Se sentir en sécurité dans la rue, dans notre société, n’est pas donné à tout le monde, surtout la nuit, surtout quand on est une femme. Ce n’est pas de la paranoïa, c’est une réalité. Se rendre d’un point A à un point B une fois que le soleil s’est couché est, pour beaucoup, une source d’angoisse.
Ça ne veut pas dire que toutes les femmes ont peur d’être violées, agressées sexuellement. Ça ne veut pas dire qu’on voit dans tous les hommes qu’on croise de potentiels agresseurs. Ça ne veut pas dire qu’on nie aux hommes le droit d’avoir peur pour leur sécurité dans le même contexte, c’est simplement… différent.
Les filles sont, on peut le dire, élevées pour avoir peur, sous prétexte qu’elles doivent être « prudentes ». Pourtant, la plupart des agressions sexuelles ont lieu en terrain connu, souvent par quelqu’un que la victime connaît, mais les choses sont ainsi faites. C’est pas moi qui le dit : ce sont les études, et les statistiques.
Quand on y réfléchit bien, je crois qu’on peut toutes témoigner de ça : on nous conseille de faire preuve de « prudence », de faire « attention à soi » le soir dans la rue, de nous « protéger des inconnus », comme si c’était réellement possible, mais jamais de nous méfier de nos proches. La rue fait peur, c’est comme ça.
Il y a une phrase qui m’a marquée, que ma grand-mère (celle qui n’avait vécu que dans une petite ville de campagne toute sa vie, ceci explique peut-être cela) me disait à chaque fois que je la voyais quand j’ai commencé à vivre dans une « grande » ville : « surtout, fais bien attention le soir, parce qu’on sait jamais ».
« On sait jamais ». La possibilité existe et, parce que je suis une fille, parce que je ne suis pas censée être physiquement dans la possibilité de me défendre face à un homme, on me l’a souvent rappelé, dans les médias ou dans la vie quotidienne. On apprend aux filles, aux femmes, à avoir peur. Ça part sûrement d’une bonne intention, mais n’empêche : les filles ont plus tendance à être sommée de faire attention et les garçons à bien se défendre.
Et, preuve (s’il en fallait une) que se balader seule dans la rue quand on est une femme est une source d’angoisse, le hashtag #SafeDansLaRue a été utilisé hier sur Twitter, incitant les femmes à témoigner de leurs peurs mais aussi de leurs stratégies pour se sentir un peu plus rassurées quand elles sont dans la rue. Il a été lancé par The Economiss et mrsxroots.
Si tu pensais être un peu du genre « craintive » ou « faible » parce que tu as peur en marchant dans la rue la nuit, ce hashtag risque de te faire du bien : un nombre incroyable de femmes sont concernées. C’est rassurant, mais ça fait aussi franchement mal au bide.
Ça fait mal au bide de se dire qu’on en est là, qu’un si grand nombre de personnes ressentent de l’insécurité aussi souvent, pour un truc aussi banal que marcher seule dans la rue. Un truc de tous les jours pourtant pas simple.
Ça fait tellement partie de nous qu’on peut prendre des habitudes pour nous sentir « safe » sans même nous en rendre compte. Tout à l’heure, par exemple, on discutait du hashtag #SafeDansLaRue avec les collègues, et j’ai lâché, persuadée de la véracité de ma déclaration que « moi j’ai jamais peur ». Pas parce que je me sens forte, pas pour me la péter, pas parce que je juge les personnes qui ont peur, simplement parce que je mets la musique très fort pour penser à autre chose. Ça ne me protège pas en cas de danger, mais ça me donne l’illusion que je n’ai pas peur.
L’illusion, oui : parce qu’après avoir lâché ma phrase, je me suis penchée sur le hashtag et j’ai réalisé qu’effectivement, j’utilisais certaines de ces stratégies pour me sentir en sécurité. Une preuve parmi des milliers d’autres, donc, que cette peur est intériorisée.
À l’origine de ce hashtag, des conseils de CrêpeGeorgette partagés sur Twitter à destination des hommes souhaitant participer au féminisme. Parmi ces quelques recommandations, l’une d’entre elles a particulièrement fait réagir :
De nombreux hommes se sont sentis insultés, façon « pourquoi, moi qui ne suis pas un agresseur, moi qui ne veut de mal à personne, je devrais agir comme si j’étais coupable de quelque chose ? ». Des représentant-e-s de tous les genres se sont élevé-e-s contre ce qu’ils pensaient être une accusation envers le genre masculin – ce qui est faux.
Dire « ce serait sympa de changer de trottoir pour faire en sorte de montrer à la fille seule devant vous qu’elle n’est pas en danger avec vous » ne peut pas être interprété comme « vous êtes une menace car vous êtes des hommes, prouvez donc que vous n’êtes pas méchants ». C’est « juste » que la grande majorité des agressions sexuelles sont commises par des hommes et que, comme CrêpeGeorgette l’a précisé à un twitto sceptique :
Sur son blog, Superchlo parle justement de ce geste – le fait de changer de trottoir – et montre en quoi ce n’est pas dévalorisant pour les hommes de penser à le faire quand ils sont derrière une fille seule dans une rue déserte :
« Changer de trottoir, c’est prendre en compte la peur des femmes (et des hommes) dans une société où tout n’est pas rose, et rassurer la personne devant toi. Changer de trottoir ça veut dire que tu comprends ce que peut vivre l’autre, et que tu as de l’empathie pour lui. Et surtout changer de trottoir ça ne demande pas beaucoup d’effort face au soulagement que ça va engendrer. »
C’est aussi simple que ça : ça prend trois, quatre secondes et ça permet à la femme devant soi de souffler. Qu’on trouve du bien-fondé à cette peur ou pas, il y a de grandes chances pour qu’elle soit là, qu’elle soit réelle. Ce serait con de ne pas rassurer l’autre quand ça demande un effort aussi minime.
Sur #SafeDansLaRue, ce ne sont pas des « astuces » que l’on trouve (comme on peut le lire dans certains médias) ce sont des stratégies personnelles et des témoignages que les twittas ont partagé avec leurs followers – rien à voir, donc. Il n’y a malheureusement pas de solution concrète pour se sentir en sécurité dans la société actuelle.
Donc, pas d’astuces à partager.
Pour en lire plus sur le sujet :
- Le trottoirgate ou comment la peur vint aux femmes, par CrêpeGeorgette,
- Merci de ne pas effrayer la dame, par Maïa Mazaurette,
- Les « conseils aux femmes » de l’État face à mon impuissance responsable, par Marie.Charlotte
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Les Commentaires
Oui mais dans ton message précédent tu disais que ce n était pas une question de sexe, que ça allait AUTANT pour les hommes que pour les femmes. Les témoignages de safe dans la rue montrent que les femmes sont obligées d'adopter un comportement spécifique dans la rue pour se protéger. Et le fair que les seuls tweets de mecs soient des blagues ou des moqueries montre bien qu'il y a des différences et beaucoup plus de confortpour les hommes. Les hommes doivent peut etre faire attention mais ils peuvent etre oppresseurs.
Je pense comme toi que toutes sortes d'incivilités on lieu dans la rue, mais nier qu'il y a une hierarchie basée sur le sexe, mais aussi la couleur des personnes (les femmes noires se font aborder plus violemment et on les regarde plus souvent de travers) c'est nier une partie du problème, nier que certaines personnes vont etre des victimes privilégiées et nier que les hommes blans hétéros ont un gros avantage.