Depuis mars 2006, une bande de sexagénaires crée la surprise dans les billetteries françaises avec la tournée Age tendre et têtes de bois, du nom d’une célèbre émission de radio des années 60. Le principe ? Réunir sur scène ceux qui il y a 40 ans, régnaient en maître sur la variété française. Depuis le début de la tournée, ils sont des milliers à se déplacer pour voir Frank Alamo, Richard Anthony, Michelle Torr et autres étoiles des sixties dégainer leurs tubes. A tel point qu’une nouvelle tournée est prévue en 2007. (Plus d’infos sur cet article sur senioractu.com)
Et si dans 40 ans, les machines à hits des années 2000 revenaient surfer sur l’effet nostalgie ? Et si la scène injectait un ptit coup de botox à leur carrière ? Imagine : ça s’appellerait « Kiffe la vibe » et de Leslie à M.Pokora, ils seraient tous là. A la veille de la nouvelle année, toi internaute en quête de sensations fortes, je te propose un Retour Vers le Futur dans les coulisses de leur tournée. Séquence émotion.
Strasbourg. 17h30. Dans sa loge déjà encombrée de cadeaux, à l’heure où ses coéquipiers se détendent autour d’un Pepsi Mangue, Jenifer se prépare. La veille, le public de Lille a réservé un accueil triomphal à la troupe de Kiffe la vibe et la chanteuse a bien l’intention de graver leur dernière prestation dans les mémoires. « Vous savez, tant de bonheur, c’est un don qui mérite retour. J’ai toujours été professionnelle à 120% et je le serai jusqu’au bout. »
A plus de 60 ans, l’interprète de J’attends l’amour semble goûter chaque minute de ce come back inespéré, elle qui depuis les années 2020 semblait avoir définitivement renoncé à la chanson pour se consacrer à sa famille. « Les journalistes qui voient Kiffe la Vibe comme le miracle des ringards, j’avoue que ça m’agace un peu. Ok, on ne passe plus sur les grandes radios jeunes, la hype nous ignore, mais le public, lui, a toujours été là. Il y a toujours eu une place dans le cœur des gens pour les singles qui les faisaient vibrer et il y en aura toujours. », lance-t-elle en ouvrant l’un des nombreux holomails (1) qui tombent sur son iPod X-Novo. « Tiens, regarde ça « Salut Jenifer [une femme d’un certain âge agite une peluche à l’effigie de Pikachu, ce personnage incontournable du début des années 2000 devenu il y a peu le symbole d’une génération]. Juste un ptit mot pour te dire que ma petite-fille de 10 ans te kiffe grave. Je l’ai emmenée vous voir tous à Caen, c’était de la bombe. Elle connaît toute ta disco par cœur. [Un holo-smiley MDR envahit l’espace].» Des messages comme ça, j’en ai tous les jours. Des sites web consacrés à mon travail, tu peux en trouver des centaines. C’est ringard, ça ? »
(1) Message en visio 3D devenu monnaie courante dans les années 2010s. Baptisé holomails par contraction d’hologramme et mail.
Le succès de la tournée s’inscrit pourtant dans une véritable tendance de fond de la musique actuelle, encline à mettre au premier plan les stars les plus âgées de son catalogue pour satisfaire des seniors toujours plus nombreux et toujours plus puissants. Qui aurait parié sur le boom de ce que le philosophe Steevy Boulay a récemment baptisé « Le phénomène Morts-Chantants » (2) , ces groupes de stars décédées fabriqués de toute pièce à partir de micro-samples de leurs voix ? Qui aurait pu croire au succès de la tournée Twice as Beyoncé (Deux fois Beyoncé), show monumental qui voit la star du R&B des années 2000 monter sur scène face à une représentation 3D d’elle-même il y a 40, 30, 20 et 10 ans, dans une série de duos étonnants retraçant l’histoire de sa carrière ?
(2) Voir « Musicalité et post-modernité« , par Steevy Boulay, aux Editions 2.0
« J’ai beaucoup de respect pour Beyoncé », commente Jenifer, « mais tout ça a un côté macabre. ». Et la chanteuse d’ajouter « Et puis liftée comme elle est… Je sais pas… elle a l’air embaumé, non ? Ce registre-là ne m’intéresse pas. Je préfère que le public me voie telle que je suis, aujourd’hui, sans retouches et bien vivante ». Derrière les réparties de Jenifer, sous la couche de fond de teint qu’elle s’applique pour « donner le meilleur » à son public, on sent pourtant la fébrilité d’une star blessée de se voir boycottée par les grands médias, moquée par la tendance. Il ne fait pas bon vieillir dans le show biz, où le raz-de-marée « Kiffe la vibe » fait jubiler autant que sourire.
« C’est clair qu’à part sur Nostal’J, on nous entend pas trop en mainstream », note M. Pokora, lucide. « Mais franchement, j’ai zéro prise de tête à ce niveau là. Pour moi c’est les gens qui comptent. Pas les médias ». Pour celui qu’on surnommait autrefois le Justin Timberlake français, le concert à venir a une importance toute particulière. Strasbourg, la ville qui l’a vu naître, doit le retrouver au mieux de sa forme. Coup du sort : l’ex-sex symbol est sorti diminué du concert de la veille. Handicapé par un lumbago, il doute de pouvoir être à la hauteur. « J’ai trop forcé hier. Pour un gars de mon âge, la choré de Showbiz c’est du marathon. J’ai un bon kiné mais… Je le sens mal ».
Même son de cloche chez Chimène Badi, préoccupée par l’état de sa voix à quelques heures du coup d’envoi de la soirée. « J’en serais presque à faire comme Céline Dion : arrêter carrément de parler », plaisante-t-elle, le regard légèrement inquiet.
« T’inquiète tu vas déchirer », la rassure Diam’s, assise à califourchon sur sa chaise réservée. « Toute façon elle a le trac tout le temps. Je l’ai jamais vue relax de toute la tournée, sérieux. Nan, elle va déchirer grave, je te dis ». Diam’s, c’est le petit moteur du groupe. Celle qui a su gérer au mieux les aléas d’une carrière, aussi. Aujourd’hui productrice, respectée pour son flair, c’est elle qui a eu l’idée de réunir les gloires des années 2000s le temps d’une tournée. Mission accomplie pour la chanteuse à l’éternelle panoplie sportswear. « Ce truc ça marche tellement qu’on recommence l’année prochaine », commente-t-elle, un grand sourire aux lèvres. Tu verras dans la salle ce soir, comment ça va vibrer. Tu comprendras. »
18h30 – Panique en coulisses : au beau milieu du soundcheck, M. Pokora s’écroule, terrassé par la douleur. En cause : un larsen dévastateur amplifié par un sonotone mal réglé. Stupeur générale : l’équipe ignorait tout de l’appareillage du chanteur.
Ilona Mitrecey, ex-petit prodige de la chanson et réalisatrice de la tournée, ne cache pas sa fureur. « Je rêve. On forme une team, Matt ! Et ce qui te concerne ME concerne aussi. Comment tu veux qu’on aille au bout si tu nous caches un truc pareil ? Merde alors. » Un technicien rappelle à Ilona que le chanteur est dans l’incapacité temporaire de l’entendre. « Et ça, tu l’entends, ça ?, explose-t-elle en esquissant un doigt d’honneur. « Ah ça, aller tâter de la groupie, on peut encore. Mais m’informer de son état de santé, ça non ! C’est pas vrai, putain… Ce sera quoi demain ? La prostate qui déconne ? La moumoute qui décolle ? ».
Dans l’assistance, c’est la consternation. A quelques minutes du concert, il faut se rendre à l’évidence, M. Pokora ne chantera pas ce soir. Fiona, sa femme, est en larmes. « C’était tellement important pour lui, cette soirée. Ca fait des semaines qu’il se bourre de ginseng. Il prend de la DHEA par camion-benne. Il a même suivi un entraînement militaire en Floride pour se préparer… C’est terrible. Viens Jay-Z, on va consoler papa », renifle la jeune femme à l’intention du labrador fétiche de l’artiste.
19h40 – Derniers préparatifs. Pendant que Diam’s regarde les critiques de la veille sur Meta-Music, la Web Télé Musicale la plus influentes du moment, Chimène Badi ajuste sa tenue de scène. « J’ai confiance. L’accident de tout à l’heure me donne encore plus envie de tout donner ce soir. Vous verrez. Je vais donner de la voix comme jamais. Après tout, j’ai plus de coffre qu’à 20 ans, maintenant », rit-elle en désignant l’étiquette de son lamé or taille 48.
Jenifer, occupée à suçoter des glaçons sur les conseils de son ténor de mari, est soudain prise d’un fou-rire et manque de s’étouffer. « Aïe. Ce serait la cerise sur le gâteau, là », lance la chanteuse en désignant Ilona Mitrecey. « Elle y connaît rien, de toute façon. Elle voulait que je chante en micro-short. En MICRO-SHORT ! Ca va pas la tête ? Je m’appelle pas Kylie Minogue (3) ».
(3) Référence à une chanteuse pop des années 1990-2000s, connue pour des tenues de scène extrêmement dévêtues, même à la toute fin de sa carrière. Une préférence vestimentaire qui lui valut d’ailleurs de nombreuses critiques dans la presse people.
19h50 – Une foule compacte attend Nikos Aliagas, le présentateur sans âge choisi pour servir de M. Loyal à la bande. Reclus depuis des années au Château, sa luxueuse villa Stambouliote (4), il a accepté de reprendre le micro le temps d’une tournée. « Je ne sais pas si je serai de la partie l’année prochaine. On doit me poser un rein en péri-silicone et un anneau gastrique », déplore Aliagas, en désignant l’imposante silhouette qui est désormais la sienne. « En attendant j’en profite au maximum. Diam’s ? Y sont où les maxi-burgers ? », s’enquiert-il quelques minutes avant le lever de rideau. « C’est que le trac, ça me donne faim. Si j’ai pas mes 3 burgers, je me chie dessus. Littéralement ».
Et la troupe d’éclater de rire au souvenir de la Première, cette soirée maudite où des ennuis intestinaux ont contraint Nikos à quitter la scène après à peine 10 minutes de show. Un incident qui lui vaut désormais le surnom de Super Sphincter.
(4) Istanbul est depuis quelques années la destination phare des people. La cité nouvellement européenne accueille déjà les résidences secondaires de nombreuses célébrités, dont celle d’Apple Martin, fille du célèbre leader de Coldplay et designer de renom.
20h30 – Engoncé dans son costume Gucci, Nikos ouvre le bal. Malgré 3 maxi burgers et une dose massive de phyto-relaxants, l’homme est aussi tendu que lors de la première. Pendant les répétitions, le stress et une mémoire défaillante l’ont poussé à confondre les titres, annonçant un Elle me contrôle à la place d’un J’attends l’amour, confondant Lorie et Leslie. Pour le public, peu importe : ce soir, il est là pour revivre en famille la variété de sa jeunesse. « C’est la troisième fois que je viens les voir », explique une adolescente venue en compagnie de ses parents. « J’adore. C’est un peu Ringsch (5), mais j’adore ».
(5) Ringsch : ringard + kitsch. Mot couramment utilisé dans le milieu jeune, qui privilégie aujourd’hui les mots-valises formés à partir de termes de différentes langues imbriqués ensemble.
Oubliés, les mouvements parfois plus lents ou les kilos superflus. Car quand la foule reprend en chœur le refrain d’Au Soleil, le dernier titre du spectacle, c’est un peu des années texto qui reprend vie dans la salle…
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