Le 16 novembre 2016
Il y a un an, je mourais.
Il y a eu le 13 novembre, le 22 mars et, quelque part entre les deux, il y a eu le 22 novembre. Mon sursis, comme j’aime à l’appeler.
Jeune, prof, et rincée
Laissez-moi tout vous expliquer. Je suis une jeune prof et, comme tant d’autres qui débutent, je suis TZR (remplaçante pour les non-initiés). Le TZR est taillable et corvéable à merci : on le balade un peu partout en fonction des besoins du service.
Ma matière c’est l’anglais et mon caprice, c’est de vouloir enseigner en lycée. Parce que j’aime ça, parce que c’est là que je m’épanouis. Alors, après avoir passé l’été à harceler le rectorat, j’ai eu mon poste en lycée, mais à plus de 80 km de chez moi.
À ce moment-là de ma vie, mon quotidien c’était les allers-retours, les réveils à 5h du mat’ et la fatigue omniprésente. En salle des profs, mes collègues étaient mi-perplexes, mi-amusés. La phrase qui revenait le plus ? « T’es jeune, tu peux le faire ! » Et moi de répondre : « Certes, mais à ce rythme-là, je ne serai plus jeune très longtemps ». Je ne croyais pas si bien dire.
Ce qui nous amène au soir du samedi 21 novembre 2015, chez moi. J’étais tranquillement posée sur mon lit, sur mon ordi avec les chaînes musicales en fond. Je matais des vidéos de chatons, j’envoyais des textos, je décompressais. Comme d’hab.
Hunger Games venait de sortir au ciné, alors j’ai réservé ma place et me suis dit :
« Dans une petite demi-heure, je me motive et j’y vais ».
À ce moment-là, je ne savais pas que je ne verrais le film qu’un mois et demi plus tard.
Un coup de fatigue violent
J’ai soudain eu un coup de fatigue massif, je me suis dit que j’irais le lendemain. Vu la vie que je menais, les coups de fatigue, j’avais l’habitude, les malaises vagaux aussi… Je gérais.
Je me suis allongée, puis ça a été le trou noir. J’ai ouvert les yeux, quelque chose n’allait pas. Ce n’était pas un « simple malaise ». Il se passait quoi ? J’allais mourir ? Sans même savoir pourquoi ?
Non, personne n’allait mourir aujourd’hui, j’allais prendre mon portable et appeler les secours. Là, mon cerveau a commandé mais mon bras n’a pas répondu, ou très peu. Que faire ?
J’ai crié. Mes voisins se plaignaient toujours quand la télé était un peu trop forte ou quand mes invitées avaient le malheur de rigoler. Si je criais, ils m’entendraient et viendraient m’aider.
Alors, j’ai crié. Rien ne se passait, si ce n’est que je m’épuisais. Les pensées tourbillonnaient mais je n’étais pas paniquée. J’avais un minimum de motricité, il fallait que j’en fasse quelque chose. Je me suis parlée à haute voix pour m’assurer que mon cerveau fonctionnait, ça m’a rassurée :
« Rappelle-toi du dernier endroit où tu as vu ton portable. »
Péniblement, j’appelle les secours
Je me suis souvenue, j’ai mobilisé toute la force qu’il me restait et je suis parvenue à attraper le petit objet.
Péniblement, j’ai composé le 18. Personne n’a répondu. J’ai réessayé, c’était bien trop long.
Bon, j’allais appeler le 17 et leur demander s’ils pouvaient appeler pour moi. J’étais à bout de forces, je ne tiendrais pas très longtemps. Quand quelqu’un a décroché, je lui ai expliqué calmement que j’étais paralysée, et que je n’arrivais pas à joindre les secours. J’ai ensuite demandé avec une douceur inquiétante si mon interlocuteur pouvait les contacter. La réponse a été sans appel :
« Je ne peux rien pour vous mademoiselle, vous avez composé le 17 et nous n’avons pas de service médical, composez le 18. »
Cette personne n’avait que faire de mon histoire, ma quasi-paralysie, ma peur de mourir…
Résignée, j’ai raccroché. J’ai rappelé le 18, le temps me paraissait si long. Alors pour maintenir mon cerveau en activité, j’ai répété mon mantra, prête à tout débiter lorsque quelqu’un répondrait : mon nom, mon âge, ma taille, mon adresse, TOUT. Puis ça a été la délivrance, le standardiste qui m’a promis l’arrivée rapide des pompiers.
Alors, j’ai appelé mon ex. Il était en soirée. Je le détestais. Si je mourais, il aurait mon dernier message sur la conscience :
« Salut, je suis paralysée, je crois que je vais mourir. Je ne sais pas ce qu’il m’arrive, les secours sont en route. Préviens ma famille et mes proches et… sache que je t’aime. »
« Faites lui passer un scanner »
Je ne suis pas croyante mais je ne peux m’empêcher de penser qu’une force m’a retenue du côté des vivants. Les pompiers ont mis trois quarts d’heure à venir. Trois quarts d’heure. En se trompant d’adresse et d’étage. Deux fois.
Mon arrivée aux urgences ne fut guère plus prometteuse. J’avais très mal à la tête, je devenais confuse et mon discours manquait de cohérence. Je ne supportais ni la lumière ni le bruit. J’avais si mal. Je me suis évanouie à plusieurs reprises et, quand je me suis réveillée, j’ai vomi.
Les infirmières me croyaient ivre. Je me suis énervée, j’avais l’air d’une démente.
« Et en plus elle a des tatouages, ces jeunes font vraiment n’importe quoi ! »
C’était la meilleure, j’étais en train de partir et on me faisait la leçon. Génial.
Appelée par les pompiers, mon amie était là, mon ex aussi. J’imaginais qu’ils étaient en train de rattraper ma réputation de jeune-tatouée-ivre-droguée lorsque j’ai entendu au loin une voix masculine, rassurante, expérimentée. C’était le chef du service.
« Cette jeune fille n’est pas ivre, je crois savoir ce qu’il se passe, faites-lui passer un scanner. »
Là, le verdict est tombé. C’était une rupture d’anévrisme. J’avais vingt-quatre ans et j’étais en train de faire une hémorragie cérébrale — un accident rare à mon âge. Le chirurgien m’a expliqué par la suite que j’avais un terrain génétique spécifique, et que mon rythme de vie éreintant avait provoqué la rupture.
Là, ça a été le flou. On m’a opérée (on ne m’a pas ouvert le crâne, simplement envoyé une bille de platine dans la cuisse pour venir boucher l’anévrisme) puis je me suis réveillée deux jours plus tard en réanimation.
J’allais bien mais j’avais très mal à la tête et j’étais connectée à tant de fils, tant de machines. Je ne comprenais pas.
« Quel jour on est ? Lundi ?! Je dois être au lycée, je ne peux pas rester ici ! »
Alors, on m’a expliqué. J’avais besoin de repos, le lycée était prévenu et mes proches étaient à côté. Personne ne savait quand je sortirais ni si je pourrais remarcher un jour ; l’essentiel était de prendre le temps.
La rupture d’anévrisme est un accident vasculaire cérébral, qui touche le plus souvent les femmes entre 40 et 50 ans. MaxiSciences en explique le fonctionnement ainsi :
« Un anévrisme est une dilatation anormale de la paroi d’une artère, entraînant la formation d’une poche remplie de sang. Avec le temps, cette poche peut se fissurer ou se rompre : c’est ce qu’on appelle une rupture d’anévrisme. Cet accident a des conséquences très graves et peut notamment provoquer une hémorragie cérébrale. Il est mortel dans un cas sur deux. »
Pour l’anévrisme cérébral, les symptômes sont ceux décrits par Kady :
« Dans un tiers des cas, un mal de tête très violent se fait ressentir quelques jours avant la rupture. Celle-ci se manifeste ensuite par des vomissements, des nausées, un mal de cœur et une raideur dans la nuque. Dans les cas les plus graves, le patient peut perdre connaissance ou tomber dans le coma. »
L’anévrisme et sa rupture peuvent avoir une cause génétique, et/ou être favorisés par certains facteurs comme le tabac, l’hypertension artérielle ou le cholestérol.
Pour traiter la rupture d’anévrisme, cela se fait généralement par la cuisse, comme cela a été le cas pour Kady. Allodocteurs explique :
« On passe par les artères de la cuisse, on remonte jusqu’à celles du cerveau et on réalise une embolisation de l’anévrisme, c’est-à-dire que l’on bouche l’anévrisme. […]
Ce geste permet normalement de guérir puisque le risque d’une nouvelle rupture est quasi nul. Mais les patients sont néanmoins suivis régulièrement. Bien sûr, lorsqu’il leur reste des séquelles, différents types de rééducation permettent de les réduire. »
Gérer l’après rupture d’anévrisme
La suite, je vous la donne en avance rapide.
Après avoir passé la première semaine sous perfusion en réa, je me suis dit que si je voulais savoir si je pouvais marcher, il n’y avait qu’à essayer. C’était dur, douloureux, mes jambes étaient carrément rouillées et les médecins pas contents du tout.
Apparemment j’étais inconsciente mais au moins, on savait : ça, c’était fait.
Très vite, j’ai fait plein d’efforts. J’ai mangé, lu, je me suis baladée dans le service et… j’ai souri. Alors on m’a envoyée en neurologie. Là, j’ai vu tout ce à quoi j’avais échappé. La démence, la paralysie, la solitude, la mort.
J’ai eu une chance folle.
Un an plus tard, je suis toujours suivie par le neurochirurgien qui m’a sauvée. J’ai vécu un sentiment de renaissance puis une profonde dépression. Je me suis demandée ce que je faisais là, puis j’ai arrêté de cogiter.
Un long rétablissement
Il me faudra cinq ans pour vraiment me remettre. Le bruit et la lumière me gênent mais je fais avec. J’ai encore du mal à me concentrer et il m’arrive de perdre momentanément la mémoire, mais c’est plus mignon que réellement inquiétant. Le plus dérangeant, c’est la fatigue et le mal de tête en permanence, avec des pics de douleur de temps en temps.
J’ai cependant repris le travail à temps complet, mais à dix minutes de chez moi — le rectorat a été compréhensif. J’aurais pu avoir un an de convalescence mais j’avais besoin de retourner travailler. Cela fait pour moi partie de ma rééducation !
Et si vous vous demandez de ce qu’il est advenu de ma relation avec mon ex, disons que c’est un peu compliqué sur le plan amoureux, mais il m’a beaucoup aidée à me remettre et continue de me soutenir.
Je vois désormais la vie de façon différente, cet accident a tout changé. Je suis sereine : chaque instant depuis ce 22 novembre, c’est du bonus.
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Crédit photo : Robina Weermeijer via Unsplash
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