Comment la médecine maltraite les femmes
Attendez-vous à voir rouge après la lecture de cet essai aussi alarmant que nécessaire. Avec Les patientes d’Hippocrate (Philippe Rey, 10/2022) les journalistes Maud Le Rest et Eva Tapiero démontrent le caractère systémique des violences médicales, détaillant les biais de genre qui pèsent sur la santé des femmes et les conséquences dramatiques qui peuvent en découler. Infantilisation, désintérêt pour les maux du corps féminin, minimisation des douleurs, renvoi à un facteur psychologique, culpabilisation… : les femmes font, depuis toujours, l’objet de maltraitances d’un corps médical pétri d’idées reçues sexistes. Parce qu’elles seraient hystériques, angoissées, hypocondriaques, ou encore trop sensibles, les femmes et leur santé continuent, au mieux, à ne pas être prises au sérieux. S’appuyant sur des rapports officiels, études chiffrées, mais également sur des témoignages fils rouge, l’ouvrage traite autant des errances médicales face à l’endométriose que des retards de diagnostics de l’infarctus ou de l’autisme, en passant par les violences gynécologiques et obstétricales. On est glacé par l’enfer qu’a vécu Marie pendant son accouchement, maintenue couchée de force par une sage-femme qui ne lui explique rien, tente d’ouvrir son col de l’utérus manuellement alors même qu’elle n’a pas de péridurale, et lui hurle qu’elle ne sait pas pousser et va finir par tuer son bébé. Mais aussi par l’errance d’Anne-Marie, ses souffrances et les commentaires d’une misogynie crasse qu’elle doit encaisser avant que sa vestibulite (une inflammation aiguë de la vulve) ne soit diagnostiquée. Un panorama révoltant qui révèle que les préjugés sexistes se doublent parfois de préjugés racistes, imposant une double peine aux femmes racisées. « Karima s’était entendu dire par un agent d’accueil, alors qu’elle se présentait calmement à la clinique pour son accouchement, qu’elle était « bien calme parce que d’habitude les gens comme elle se roulent pas terre ». Puis, alors qu’elle se plaignait de la douleur d’une injonction, elle avait entendu un infirmier lui asséner que « Celles-là, elles en font toujours trop », rapportent ainsi les autrices. Une enquête aux allures d’électrochoc, abordée avec beaucoup de pédagogie et qui, au-delà de la dénonciation de ces discriminations, propose des pistes de réflexion pour, enfin, changer les choses.
*Les patientes d’Hippocrate, par Maud Le Rest et Eva Tapiero, Philippe Rey, 224 P., 20 €.
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#MeToo, cinq ans après
Cinq ans après l’explosion de #MeToo, Rose Lamy – dont on avait déjà adoré le premier livre Défaire le discours sexiste dans les médias (Lattès) – a réuni un collectif de neuf femmes et autrices qui portent toutes un regard singulier sur cette révolution féministe. Chacune apporte sa réflexion dans Moi aussi, MeToo au-delà du hashtag, paru récemment chez Lattès, interrogeant les limites comme les horizons du mouvement, mais aussi ce qu’il a changé dans nos sociétés. De Camille Froidevaux-Metterie à Louz, en passant par Rokhaya Diallo, Angèle, Lexie ou Christelle Murhula, cet essai choral, entre témoignage intime et enquête, est bien loin du classique « livre anniversaire ». Résistance des milieux culturels, analyse des reproches contre le « tribunal médiatique » des réseaux sociaux ou du procès en appel d’Amber Heard, récupération du mouvement par l’extrême droite, réhabilitation de l’héritage de Tarana Burke, décentralisation de notre regard sur #MeToo… : l’ouvrage soulève des questions passionnantes sur un mouvement loin d’être épuisé. « Nous n’en sommes qu’au moment élitiste de la libération en cours, un moment réservé aux catégories jeunes, urbaines et favorisées. Il nous reste encore à accomplir le virage de l’inclusivité pour prolonger la dynamique émancipatrice dans toutes les strates de la société », écrit notamment Camille Froidevaux-Metterie quand Rokhaya Diallo rappelle que « la libération de toutes les femmes passera par la libération de celles qui sont confrontées aux plus graves exclusions ». Un livre bouillonnant que l’on peut lire d’une traite ou picorer, pour penser ensemble la suite de cette révolution.
*Moi aussi : MeToo, au-delà du hashtag, sous la direction de Rose Lamy avec les textes d’Angèle, Rokhaya Diallo, Elvire Duvelle-Charles, Camille Froidevaux-Metterie, Rose Lamy, Lexie, Louz, Christelle Murhula et Reine Prat, 195 P, 19€.
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En finir avec la rivalité féminine
« Il n’y a rien de pire que les femmes entre elles », « Les femmes sont des langues de vipères »… : ces affirmations, nous les avons entendues toute notre vie. Car cette idée de rivalité féminine, aussi stéréotypée soit-elle, est profondément ancrée dans la société. Avec Rivales (Flammarion, 10/2022), la journaliste Marie-Aldine Girard – déjà autrice avec sa sœur jumelle du bestseller, La femme parfaite est une connasse (Flammarion) – décortique ce concept et ses manifestations, levant ainsi le voile sur un tabou. À l’heure de la nécessaire sororité, aborder la jalousie ou les rivalités féminines pourrait être perçu comme un acte de traitrise à la cause féministe. Pourtant, écrit l’autrice « parler de cette violence symbolique place enfin la femme au cœur de notre réflexion ». S’appuyant sur de très nombreux témoignages, mais aussi sur sa propre histoire, elle met à jour les racines et les mécanismes de cette rivalité qui peut s’exprimer dès l’enfance, puis, dans notre vie amoureuse, familiale, amicale, mais aussi au travail. La clé de voûte du concept repose évidemment sur la société patriarcale. Même si les temps changent, cette dernière induit une méfiance et une compétition perpétuelle entre les femmes – pour être la plus jolie, la plus sexy, la meilleure mère… – dont les hommes seraient les éternels arbitres. Aggravant par là même un déficit de confiance, pétri des injonctions parfois paradoxales dont on nous abreuve, qui nourrit ce besoin de se comparer sans cesse. Par ailleurs, dans un monde professionnel encore dominé par les hommes, « nous nous battons pour une toute petite part du gâteau (…) les autres femmes deviennent alors des rivales, c’est systémique ». Avec ce livre touchant, qui met les pieds dans le plat, Marie-Aldine Girard signe une très intéressante réflexion – dont on ne partage pas la totalité des analyses – sur un sujet peu abordé. Et donne une multitude de pistes pour une réelle sororité. À signaler aussi sur la question, un ouvrage parfaitement complémentaire, paru au même moment, En finir avec la rivalité féminine (Les Arènes) d’Elisabeth Cadoche et Anne de Montarlot.
*Rivales, par Marie-Aldine Girard, Flammarion, 217 P., 18€.
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Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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