Ce texte a été écrit suite à la lecture du témoignage d’une madmoiZelle qui souffrait que ses beaux-parents ne l’acceptent pas. J’ai un peu le même problème, sauf que je suis de l’autre côté de la barrière.
Je ne suis pas du genre romantique exacerbée, je ne me couche pas le soir en rêvant du prince charmant et je ne tombe pas amoureuse tous les quatre matins. Je suis pragmatique, du genre défaitiste même – à croire ces idées selon lesquelles l’amour dure trois ans par exemple. Mais quand l’amour est là, je donne tout. Du moins d’habitude.
Une barrière culturelle de taille
J’ai eu quelques relations ; certaines ont duré, d’autres non. Je suis tombée amoureuse une première fois, lors de mon adolescence, d’un garçon qui a été violent physiquement et verbalement envers moi, qui m’a détruite. Il m’a fallu trois ans pour m’en remettre et refaire confiance à nouveau. Je suis tombée amoureuse une deuxième fois l’année de mes 21 ans.
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Ce garçon-là, je l’avais d’abord rencontré à 17 ans. Je n’étais pas prête mentalement et sentimentalement à me replonger dans une histoire, alors j’ai repoussé une première fois ses avances. Puis le destin nous a réunis quelques années plus tard. J’avais mûri, lui aussi, il a retenté sa chance et j’ai dit oui. Mais vous savez ce que je me suis dit avant d’accepter ? « Cette histoire n’a pas commencé qu’elle possède déjà une fin ». Curieux non ? Effectivement.
La raison de cette réflexion, c’est que ce garçon est d’origine maghrébine et de confession musulmane. Et alors me direz-vous ? Pour mes parents, ce sont les mots de trop.
J’ai grandi dans une famille d’immigrés asiatiques. Chez nous, le respect des ainés est obligatoire, les valeurs et le poids des cultures ne nous quittent pas, et je pense ne nous quitteront jamais : les personnes plus âgées sont plus sages que toi, il faut écouter et faire ce qu’on te dit. J’ai été éduquée dans la « tolérance », à part quand la peau devenait un peu trop foncée.
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Là on m’enseignait qu’il ne fallait pas « leur » faire confiance, et « surtout ne te marie pas avec l’un d’entre eux, parce que sinon tu peux dire adieu à ta liberté de parole et de pensée, ils vont t’enfermer, faire de toi une chose et te priver de tout ce que tu aimes ». Les tristes évènements qui ont marqué notre belle France n’ont fait qu’empirer leur sentiment de haine envers la communauté de mon copain, et la pression qu’exerçait mes parents s’est faite de plus en plus pesante.
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La pression parentale versus le garçon de mes rêves
Je n’ai jamais présenté ce garçon à mes parents, je ne l’ai jamais ne serait-ce que mentionné ; j’avais peur, je ne voulais pas de conflits, je ne voulais pas assumer. Je n’ai pas eu le courage d’affronter les reproches, d’être reniée, que mes parents ne me considèrent plus comme leur fille. J’ai clairement été lâche envers l’homme que j’aime. Je pense qu’il en souffrait, mais il ne me l’a jamais fait savoir. Pour ne pas me faire culpabiliser sans doute. Je le voyais donc en cachette, je prétextais des rendez-vous entre copines, et nous avons eu de la chance : comme je suis partie faire mes études à 300 km, il venait me voir et nous faisions notre vie.
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Car je voulais tout de même donner une chance à cette histoire ; peut-être qu’elle se finirait par un happy ending heureux comme dans les films d’amour ? Et puis, il me plaisait, alors j’ai foncé. Pendant un an et demi. Et durant ce temps passé avec lui, deux parties de moi luttaient à armes égales.
La première rêvait de mariage, d’enfants, de maison à la campagne comme je le voulais auprès de moi toute ma vie parce qu’il était mon roc, ma bouée de secours. Je m’accrochais à lui comme on s’accroche à la vie. Il m’a réappris à rire, à sourire à la vie, à aimer de tout mon cœur, à ne penser qu’à ça, à tenter l’impossible, par-delà la distance, par-delà la religion, par-delà la différence.
Il a été le plus doux, le plus gentil, le plus compréhensif, il a été là quand il n’y avait plus personne, il a su me rassurer, comprendre mes peurs, atténuer mes angoisses.
Cependant, la deuxième partie de moi, plus réaliste, refrénait toutes ces envies : ce n’était pas possible, mes parents n’accepteraient jamais cette relation, je devais le quitter, et ce avant que la relation aille trop loin.
Toutes les semaines ma mère me répétait au téléphone :
« Ramène-moi qui tu veux, mais pas un arabe sinon je te renie ! »
Peut-être se doutait-elle de ce qui se passait, pour insister à ce point.
« Qui donc t’a embrassée ? »/« Dieu, maman. »
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Je me souviens qu’à une période, je cherchais tous les prétextes afin de le quitter. À chaque dispute, je lui disais : « la prochaine fois, c’est terminé ». Mais l’amour m’en a empêchée. J’étais coincée entre mes sentiments pour lui et l’impérieuse nécessité d’obéir à mes parents.
Et un jour, une grosse dispute a éclaté entre nous et j’ai lâché ces mots malheureux :
« De toute façon, toi et moi ça ne durera pas : je ne peux pas être avec toi parce que tu es musulman. »
Je m’en voudrai toute ma vie pour cette phrase qui a brisé quelque chose entre nous, parce que je l’ai fait souffrir pour quelque chose que je ne pensais absolument pas.
Depuis quand devait-il s’en vouloir parce que ses croyances n’étaient pas les « bonnes » selon mes parents ? Depuis quand devait-il s’excuser parce que le pays de ses parents ne résonnait pas assez bien pour les miens ? Ses parents, contrairement à ce que mes parents pensent, lui ont appris le respect et la tolérance pour les autres, lui ont enseigné l’amour et la non-violence – ce que prône d’ailleurs leur belle religion. Lorsqu’il m’a présentée à ses parents, ils m’ont accueillie les bras ouverts, ils m’ont ouvert leur porte alors qu’ils auraient pu avoir le même discours : elle n’est pas musulmane, elle est asiatique, on ne veut pas d’elle.
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Battez-vous
Aujourd’hui, ce garçon n’est plus dans ma vie et nous n’avons plus de contacts. J’ai en effet pris la décision de le quitter il y a deux mois. Je l’aimais à la folie, j’en suis toujours amoureuse, et écrire ces mots me déchire le cœur. Bien sûr, il y a eu d’autres raisons, plus personnelles, mais la plus grande est que j’ai choisi l’amour de mes parents plutôt que le sien. J’ai choisi de ne pas me battre pour arranger notre couple, de ne pas défendre l’amour de ma vie, mon meilleur ami, mon partenaire.
Je ne me cherche pas d’excuses, j’imagine que cela doit être difficile à digérer pour certaines personnes et je peux le comprendre. Égoïstement et intérieurement, je ne veux pas l’imaginer avec quelqu’un d’autre. Mais je l’ai fait pour qu’il puisse avoir le temps de s’en remettre et de rencontrer une autre personne, qui elle pourra lui donner tout ce que je n’ai pu lui donner.
Alors j’aimerais faire passer un message à celles et ceux qui vivent cette situation qui n’est pas facile : s’il vous plait, battez-vous. Ne faites pas la même erreur que moi. Il n’y a rien de plus merveilleux que deux personnes qui s’aiment et qui tiennent bon ensemble malgré les difficultés : ne laissez pas des personnes fermées d’esprit ou qui ont peur prendre votre bonheur en otage, même si ce sont celles qui vous ont donné la vie.
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Les Commentaires
Mais aujourd'hui j'imagine le futur et ça n'aurait pas été possible. Je n'aimerais pas que mes futurs enfants ne puissent pas passer du temps avec leurs grands-parents, qu'on soit isolés comme des parias des fêtes de famille ou des anniversaires, d'entendre des médisance à propos du père et de comment j'ai gâché ma vie... vivre seule et jugée pour que le jour où ça pète avec le mari (chose qui peut arriver), qu'on me dise "je te l'avais dit".
La perspective de vivre rejetée comme ça me fait bien plus peur que de ne pas être avec la personne qu'on "aime". Après tout on n'est jamais sûre que ça dure et les sentiments finissent par s'estomper le temps aidant surtout si on rencontre quelqu'un plus tard.