L’autre jour, ma collègue Elise m’a parlé d’un truc formidable diffusé par Arte : un documentaire dédié aux rêves lucides – des rêves dans lesquels le dormeur aurait conscience de rêver… et aurait parfois même la capacité d’influencer le cours du rêve !
Selon un article de Jean-François Marmion pour le magazine Sciences Humaines, nous entendons parler de ces drôles de rêveurs pour la première fois en 1867 – dans un ouvrage, un jeune marquis, Hervey de Saint-Denys, décrit ses rêves, raconte qu’il s’éveille pendant ses rêves et parvient à modifier le cours du rêve.
Plus tard, en 1913, Frederik Van Eeden, un psychiatre hollandais, est le premier à utiliser le terme de « rêve lucide » pour décrire le phénomène. Mais qu’est-ce donc que ce phénomène, au juste ?
Le rêve lucide : avoir conscience que l’on rêve pendant un rêve
Il existerait donc des gens qui réalisent qu’ils rêvent et qui peuvent décider du déroulement de leurs rêves. Pour la psychologue Brigitte Holzinger, les rêveurs lucides passent par plusieurs étapes : dans un premier temps, ils prennent conscience qu’ils rêvent – ils savent qu’ils dorment, mais ils ont atteint une certaine forme de conscience, entre l’éveil et le sommeil, où la conscience a le contrôle des pensées.
Lorsque l’on réalise qu’on est en train de rêver, nous sommes déjà dans un rêve lucide – même si nous ne parvenons pas à changer l’histoire de notre rêve. Quelque chose nous paraît étrange, illogique, décalé et nous prenons conscience que nous sommes en train de rêver.
Ensuite, après cette forme d’éveil, les rêveurs lucides peuvent moduler leurs rêves. Certain-e-s pourront par exemple décider de rêver d’un déjeuner avec Obama, ou d’une victoire sportive, ou de chanter devant une foule en délire, ou de rejouer un moment agréable de leurs vies…
Dans les rêves lucides, nous serions donc dans un état « intermédiaire » de conscience – nous dormons et sommes éveillés à la fois.
Le rêve lucide, c’est scientifique ?
Si l’idée de rêve lucide a parfois suscité le scepticisme des scientifiques, la recherche s’est bien penchée sur le sujet. En 1983, Stephen Laberge, pionnier de la recherche sur les rêves lucides, demande à 7 volontaires habitués des rêves lucides de réaliser une série de mouvements oculaires spécifiques dès qu’ils prennent conscience qu’ils rêvent.
Même si le nombre de participant-e-s est très limité, l’expérience est une réussite : les rêveurs parviennent à réaliser la série de signaux oculaires une cinquantaine de fois, et l’expérience sera reprise et confirmée de nombreuses fois.
Plus tard, en plaçant des électrodes sur le crâne de volontaires, Brigitte Holzinger et Stephen Laberge enregistrent l’activité électrique du cerveau des rêveurs lucides pendant leur sommeil. L’équipe de recherche observe alors que les fréquences des ondes mesurées changent dans les rêves lucides : chez les rêveurs lucides, la zone active est celle du lobe pariétal de l’hémisphère gauche, qui est également active chez les personnes éveillées lorsqu’elles discutent ou qu’elles raisonnent… alors que c’est le lobe pariétal de l’hémisphère droit qui s’active dans un rêve « standard ».
Les constats deviennent même plus impressionnants : dans les rêves lucides, le corps réagirait comme s’il était en situation réelle. Autrement dit, lorsque le rêveur lucide coquinou rêve qu’il a des relations sexuelles, sa fréquence respiratoire et sa pression sanguine augmentent – comme s’il avait des relations sexuelles réelles ! Autre exemple, lorsqu’un rêveur lucide rêve de courir, les zones cérébrales liées aux mouvements des jambes s’activent…
En fin de compte, si le corps est bien endormi, le cerveau, lui, est bien éveillé !
Peut-on s’exercer à faire quelque chose en rêve et avoir des impacts en vrai ?
Le truc est incroyable : si un rêveur lucide s’entraîne à faire quelque chose pendant son rêve, il pourrait bien réussir ce quelque chose ensuite dans la vie réelle – en fait, puisqu’une action réalisée dans un rêve lucide mobilise les mêmes réseaux de neurones qu’une action réalisée dans la réalité, l’action laisse aussi les mêmes traces mnésiques.
Le psychiatre Paul Tholey s’est par exemple exercé à faire du snowboard dans ses rêves, et la première fois que le psychiatre a chaussé son snow, il a su s’en servir. Ainsi, si vous êtes musicien, le rêve lucide pourra être l’occasion de travailler votre musique, de composer…
Dans une étude, le psychologue du sport Daniel Erlacher a également montré que les rêves lucides permettaient aux sportifs d’intégrer plus rapidement des enchaînements de mouvements complexes.
Peut-on tous devenir des rêveurs lucides ?
Figurez-vous qu’environ 8 personnes sur 10 auraient déjà fait, au moins une fois, un rêve lucide. Nous devrions donc tou-te-s être capables de nous entraîner à rêver lucide, même si certain-e-s seraient plus doué-e-s que d’autres (les personnes ouvertes aux expériences nouvelles, ainsi que les individus faisant régulièrement des cauchemars seraient plus sujets aux rêves lucides).
Pour s’entraîner à « rêver lucide », nous devrions commencer par essayer de nous souvenir le plus possible de nos rêves au réveil, puis d’y repenser pendant la journée pour « fixer » ce souvenir. Deuxième astuce : nous devrions également nous poser le plus souvent possible la question « suis-je en train de rêver ou suis-je éveillé ? » – de cette manière, la question pourrait devenir un automatisme, et nous pourrions finir par la poser dans un rêve.
Un appareil, le « nova dreamer », est aussi utilisé dans les recherches pour initier des rêves lucides : il s’agit d’un masque opaque, similaire à ceux qu’on utilise pour dormir, qui a des capteurs intégrés détectant le moment où le sujet commence à rêver. Dès qu’il détecte le rêve, le masque envoie de petits signaux lumineux – le sujet voit alors des étoiles ou d’autres motifs lumineux, ce qui lui permet de se poser la question « est-ce que je rêve », et de comprendre qu’il est dans un rêve !
Pour Ursula Voss, professeure de psychologie, les rêves lucides ne pourraient toutefois pas apparaître et durer à volonté – de jeunes rêveurs lucides entraînés ne feraient pas plus d’un à deux rêves lucides par semaine.
Les recherches sur les rêves lucides ne sont pas anodines, au contraire : les rêves lucides pourraient permettre de surmonter des cauchemars, de travailler sur nos phobies, de réduire notre stress, de créer des moments de réconfort, d’augmenter notre bien-être… Le monde du rêve lucide, de ses mécanismes, de ses impacts reste à explorer ! Et à nous de rêver…
Pour aller plus loin :
- A propos du documentaire d’ARTE
- Le documentaire
- L’article d’Ursula Voss pour Cerveau&Psycho
- L’interview de Brigitte Holzinger, pour Cerveau&Psycho
- L’article de Jean-François Marmion pour Sciences Humaines
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