Cet article est le troisième épisode du journal de bord d’Anouk Perry sur un voilier queer et féministe. Vous pouvez lire les épisodes précédents et suivants ici :
Cela fait un peu plus d’une semaine que je suis arrivée sur Triton, un voilier se revendiquant Queer et féministe. Après des petites navigations tranquilles, il est temps de réaliser notre première grande traversée ensemble, en partant de l’île D’Yeu, située au large des Landes, jusqu’à Gijon, au nord de l’Espagne.
Au port, les voisins nous disent tous que cette traversée est réputée comme compliquée, car cette partie de l’Atlantique est très mouvementée…
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Se préparer à la traversée
En voilier, rien n’est simple, il faut choisir le bon jour de départ pour avoir du vent qui nous porte (mais pas trop, ça serait dangereux), vérifier que les vagues ne sont pas trop hautes, trop fortes, mais aussi préparer le bateau à passer trois jours en mer.
Quelques jours plus tôt, deux membres d’équipage nous ont quittés. C’est donc avec deux nouvelles, Claudi et Sushi, que nous faisons tous ces préparatifs. Hannah, notre skipper, est toujours là.
Après avoir repoussé la traversée pour cause de mauvaise météo, une fenêtre de trois jours nous semble bonne pour se lancer. Nous programmons nos réveils à 6h30 du matin. Demain, nous partons enfin !
Journal de bord de la traversée
7h30, le départ
Nous larguons les amarres et nous nous rendons au ponton destiné à faire le plein de gasoils. La manœuvre est un peu plus périlleuse que prévu, un autre bateau arrive et semble pressé. Claudi lui crie “DOU-CE-MENT” avec un accent allemand à couper au couteau. Je me marre en me disant que ça marche autant que de crier “calme toi” à quelqu’un d’énervé. À 7h45, nous sortons enfin du port, mais je vois Hannah inquiète car un énorme ferry ne devrait pas tarder à partir du même port en passant par le même chenal, et il va bien plus vite que nous. J’imaginais la sortie du port plus tranquille…
8h30, on hisse les voiles, nous voilà au large
Nous voilà au large, nous hissons les voiles et prenons le cap. Enfin pas exactement le bon, car le vent n’est finalement pas si favorable ce matin. Tant pis, on rectifiera le tir plus tard.
À 10 heures, Hannah et moi prenons en premier la barre pendant que nos acolytes retournent se coucher… C’est notre premier quart. À partir de ce moment, toutes les 4 heures, nous permutons en duo pour nous relayer à la barre, Triton n’ayant pas de pilote automatique.
Après 4 heures à barrer, je rentre dans le bateau et soudain, je ne me sens pas bien du tout. J’ai le mal de mer et je repense à un commentaire expliquant que certaines personnes font des crises de claustrophobie au large, car aucune issue n’est possible. J’ai la bonne idée de me souvenir que j’ai des tendances claustro, et que nous sommes parties pour 2 jours et demi de navigation.
À 18 heures, ça finit par passer, et Hannah et moi reprenons la barre. Nous assistons à un coucher du soleil magnifique. Cette traversée va être tranquille, on le sent !
Minuit : « J’ai beau ne pas parler allemand, je me doute qu’il y a un GROS problème.«
À 22 heures, nous partons nous coucher, laissant les autres à la barre. Deux heures plus tard, alors que je dors, je me fais réveiller par des “Scheiße ! Scheiße !”. Le bateau se met à tanguer dangereusement et j’entends des énormes bourrasques de vent. J’ai beau ne pas parler allemand, je me doute qu’il y a un GROS problème. Je sors une tête et découvre que la grand-voile s’est déchirée. Pas du tout drama (si), j’imagine déjà ma mort au milieu de l’océan, la réaction de mes parents, et je me dis que ça serait dommage de mourir là, si jeune.
Les autres m’encouragent à retourner me coucher. Vu le vent et la houle, il serait dangereux de faire quoi que ce soit tout de suite, donc autant que je me repose. J’accepte de retourner dans ma couchette, mais juste avant de rentrer à l’intérieur, je blague “réveillez-moi si on coule”. Personne ne rit.
À 2 heures, je n’ai pas réussi à dormir et c’est à mon tour de barrer jusqu’à 6 heures du matin. De temps en temps, Hannah me dit qu’elle voit des dauphins autour des bateaux. Moi pas. Je suis blasée.
Au moment de rendre la barre à l’autre équipe, on prend le temps de ranger la Grand-voile déchirée. On n’a désormais qu’une seule voile qui nous tracte, notre voilier est beaucoup moins stable et va moins vite. On fait avec.
6h30, je me couche habillée. Me changer me ferait perdre des minutes de sommeil. Je. Veux. Dormir. On me réveille à 9h45, c’est bientôt mon tour de barrer.
18 heures : réparer la grand-voile
Alors qu’on rend la barre à l’autre binôme, je vois Claudi courir à l’arrière du bateau et vomir. Elle avait dit qu’elle nous cuisinerait un repas pour ce midi, je suppose que c’est mort. Je m’y mets.
En fin de journée, à 18 heures, on décide de tenter de réparer la grand-voile, mais le trou fait près de 2 mètres et nous sommes brassé•es par la houle… Alors, pendant que Hannah barre, Claudi coud grossièrement le trou, et moi, je soutiens Claudi pour ne pas qu’elle tombe dans l’océan. Ça nous prend plus de 2 heures.
On hisse ensuite de nouveau la grand-voile. On est fébrile, est-ce que la couture va tenir ? Pour l’instant, ça semble fonctionner. OUF.
À 22 heures, je cours me coucher habillée dès que l’autre binôme prend la barre, jusqu’à mon prochain tour, qui aura lieu avec Hannah, à 2 heures.
Notre moment venu, Hannah s’endort à côté de moi, je me sens en forme, alors je la laisse dormir.
4 heures : boule de lumière non identifiée
Je la réveille en panique : il y a une boule de lumière qui est apparue soudainement. C’est quoi ? Un gros bateau que je n’avais pas vu ? Va-t-il nous percuter ? Elle prend les jumelles et rit : c’est la Lune. Cette anecdote est marrante, mais il nous reste 2 heures à barrer et je commence à bâiller sévèrement. Finalement arrive 6h, et je file dormir jusqu’à mon prochain shift, à 10 heures, heure à laquelle on reprend la barre. Il ne se passe rien, on est fatigué•es, et on n’ose pas écouter de musique de peur de réveiller les autres. Bref, on s’ennuie un peu là.
À 14 heures, je pars dormir une heure, et au réveil, je me sens mieux. Je me dis (presque) que je ne suis plus fatiguée. Deux heures plus tard, alors que je bouquine, j’entends les autres crier. Nous sommes entouré•es de dauphins. Ils sont si mignons. On en oublierait presque une autre info primordiale : nous sommes enfin arrivé•es en territoire maritime Espagnol !
Arrivée au port et… un cargo qui nous fonce dessus
18 heures : c’est bon, on voit vraiment la côte, mais on aperçoit au loin un gros bateau cargo qui semble nous foncer dessus. Changer de cap est compliqué pour nous, car il serait difficile de revenir direction le port avec le vent qu’on a. Alors, on attend de voir si le cargo change de cap…
… Ce qui ne semble pas arriver ! Je souligne aux autres qu’on est minuscule comparé à lui, que ce n’est pas grave si on perd une heure, on me répond d’être plus patiente. Ai-je confiance en leur décision ? Bof.
Finalement, au bout de quelques minutes, ledit bateau cargo change de cap, il n’y a plus de risques, et la côte est de plus en plus proche.
21 heures : on range les voiles, l’entrée du port de Gijon s’approche !
Enfin, après 2 jours et demi de traversée, nous arrivons au port de Gijon. C’est l’explosion de joie, on se sert dans les bras, on est méga fièr•es de ce qu’on a accompli.
Maintenant direction les toilettes, la douche, et surtout notre ultime but : le repos !
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On a hâte de vous lire !
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Les Commentaires
Je suis étonnée qu'elles n'aient pas eu de voile de rechange en revanche, mais les expériences que j'ai à ce niveau concernaient des bateaux de course (pas les miens, des gens que je suivais). Et elles ont dû complètement enlever la voile pour la réparer ?
C'est chaud un trou de deux mètres, en tout cas. Bravo d'avoir réussi à réparer ça.