Difficile d’y échapper : je crois que nous avons tou•tes, un jour, écouté une rumeur un peu croustillante, un peu outrageuse… et nous l’avons peut-être propagée à notre tour.
Pourquoi colportons-nous des rumeurs ? Comment se forment-elles, comment s’alimentent-elles ?
Les psychologues sociaux Gordon Allport et Leo Postman, à qui l’on doit plusieurs expériences sur ce thème, définissent la rumeur comme « une affirmation générale que l’on présente comme vraie, sans qu’il y ait de données concrètes pour vérifier son exactitude ».
Par exemple, lorsque vous dites à quelqu’un que vous « avez entendu dire que » Trucmuche a eu une relation avec Machinchose, vous risquez de propager une rumeur.
Les rumeurs parlent de choses de la vie quotidienne.
Pendant un cours magistral (dans tous les sens du terme), Sylvain Delouvée explique que les rumeurs sont une forme d’expression de la « pensée sociale ». Elles sont élaborées par un collectif, parlent de choses de la vie quotidienne, expriment de façon symbolique les craintes, les fantasmes, les préoccupations d’un groupe social.
Les rumeurs sont aussi protéiformes et peuvent toucher à peu près tous les thèmes : une légende sexuelle (comme la relation de Trucmuche et Machinchose), une légende urbaine, des menaces d’empoisonnement, des peurs collectives…
Comment apparaît une rumeur ?
Pour le chercheur Michel-Louis Rouquette, la rumeur apparaît généralement dans un contexte particulier, une situation de crise et a souvent un rapport (plus ou moins étroit) avec l’actualité.
La privation d’informations (ou en tout cas, une diminution) facilite leur apparition. Par exemple, le peu d’informations liées à la disparition du vol MH370 peut laisser la place à un tas de théories plus ou moins farfelues.
Les rumeurs véhiculent des messages cachés.
Le sociologue Edgar Morin souligne que, puisque les rumeurs expriment une pensée sociale, on peut alors considérer qu’elles véhiculent également des messages cachés, implicites.
Moins il y a d’informations… plus la rumeur croît
Edgar Morin s’est penché sur la fameuse rumeur d’Orléans
: en 1969, « la rumeur dit que » des jeunes filles disparaissent dans des magasins de prêt-à-porter tenus par des commerçants de confession juive.
Malgré les démentis et l’observation des faits, la rumeur prend de l’ampleur — des attroupements ont lieu devant certains magasins, et la rumeur touche même d’autres villes.
Pour Edgar Morin, la rumeur d’Orléans exprime deux idées : une peur fantasmée de la « traite des blanches » (les jeunes filles seraient enlevées pour rejoindre un réseau de prostitution) et de l’antisémitisme.
Le sociologue pointe deux messages implicites de la rumeur :
- d’une part, la rumeur pourrait refléter une peur de l’émancipation féminine en cours (les victimes sont des jeunes filles qui vont s’acheter des vêtements)
- et d’autre part, elle pourrait parler d’une crainte liée à la modernisation urbaine et l’anonymat des villes (les cabines d’essayage sont « piégées » pour faire disparaître les victimes).
Comment se propage une rumeur ?
Les chercheurs Allport et Postman (encore eux) ont réalisé une expérience en laboratoire : un expérimentateur montre une image (ou un texte) à un volontaire.
Ensuite, ce volontaire doit retransmettre oralement ce qu’il a vu (ou lu) à un second volontaire, qui retransmettra à son tour à un troisième volontaire, etc.
Au cours de l’expérience, Allport et Postman s’aperçoivent qu’à chaque volontaire, le message se transforme un peu, jusqu’à un « point de stabilisation » à partir duquel le message reste à peu près le même.
La rumeur reflète nos préoccupations.
Les chercheurs notent également que les distorsions du message correspondent aux attitudes, stéréotypes et intérêts de celles et ceux qui le transmettent.
En d’autres termes, par oubli, ajout et restructuration, nous déformons ce que nous avons entendu… Et nous pouvons tirer le message dans le sens de ses préoccupations.
C’est la même chose pour la rumeur : il est probable qu’en la racontant, nous modifiions un peu le texte, nous ajoutons quelques détails — sans forcément en avoir conscience.
Parfois, pour donner plus de force à notre récit, nous faisons référence à une source fiable : X m’a dit que, j’ai lu dans telle revue que…
Pourquoi une rumeur attire-t-elle notre attention ?
Les personnes relayant les rumeurs se sentent souvent concernées (de plus ou moins près) par les messages qu’elles transmettent.
Une rumeur attirera plus votre attention si elle porte sur une chose qui vous touche de près, comme votre domaine d’études ou l’un de vos professeurs par exemple… et qu’elle va dans le sens de vos valeurs.
Nous n’avons même pas besoin d’adhérer à la rumeur pour la répandre.
Plus nous nous croyons impliqués, plus nous allons adhérer à la rumeur et la diffuser.
Le truc, c’est que la rumeur est essentiellement un discours rapporté, qui n’est pas un témoignage, mais le témoignage du témoignage.
Lorsque l’on est l’objet d’une rumeur, il est très difficile d’y répondre et de la contrer : tout ce que l’on peut dire ou faire peut être interprété sous le prisme de la rumeur.
En outre, nous pouvons tou•tes subir un « biais de confirmation » : nous accordons plus d’attention et de valeur aux informations qui appuient ce que l’on pense déjà !
Le phénomène de la rumeur est donc particulièrement insidieux. En plus, nous n’avons même pas besoin d’adhérer à la rumeur pour la répandre : même si nous n’y croyons pas, lorsque nous la racontons, nous participons à sa propagation.
Il ne tient donc qu’à nous de rester vigilant•es pour ne pas colporter des rumeurs à la légère !
Pour aller plus loin :
- Un ouvrage sur la pensée sociale
À lire aussi : Comment se crée (et s’alimente) une rumeur ?
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