Le phénomène optique des mirages procède de la déviation de faisceaux lumineux par des superpositions de couches d’air de chaleurs différentes, dans une atmosphère où la température, la pression et l’humidité ne varient pas verticalement selon la normale. On peut donc se retrouver en plein désert et avoir l’impression de voir surgir de nulle part une oasis… ou un défilé de mode. Or là, ce n’était pas un mirage, mais le dernier spectacle d’une grande marque de mode.
Le 15 juillet 2022, la maison Saint Laurent dirigée artistiquement par Anthony Vaccarello (depuis avril 2016) a présenté sa nouvelle collection homme printemps-été 2023. Soit en dehors de la semaine de la mode masculine prévue à cet effet. Et pour cause : elle défilait à Agafay, un désert situé à une trentaine de kilomètres de Marrakech. C’est donc en marge de la ville rouge, sur les hauteurs du massif du Haut-Atlas au Maroc, que déambulaient des silhouettes longilignes et androgynes.
Le défilé Saint Laurent homme printemps-été 2023 dans le désert d’Agafay
Au milieu des dunes de sables beiges, régnait aussi une œuvre de l’artiste Es Devlin, en forme d’immense anneau lumineux sur l’eau. Une scénographie voulue par Anthony Vaccarello, lui-même inspiré par un passage du roman Un thé au Sahara (1949) de l’auteur états-unien Paul Bowles (1910-1999) : « Combien de fois regardez-vous encore la pleine lune se lever ? Peut-être vingt fois. Et pourtant, tout cela semble sans limite ».
Cette installation monumentale pouvait autant évoquer un mirage d’oasis minimaliste qu’une lune crépusculaire (ou une parodie de la série Stargate SG-1). De quoi servir de toile de fond évanescente aux trenchs liquides, capes en velours aérien, larges pantalons fluides taille haute, et nombreuses blouses lavallières vaporeuses. Et bien sûr, de nombreux smokings grain de poudre, signature stylistique de la maison.
Derrière le mirage d’un défilé-spectacle, du greenwashing ?
Si l’on peut trouver cette collection sublime, et se réjouir qu’Anthony Vaccarello ait évité l’écueil d’une collection hommage au Maroc premier degré, on peut aussi s’interroger sur son empreinte écologique. Certains médias saluent les efforts réalisés par la maison pour compenser son empreinte carbone. À l’instar du Vanity Fair France qui écrit :
« En défilant hors du calendrier officiel, et ne pouvant donc pas profiter de la presse, des influenceurs et des acheteurs présents à la Fashion week de Paris, il est primordial pour elle de marquer les esprits -ce que ce show pas comme les autre [sic] a indéniablement réussi. Mais à une époque où la conscience environnementale est chaque saison plus affutée, Saint Laurent a déployé un important dispositif visant à limiter au maximum l’empreinte de l’événement, à commencer par la consultation d’experts locaux de la flore et de la faune, surtout les reptiles et les oiseaux. Le long des pistes parcourues pour emmener les invités sur le lieux [sic] du défilé, des systèmes de tuyaux spécifiques ont été mis en place pour permettre aux animaux, particulièrement ceux de milieux humides, de s’abriter. L’eau utilisée, non potable, servira ensuite à des projets d’irrigations dans le désert d’Agafay »
Or, c’est feindre d’ignorer que tout ce beau monde invité, comme Catherine Deneuve, Béatrice Dalle, l’acteur d’Euphoria Dominic Fike, ou encore le membre du boys band sud-coréen GOT7 Mark Tuan, n’était sûrement pas de passage par hasard à Marrakech pile le jour du défilé. Ils ont sûrement été affrétés par la maison pour assister à ce spectacle de 10 minutes top chrono (c’est le temps moyen d’un défilé, et ce que confirme la vidéo in extenso de l’événement, qui dure 9:47 minutes…). De même pour la cabine de mannequins et le staff de Saint Laurent pour maquiller, habiller, nourrir et hydrater cette cohorte.
Un défilé représentatif de l’ambivalence de l’industrie face à l’urgence climatique
Loin d’être une exception, ce défilé et sa réception médiatique illustrent une fois encore l’ambivalence, pour ne pas dire l’aporie, de l’industrie de la mode face aux questions environnementales. Elle qui veut à la fois sans cesse susciter le désir et le renouveler, en enchaînant les nouvelles collections, et les présentations spectaculaires (donc coûteuses d’un point de vue financier, social, et environnemental) pour faire rêver, et inviter du beau monde pour faire parler. Et à la fois, la maison souhaite aussi se présenter comme consciente de l’écocide accéléré que nous subissons toutes et tous, quitte à verser dans le greenwashing et le socialwashing (feindre de se soucier des enjeux de justice sociale à des fins marketing). Et la presse mode, largement financée par ces marques de luxe, n’a d’autres choix pour sa propre survie économique, que de répéter ad absurdum les éléments de langage fournis par ces dernières afin de vainement tenter de justifier tout ce système.
Alors que la France (comme de nombreux autres pays) subit actuellement une canicule effroyable, les mauvaises langues pourront dire que la maison française Saint Laurent n’aura bientôt plus besoin d’aller jusqu’au Maroc pour trouver un désert où défiler…
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Crédit photo de Une : Courtesy of Saint Laurent.
Les Commentaires
Vive le vintage et les jeunes créateurs de l'upcycling ! -quand lui même ne fleurte pas avec l'hyper consommation.
Assez ironique d'apprendre à l'école que le design de mode est une réflexion sur son environnement... quand celui ci ne sert que d'inspiration à travers une gamme de couleur !