Ce n’est pas tous les jours que j’ai l’occasion de lire la BD d’une lectrice de madmoiZelle ! C’est Stéphanie qui m’a contactée pour me parler de la BD qu’elle a dessinée, et elle a bien fait car j’ai énormément aimé.
C’est l’histoire de deux ados qui, dès le premier regard, deviennent les meilleures amies du monde. Le genre d’amitié qui fait vivre dans une bulle à deux, pleine de fous rires, et de moments passés à refaire le monde à deux. Mais ce qu’Alex ressent pour Layla la bouleverse tellement qu’elle ne sait plus vraiment si c’est de l’amitié, ou autre chose. Elle sait juste que les sentiments qu’elle ressent sont si forts qu’ils lui font mal, et qu’elle voudrait ne jamais plus être séparée de son amie…
Rouge Tagada est une bande dessinée pleine de sensibilité. Il y a l’histoire d’abord, signée Charlotte Bousquet, qui aborde des thèmes qui trouveront un écho en chacun de nous. Car cette BD a presque deux niveaux de lecture. C’est une histoire qui parlera aux ados, parce qu’elle aborde des instantanés de vie, des émotions, par lesquels ils passent forcément. Mais Rouge Tagada parle aussi aux adultes, tant on retrouve avec nostalgie des émotions enfouies en nous. L’homosexualité est évoquée avec pudeur, justesse et simplicité.
Et puis il y a le dessin de Stéphanie Rubini, rond, doux, tendre, et ses jolies couleurs, qui collent si parfaitement à l’histoire.
C’est une petite bande dessinée toute en délicatesse, aussi pétillante et douce que la fraise Tagada qui a inspiré son titre.
Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini, l’interview
Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini ont eu la gentillesse de répondre à mes questions.
Pouvez-vous vous présenter, nous raconter un peu votre parcours ?
Stéphanie Rubini – Je m’appelle Stéphanie, j’ai bientôt trente ans et je suis illustratrice freelance à Lille depuis quatre ans maintenant. Je travaille essentiellement pour l’édition et la presse (Le Monde des Ados, les fausses pubs pour le magazine Causette). Graphiste de formation (BTS communication visuelle puis Beaux-arts), j’ai travaillé trois ans dans la mise en page de livres, puis je me suis lancée à mon compte en tant qu’illustratrice.
Charlotte Bousquet – Je m’appelle Charlotte, je suis l’auteure d’une vingtaine de romans pour adultes et adolescents dans des genres aussi différents que la fantasy, le roman historique, le post-apocalyptique ou le thriller et de pas mal de nouvelles. J’ai fait une fac de philo et commencé à écrire des fictions pendant mes études. Je suis également fan de jeux de rôles et d’équitation.
Pouvez-vous raconter Rouge Tagada en quelques mots ?
Stéphanie Rubini – Rouge Tagada, c’est l’histoire toute simple d’une ado de 4ème qui tombe progressivement amoureuse de sa meilleure amie, mais qui le lui cache pour préserver leur amitié. Jusqu’à ce qu’un garçon vienne brouiller les cartes.
Comment est née l’idée de cette BD ?
Charlotte Bousquet – Rouge Tagada était dans mes tiroirs depuis quelques mois, un mini-roman qui attendait de trouver éditeur à son pied. Comme j’avais adoré travailler sur Précieuses, pas ridicules (documentaire sur les femmes aux éditions Gulfstream) avec Stéphanie, je le lui ai envoyé en lui demandant si elle pensait qu’on pouvait en faire quelque chose. Elle a beaucoup aimé et commencé à esquisser les premiers dessins. Et puis, au salon du livre de Montreuil, nous en avons parlé avec Paola Grieco, éditrice chez Gulf Stream et Marie Rébulard, à l’époque directrice artistique. Elles avaient lu le texte. Elles aimaient les illustrations de Stéphanie. Voilà comment Rouge Tagada est né !
Stéphanie Rubini
– Concernant l’idée d’en faire une BD, c’est venu assez naturellement à cause de la longueur du récit : trop court pour en faire un roman jeunesse. Et puis après notre premier livre, nous avions envie de recommencer une collaboration texte-dessin. Je trouve qu’ils se complètent très bien.
Qu’est ce qui vous a donné envie d’aborder les thèmes abordés dans Rouge Tagada (l’adolescence, la frontière fragile entre amour et amitié, l’homosexualité…) ?
Charlotte Bousquet – J’étais en pleine rédaction de Nuit tatouée, premier opus d’une série assez sombre destinée aux adolescents et jeunes adultes, et j’avais envie de changer de registre. Je ne sais plus comment est venu le déclic, mais je me souviens avoir rédigé mon histoire quasiment d’une traite. Pourquoi l’adolescence, la confusion des sentiments, l’homosexualité ? Parce que ce sont des thèmes qui sont très importants pour moi – cette période où l’on est fusionnel, exclusif, où l’on ne sait pas bien si l’on aime – ou plutôt, comment on aime. Parce que c’est ce qui nous construit, aussi.
Stéphanie Rubini – Les histoires d’ados me passionnent toujours, même aujourd’hui. Parce que c’est une période bénie et maudite à la fois. On découvre tellement de choses en si peu de temps, les personnalités se révèlent. On apprend aussi à vivre en société, en dehors du cocon familial ce qui amène des joies intenses mais aussi des déceptions tellement amères. Je ne suis absolument pas nostalgique de cette période, franchement pénible, mais j’aimerais parfois retrouver l’intensité des sentiments et des découvertes.
Comment s’est passé votre travail ensemble ?
Stéphanie Rubini – Le texte était dans les cartons de Charlotte avant qu’on discute de l’adapter en BD. Mon travail a donc été de l’animer pour qu’il devienne visuel. Nous avons aussi ajouté des dialogues pour rendre l’ensemble vivant et crédible. Nous avons aussi fait un travail d’observation des ados d’aujourd’hui tout en plongeant dans notre propre adolescence pour y ajouter des détails plus intemporels et personnels. Charlotte habite à Paris et moi à Lille, le travail s’est donc essentiellement fait par mail et par téléphone. Mais nous nous sommes retrouvées deux jours pour faire tout le découpage de la BD, comme un story-board.
C’est votre première BD, a-t-il été compliqué de vous adapter à cette forme de narration ?
Charlotte Bousquet – J’ai l’impression que le texte se prêtait naturellement à cette forme. Du coup, nous n’avons pas changé grand chose à l’écrit. Le fait que Stéphanie et moi visualisons les choses à peu près de la même façon a pas mal aidé, aussi.
Stéphanie Rubini – J’ai essayé de ne pas trop me prendre la tête en ayant une approche instinctive de la mise en scène. Je suis illustratrice et le danger était de se retrouver avec des cases composées comme de belles petites images sans rythme… Il fallait parfois épurer les images pour mettre en valeur les dialogues ou les expressions.
Stéphanie, quels outils et techniques utilises-tu pour dessiner ?
Stéphanie Rubini – Je dessine en noir et blanc avec un crayon gris tout bête. Puis je scanne l’ensemble et je passe les couleurs à l’ordinateur avec ma tablette graphique. J’aime la vivacité des couleurs numériques mais je ne pourrais pas me passer de la sensibilité qu’offre le crayon.
Rouge Tagada a presque deux niveaux de lecture, on peut voir cette BD comme une oeuvre pour ados, avec des sentiments qu’ils peuvent être amenés à ressentir, mais le titre parlera tout autant aux adultes, qui reverront leur adolescence avec nostalgie. À quel lectorat vouliez-vous vous adresser quand vous avez décidé d’écrire ce livre ?
Stéphanie Rubini et Charlotte Bousquet – À la base on pensait surtout aux ados. Mais attention, on ne s’est pas dit « Tiens on va écrire un livre pour les gamines de quatorze ans, alors mettons y une historie d’amour cucul la praline » ! On a vraiment puisé en nous pour le faire. Et on a pris beaucoup de plaisir à y travailler. C’est probablement pour ça que Rouge Tagada plaît aussi aux adultes. Parce que c’est une BD personnelle qui, finalement, parle à tout le monde.
Stéphanie Rubini – Ma grande surprise a été de voir que les hommes aussi étaient touchés par cette histoire alors que je ne pensais vraiment pas qu’ils se sentiraient concernés !
Est-ce qu’écrire cette bande dessinée vous a renvoyé à votre propre adolescence ? Et si oui, est-ce difficile de se confronter à des souvenirs parfois douloureux, mais aussi de s’en détacher pour écrire son histoire ?
Stéphanie Rubini – Oui ! Bien sûr ! Je n’ai personnellement jamais eu d’amitié aussi fusionnelle que les héroïnes. Mais j’ai fait comme Layla, délaisser mes copines pour un mec. Avec le recul, ça me laisse un petit goût amer. L’adolescence laisse des souvenirs suffisamment douloureux pour ne pas idéaliser cette période (comme on peut le faire avec l’enfance) mais en même temps, c’est loin tout ça ! Je suis passée à autre chose depuis longtemps. D’où le recul suffisant pour dessiner cette histoire. Et puis aussi les histoires d’amitiés fortes et compliquées continuent à l’âge adulte. J’ai vécu une rupture amicale très déstabilisante en bouclant cette BD…
Charlotte Bousquet – J’écris avec des bouts de moi-même alors, forcément ! Adolescente, j’étais la spécialiste des amitiés compliquées et fusionnelles. Je n’ai jamais été confrontée à ce qui vit Alex dans Rouge Tagada mais j’ai des souvenirs assez désagréables de cette période, où l’on flotte entre deux eaux, où l’on se cherche, où l’on souffre. Je me suis rendue compte, avec l’écriture d’un deuxième opus, que la BD était, pour moi, la meilleure manière de m’y confronter. Mais Stéphanie a raison : il y a aussi des histoires d’amitié compliquées à l’âge adulte. Et maintenant que j’y pense, je crois que c’est une rupture avec une amie de lycée, il y a deux ans, qui a peut-être tout déclenché.
Merci beaucoup à Stéphanie et Charlotte !
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Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Ca fait chaud au cœur tout ça !
Juste un petit message pour dire que Charlotte et moi-même serons en dédicace samedi à la librairie Calligramme de La Rochelle !