecque nous dit que les personnages trans (et racisés) sont sacrifiables. Sa mort sert de carburant au personnage de Mia, qui traverse une épreuve de plus, dont elle n’avait franchement pas besoin. L’épisode des funérailles se révèle assez violent, avec un père intolérant qui mégenre son fils décédé, mais il a le mérite de mettre en avant le concept de famille choisie.
Une série humaniste
Salade grecque s’inscrit dans la continuité de l’Auberge espagnole, pour le meilleur et pour le pire ! On sent une tension générationnelle intéressante qui donne une œuvre à l’esprit tantôt progressiste, tantôt… boomer. Par exemple, dans une scène franchement inutile, Mia et sa famille discutent des écarts d’âge dans le couple (dans le sens homme âgé et femme plus jeune), ce qui donne lieu à des répliques du genre : “Le désir, c’est pas politiquement correct”. Impossible de ne pas sentir là le point de vue de Cédric Klapisch sur le sujet.
En dépit de ces bémols, Salade grecque reste une œuvre généreuse. A la fois populaire et engagée, elle perpétue la tradition de multiculturalisme de la saga, certes tendance universaliste. On est tout de même sensible à la volonté de Cédric Klapisch de faire dialoguer les générations (certains vétérans de la trilogie passent une tête, pour notre plus grand plaisir) et à cette invitation à se retrouver dans la figure de l’Autre, à dépasser ses préjugés et à s’interroger sur nos priorités de vie. Une saison 2 ne serait pas de refus.
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
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