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Psycho

Mon retard de croissance, mon rapport à la nourriture… et moi

Après un trouble du comportement alimentaire, cette madmoiZelle a accumulé un retard de croissance pendant son adolescence. Elle témoigne.

— Tu manges tellement et t’es toute fine, comment tu fais ? — Oh ben t’as mangé que ça ce soir ? — Tu manges équilibré parfois ?

Allez-y,  posez-moi toutes vos questions. Oh je mange trop ? Je mange peu ? Je ne mange pas assez bien ? Je m’en fiche.

Tiens, ça glisse sur moi comme cette part de gâteau dans mon œsophage, ça ne m’atteint même plus. J’en ai bavé pour envisager la nourriture sereinement, c’est une victoire dont je serai toujours fière et que personne ne pourra assombrir.

La nourriture, mon enfer

Je restais des heures à table et les repas finissaient toujours en grosse dispute avec mes parents.

À 9 ans, j’ai quasiment arrêté de manger et j’étais incapable d’avaler plus de la moitié d’un steak haché. Je ne voulais plus être invitée chez mes amis pour manger, rester chez eux le soir, aller à la cantine ou faire quoi que ce soit qui touchait de près à un repas.

Les moments où je devais me nourrir étaient devenus insupportables : j’étais extrêmement difficile, je restais des heures à table et ça finissait en grosse dispute avec mes parents.

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Audrey Tautou dans Ensemble c’est tout

Au fil des années, ma famille s’inquiétait de plus en plus et continuait à me forcer. Je pouvais rester parfois plus de 3h devant mon assiette, entre pleurs et cris. L’ambiance à la maison était exécrable. Ces séances de torture finissaient régulièrement d’une manière : je jetais la nourriture grâce à des stratagèmes des plus astucieux. Voici un échantillon.

  • Enrouler les pommes de terre dans des couches d’essuie-tout pour les cacher au fond de la poubelle — à l’heure des cuisines américaines, je ne vous dis pas le niveau de discrétion que j’ai dû acquérir.
  • Mettre les bouts de viande dans mon tablier et courir dans ma chambre en haut pour tout jeter dans ma poubelle personnelle — le jour où tout a pourri et où l’odeur a fait monter ma mère a été un super moment.
  • Mon summum : cacher toute mon assiette dans un torchon, la mettre dans mon sac d’école et la jeter au collège.

Le retard de croissance, la partie visible de l’iceberg

En pleine croissance, arrêter de manger n’est jamais une bonne solution, je ne vous apprends rien. Ma courbe de poids a flanché et celle de ma taille a stagné comme jamais. J’étais la « toute petite » de ma classe, mes camarades me demandaient combien de classes j’avais sautées et si j’étais naine.

Au collège ça ne s’est pas arrangé, ma petite taille et ma petite voix étaient bloquées dans l’espace-temps de la primaire… Mes soucis avec la nourriture aussi.

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Mon médecin a alerté mes parents, ça devenait sérieusement compromettant pour ma croissance et ma santé. Je suis allée voir un endocrinologue en quatrième et j’ai passé des tests hormonaux de thyroïde qui ne révélèrent rien d’anormal : je bloquais ailleurs. Les rendez-vous ressemblaient plus à des séances chez le psy.

Ma mère et moi pleurions, tentions de comprendre la raison de mon dégoût pour la nourriture. Étais-je seulement très difficile et n’avais goût à rien ? Avais-je soudainement décidé de pourrir la vie à tout le monde ?

À lire aussi : J’ai testé pour vous : avoir des troubles du comportement alimentaire

Le divorce qui a traîné… et a tout déclenché

Nos séances étaient surtout l’occasion d’entendre le point de vue de ma mère, parce que moi… je n’ai jamais été très loquace. Au bout de quelques séances, j’ai réussi à ouvrir la bouche et à parler du divorce de mes parents.

Je ne leur en avais jamais voulu de se séparer. Tout le contraire en fait : j’avais été très affectée par leur première tentative… malheureusement avortée. J’avais 9 ans, quelle coïncidence ! Ma mère demande le divorce pour la première fois mais mes parents ne sont pas prêts.

Devoir choisir entre un des deux, les voir s’écrouler peu à peu, y compris dans mon estime : il fallait en finir. Alors les voir ré-essayer de se mettre ensemble, rechercher une nouvelle maison pour tout recommencer, ça m’a beaucoup affectée. Je sais que je leur en ai voulu pour ça et on avait probablement trouvé la cause. (Pour info, ils se sont séparés pour de bon deux ans plus tard sans accrocs et avec beaucoup de bienveillance, comme quoi.)

À lire aussi : Mon père et moi, de la distance à la complicité — Témoignages croisés

Trois ans de retard sur ma croissance

Plusieurs radios du poignet (qui permet de déterminer rapidement « l’âge osseux ») plus tard, le verdict tombait : j’en étais à 3 ans de retard sur ma croissance, difficilement rattrapables. Je paniquais. Déjà que ma famille n’était pas grande, est-ce que j’allais atteindre les 1m50 un jour ? Ça devenait une obsession, pour moi cette taille était au moins le minimum à atteindre.

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J’étais bloquée avec ce retard. Tout devenait plus difficile : les remarques de mes camarades (bien que je n’eus heureusement pas à me plaindre de harcèlement scolaire, loin de là), ma vie adolescente, mes énormes complexes, ma puberté très tardive, les opérations qui devaient attendre la fin de ma croissance

Je portais tout ça comme un fardeau, ma famille — et surtout ma mère, le portait aussi.

Réapprendre à manger… ce que je veux

Je me souviens que mon endocrinologue se voulait rassurant, mais chaque séance me plaçait en-dessous de toutes les courbes minimum de poids et de taille, malgré mes maigres efforts. Alors je me souviens qu’il a regardé ma mère et lui a dit :

« Il faut qu’elle mange… uniquement ce dont elle a envie. »

Je faisais moi-même les menus : le bonheur de chaque enfant !

J’étais capable d’avaler de la nourriture, ça ne me donnait pas envie de vomir ni rien, même si mon estomac était minuscule et que j’étais très vite rassasiée. Je préférais manger trois bouts de saucisson et deux gâteaux dans la journée plutôt qu’une assiette de poulet-haricots.

C’est donc globalement ce que j’ai mangé pendant les années qui ont suivi : du saucisson et des gâteaux. Je faisais moi-même les menus, quel bonheur pour un enfant.

À lire aussi : « Fat », l’incroyable poème sur les troubles du comportement alimentaire

Je ne mangeais ni pizza ni poulet au début, c’est dire si je partais de loin et si ça allait être compliqué. Donc j’ai commencé : « maman je veux des pâtes au jambon », « un sandwich au saucisson », « un petit-déjeuner au dîner ».

Au fur et à mesure, mon estomac s’agrandissait et je retrouvais un peu d’appétit, assez pour que ma mère en profite pour rajouter un steak haché à chaque repas, qu’importe ce que j’avais pu avoir avant.

Des gâteaux avant de manger ? Aucun souci. Un croque-monsieur à 23h ? Mais bien sûr. Tiens prends ce steak en passant. J’ai repris peu à peu du poids et surtout les crises — sur les repas — se sont calmées.

Se débarrasser des troubles du comportement alimentaire

Voilà l’épilogue de mon histoire. Passer de « mange ce que tu veux » à « en fait c’est bon là mais tu as des carences, mange des légumes » fut compliqué, je ne vous le cache pas. En effet, après ce régime pour grossir, ma mère et moi avons dû travailler pour diversifier mon alimentation.

Ça n’a pas été tout rose mais j’avais réussi à passer ce blocage qui m’avait pourrie pendant tout mon collège. Ma puberté est ensuite arrivée — après tout le monde — et j’ai grandi d’un coup à la fin du lycée.

Mes grands-parents ne voulaient plus me garder l’été, mes sœurs trouvaient l’air irrespirable à mes côtés, et ça n’a pas aidé ma crise d’adolescence.

Je sais que j’ai fait souffrir énormément de monde pendant cette période : mes grands-parents ne voulaient plus me garder l’été, mes sœurs trouvaient l’air irrespirable à mes côtés et ça n’a pas aidé ma crise d’adolescence.

Tout va mieux. Je ne sais pas comment on peut appeler mon trouble du comportement alimentaire mais j’admets maintenant que j’en avais un. J’avais pour habitude de tout nier en bloc mais je crois surtout que je me mentais à moi-même.

À lire aussi : #RecoveryIs, un message d’espoir contre les troubles du comportement alimentaire

Je suis fine, mais j’ai la dalle !

Aujourd’hui je fais 1m64, je suis toute fine avec un IMC de 16, mais je ne suis pas malade. Je mange quasiment de tout, j’ai même une nouvelle passion pour les aubergines. J’attends midi avec fébrilité toute la matinée et je me plains de mon ventre qui gargouille toutes les 5 minutes après 10h.

Je ne manque jamais le petit-déjeuner, je grignote parfois des Kinder, des chips à la moutarde et chaque repas est un vrai plaisir. Il y a des périodes où je n’ai pas très faim, oui, où je mange des céréales tout un dimanche parce que j’ai la flemme de cuisiner, mais comme ça pourrait arriver à n’importe qui.

J’ai mon poids de croisière et je suis bien avec.

— Tu es fine quand même…

Ouais ok, frère, mais je m’en balek.

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