Qui n’aime pas re-regarder des films déjà vus mille fois ? Allier le confort de savoir tout ce qu’il va se passer et la certitude qu’on va adorer ce moment… Qu’ils aient été immortalisés sur cassettes VHS ou DVD, de nombreux longs-métrages ont été diffusés en boucle pendant nos enfances et sont donc devenus des films-doudous.
L’autre jour, j’ai re-regardé Madame Doubtfire dans l’idée de me faire ce petit plaisir. Mais, oh misère, j’ai déchanté.
J’avais gardé en tête les bons côtés de ce film sorti en 1993, qui aborde la question du divorce et de la garde des enfants — quand une relation de couple ne fonctionne plus, cela n’induit pas forcément que l’un des parents doit se couper de sa progéniture ! Et en prime, on aborde frontalement la problématique de la charge mentale : la mère de famille explique clairement qu’elle ne peut plus gérer les enfants, le travail de la maison et en prime, un mari qui ne fait pas grand chose.
Mais finalement, l’intrigue principale du film vient un peu ternir tout ça…
« Des arguments masculinistes » dans Madame Doubtfire
On parle quand même de quelqu’un qui se déguise pour voir ses enfants et contourner le fait qu’il n’ait pas obtenu leur garde. Il s’introduit donc dans son ancienne maison et prend un malin plaisir à avoir des conversations très personnelles avec son ex-femme (pour savoir quelle note sur 10 elle lui donne, en plus : très mature !).
Selon Hélène Breda, maîtresse de conférence en Sciences de l’information et de la communication à la Sorbonne, Madame Doubtfire utilise « un cliché très répandu du père irresponsable et puéril mais sympa et de la mère antipathique et mégère qui demande le divorce ». Elle développe :
« Au lieu de se remettre en question, Daniel se dit “Je suis comme je suis, je vais quand même continuer à voir mes enfants”. C’est présenté de manière sympathique mais ses arguments ressemblent à ceux des pères masculinistes : j’aime mes enfants donc j’ai le droit de les voir, et si elle (leur mère) ne me laisse pas les voir comme moi je le souhaite, je trouverai un autre moyen. »
Sans oublier que la mère paye sans le savoir son ex-mari 300$ par semaine, pensant avoir affaire à une gouvernante, pour un boulot qu’il aurait dû faire en tant que parent ! Donc on est carrément sur une grosse arnaque financière en plus d’un coup moralement plus que discutable.
Un homme habillé en femme selon Madame Doubtfire
Par ailleurs, ce film présente deux facettes complètement opposées des représentations LGBTI+. D’un côté, on a le personnage du frère de Daniel qui est clairement identifié comme gay et en couple avec un homme ; Daniel appelle son partenaire « tante Jack » en le mentionnant devant les enfants, donc cela montre bien que c’est normal et accepté dans la famille. Super pour l’époque !
Oui mais… L’autre représentation qu’on peut interpréter comme queer dans le film, celle qui est bien plus présente, est le personnage de Madame Doubtfire. Les ressorts scénaristiques tournent autour du fait qu’une femme soit en fait un homme habillé en femme et qu’il n’y a rien de plus drôle ou d’effrayant, comme le détaille Hélène Breda :
« Le travestissement comme un élément comique est extrêmement répandu dans la culture populaire. On le présente comme quelque chose de parodique et caricatural parce que ça crée un bouleversement des normes de genre et donc de la société.
Heureusement, il y a eu un progrès sur la manière dont on présente les personnes qui se travestissent ou les personnes trans. »
La scène la plus frappante à ce sujet est celle où Chris, le fils de Daniel, découvre Madame Doubtfire en train d’uriner debout dans les toilettes. Le garçon et sa grande sœur Lydia crient au monstre et sont sur le point d’appeler la police tout en la menaçant d’une raquette pour qu’elle reste à distance.
Bien sûr, c’est le moment où Daniel choisit de révéler son identité. Mais que se serait-il passé si c’était bien à une femme transgenre que les enfants avaient affaire ?
Choisir de se faire passer pour une personne appartenant à l’autre genre pour atteindre un but caché (ici, avoir la possibilité de voir davantage ses enfants — mais aussi en profiter pour fouiner auprès de son ex-femme), c’est aussi donner du crédit à une idée transphobe qui voudrait que les personnes trans se font passer comme telles pour faire des choses répréhensibles ; un cliché délétère utilisé aux États-Unis en 2013, par exemple, lorsqu’il y avait un débat sur une loi californienne concernant l’accès des enfants trans aux toilettes genrées.
Il est également question dans le film d’un lien entre le fait de s’habiller en femme et une santé mentale instable. On voit cela à travers la mention de Norman Bates, le protagoniste de Psychose (quand Daniel doit renfiler le costume de Madame Doubtfire mais ne peut pas mettre sa prothèse faciale), et le verdict du juge à la fin du film qui recommande « une évaluation psychologique et peut-être même un traitement ».
Même si ce n’était pas l’intention des créateurs, cela montre comment l’époque était imprégnée d’une transphobie flagrante. Tous les mauvais traitements (moqueries, discriminations, rejet) que subissaient les personnes trans sont ignorés et accentués sous couvert d’humour.
Peut-on aimer (et montrer) Madame Doubtfire en 2021 ?
Faut-il alors jeter vos bons souvenirs de Robin Williams imitant un hot-dog aux oubliettes ? Non, heureusement, mais « il faut avoir une distance critique générationnelle en regardant le film », conclut Hélène Breda.
Madame Doubtfire reste un très bon divertissement : il ne s’agit pas de décider de ne plus jamais le regarder ou le faire découvrir aux plus jeunes. Mais dans ce dernier cas, peut-être qu’après l’avoir regardé avec des enfants qui le découvrent, cela vaut le coup d’entamer une discussion ! Vous pourriez être surprise : ils auront peut-être un regard critique plus affûté que le nôtre à leur âge…
Madame Doubtfire est sur Disney+
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Les Commentaires
Alors oui, il trompe tout le monde, mais c'est faux de dire qu'il se fait "grassement payer par la mère pour un rôle qu'il aurait du assumer en tant que parent". C'est oublier un peu trop facilement que Daniel l'a proposé justement à Miranda (la mère parce que oui, elle a un nom qui n'est pas cité dans l'article je crois, ce qui est assez ironique si on tacle le film de sexiste mais bon...) AVANT et qu'elle a refusé (et qu'elle l'accepte à la fin du film une fois que les blessures de couple sont apaisées) !
Et que suite à ça, il est désespéré de voir si peu ses gosses (et eux aussi d'ailleurs) alors que c'est lui qui s'en occupait le plus avant le divorce (bon certes il était immature voir irresponsable, mais il s'en occupait, le film commence d'ailleurs par une scène où il va les chercher à l'école), et que la garde des enfants est devenue un enjeu de pouvoir (comme 95% du temps malheureusement dans la vraie vie).
C'est Miranda (ou du moins son avocate, parce qu'on montre bien que ça la rend triste, que c'est un peu à contre-coeur, mais n'empêche elle consent) qui fait tout pour avoir la garde quasi exclusive. et que Daniel ne les voit quasiment plus. A grand renfort de "c'est un bouffon avec un métier instable". C'est Miranda qui préfère laisser ses enfants à la garde d'une nounou plutôt qu'à leur père (aussi parce qu'elle a besoin d'une femme de ménage/cuisinière en plus, donc j'imagine que Daniel devait aussi assumer pas mal de tâches ménagères à la maison, du coup). Je pense qu'il ne faut pas l'occulter non plus...
Justement, si j'ai toujours adoré ce film et encore aujourd'hui malgré ses défauts de comédie pas forcément finaude tout le temps, maintenant datée, c'est qu'il est hyper subtil et tout sauf manichéen. Même le personnage de Miranda, qui parait effectivement au premier abord surtout reloue, est hyper subtil. Et Daniel n'est absolument pas idéalisé, on montre bien dès la première séquence du film et après quand Miranda parle avec Mrs Doubtfire, à quel point il laissait tous les trucs relou à gérer à sa femme pour endosser le rôle facile du parent sympa, et que non, ce n'est ni normal ni cool.
D'ailleurs le film montre aussi son évolution de ce point de vue-là, ainsi que celui de Miranda qui apprend aussi à lacher un peu prise une fois qu'elle n'est plus obligée d'assumer tout le temps le rôle du parent raisonnable.
Quand à l'accusation de transphobie avec que les juges demandent une expertise psy... C'est peut-être plus pour le stratagème de fou qui est allé super loin, plutôt que sur le travestissement en soi, non ? Enfin moi c'est ce que j'ai toujours pensé en voyant le film, d'autant que finalement c'est le personnage de Mrs Doubtfire (et pas juste son apparence) qui permet plus tard à Daniel de trouver un boulot stable en ayant sa propre émission de télé. Ce qui à mon sens est super positif pour le coup.