— Cet article a été rédigé dans le cadre d’un partenariat avec Pygmalion. Conformément à notre Manifeste, on y a écrit ce qu’on voulait.
J’aime lire des histoires vraies, ou celles qui auraient pu l’être. Je crois que c’est parce que le monde est déjà si complexe, si riche, si diversifié, si tragique et si beau à la fois, que ses propres histoires m’enchantent et m’émeuvent suffisamment. Quand un•e auteur•e prend la plume comme on penche une loupe sur l’une de ses facettes, je me laisse volontiers porter par l’écriture.
Je ne peux alors plus sortir de l’histoire, me détacher des personnages en me disant « tout ceci a été inventé » : je sais que c’est vrai, et je vis alors à travers les personnages et leurs émotions.
Quand la nuit devient jour est une histoire fictive, et pourtant, elle m’a prise aux tripes comme un roman autobiographique.
Camille, vingt-neuf ans, décidée à mourir
Quand la nuit devient jour est écrit du point de vue de Camille, une jeune femme de vingt-neuf ans. Elle raconte sa vie comme dans un journal, elle nous invite dans sa tête et nous présente à celle qui l’accompagne de ses premiers souvenirs de jeunesse jusqu’au présent de son récit : sa souffrance.
Car Camille souffre. Aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle livre à son corps une bataille qui lui pompe toute son énergie, y compris celle de vivre :
« Alors, pendant que mes parents chahutaient dans un carré d’herbes sauvages, je me suis arrêtée sur le rebord d’une corniche rocailleuse pour regarder l’eau de la rivière ruisseler en contrebas. Je me suis dit qu’il n’y avait sans doute pas plus bel endroit pour mourir. Si seulement j’en avais le courage.
J’ai imaginé mon corps flottant dans l’eau, le vide dans mon esprit, la liberté. Je me souviens que mon cœur battait plus fort que d’habitude, que mon sang martelait mes tempes. Alors j’ai retenu ma respiration, j’ai fermé les yeux, et je me suis laissée tomber en avant.
J’ai été admise aux urgences avec une double fracture tibia-péroné, une côte fêlée, des bleus sur le visage, et une envie de recommencer. Sans me rater, cette fois. »
Cette souffrance, Camille la fait remonter à son enfance. On ne sait si c’est elle qui n’a jamais accepté son corps, ou si c’est la société qui ne le lui a jamais permis.
Toujours est-il que, de trop maigre à trop grosse, en passant par tous les états, la jeune fille s’est toujours battue contre ce qui aurait dû être son alliée, et jamais son ennemie : sa propre chair.
« Entre juin et novembre 2014, j’ai donc subi de nombreux traitements, psychothérapies et plusieurs internements en centres dédiés. J’ai essayé de comprendre pour quelle raison je me sentais différente des autres, pourquoi j’étais si torturée dans mon corps et dans mon esprit, et bien que je ne sois parvenue à aucune réponse, je me suis apaisée et j’ai cessé de me mutiler, maintenant même mon poids à cinquante kilos. […]
Je sauvais les apparences, en somme, mais seule, dans l’intimité, je me tordais d’une douleur impossible à définir. Mes souffrances psychologiques étaient telles qu’elles étaient capables de me clouer au lit des jours entiers. Les crises venaient sans prévenir, le jour, la nuit. Je me tordais de douleur sans qu’aucun médicament ne fasse d’effet. Fibromyalgie, rages de dents, ulcères nerveux, migraines… La somatisation prenait toutes les formes possibles et imaginables. Je n’en pouvais plus de me battre contre quelque chose que je savais impossible à vaincre.
Même médicalisée, entourée de médecins, de ma famille, l’envie de mourir pour éteindre ce feu qui brûlait en moi ne m’a jamais quittée, je savais que, tôt ou tard, je mettrais fin à mes jours. Mais je voulais partir dignement, et imposer à mes parents autre chose qu’un cadavre pendu au bout d’une corde ou gisant dans une baignoire rouge de sang. »
Je ne comprends pas la mort, mais je comprends la souffrance
Pour ou contre l’euthanasie ? Ce n’est pas vraiment le débat, même si vu de France, on le devine en filigrane. Si « l’euthanasie active » est légale chez nos voisins Belges, il ne l’est toujours pas dans l’Hexagone.
Sophie Jomain réussit cette prouesse, celle de m’amener à comprendre l’inconcevable, à mes yeux : vouloir mourir. Si je suis pour la liberté de choix, sur ce sujet comme tous ceux qui touchent au corps et à la souveraineté que chacun•e (devrait) exerce(r) dessus, j’ai néanmoins la conviction que je ne pourrais jamais « vouloir mourir
».
Et l’histoire que me raconte Camille, par la plume de Sophie Jomain, finit par ébranler cette conviction, juste assez pour y injecter une once de doute. Juste assez pour comprendre comment on peut avoir vingt-neuf ans — mon âge ! — et vouloir que la vie s’arrête… Alors qu’elle commence à peine.
Une fiction… pas si fictive
Quand la nuit devient jour est très bien écrit. J’étais partie pour le feuilleter, le lire en diagonale comme le demi-million de livres qui sont envoyés à la rédac de madmoiZelle… Mais les mots ont accroché mon regard et ralentit son passage. J’ai commencé par tourner les pages, j’ai fini par suivre Camille, compatir avec son désir, son besoin de clémence.
Cette histoire m’a profondément touchée, et ce n’est que quelques semaines plus tard que j’ai pu mesurer à quel point je l’avais été, lorsque cette information est apparue dans mes réseaux :
« Une victime de viol âgée d’une vingtaine d’années a été autorisée à accéder à l’euthanasie en Hollande, après que des médecins ont établi que son stress post-traumatique et ses autres symptômes étaient incurables. »
Les points listés résument :
- La jeune femme souffrait de troubles psychologiques après avoir été maltraitée dans son enfance
- Ses afflictions incluaient une anorexie sévère, une dépression chronique et des hallucinations
- La jeune Hollandaise démontrait des signes d’amélioration suite à une « thérapie intensive »
- Elle a été autorisée à être euthanasiée après décision favorable des médecins, qui ont confirmé l’inefficacité des traitements
Dans l’article, des opposants à l’euthanasie fustigeaient le choix de cette jeune femme, et surtout les médecins qui l’avaient autorisée à mettre fin à ses jours, les accusant d’avoir prononcé « une condamnation à mort pour les victimes de violences ». Et moi, je ne pouvais qu’y voir le poids de la « condamnation à vivre » que le refus de ce droit aurait été pour cette jeune femme.
Qui sont les gens qui se croient légitimes à décider pour l’autre, dans son propre corps ?
Qui sont ces gens qui se revendiquent légitimes à décider ce qui est bon pour l’autre, ce qu’il est acceptable, supportable, tolérable d’endurer dans sa propre chair ? Je ne comprends pas la mort, je ne comprends toujours pas la volonté de mourir.
Mais je comprends la souffrance, et si l’histoire de Camille m’a appris quoi que ce soit, c’est qu’il n’y a pas besoin de « vouloir mourir » pour comprendre comment et pourquoi d’autres personnes peuvent avoir ce besoin. Cette supplique.
Quand la nuit devient jour, par Sophie Jomain, est édité chez Pygmalion.
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