Capucine Delattre, Un monde plus sale que moi
Avec son premier roman, Les déviantes (Belfond, 2020), Capucine Delattre, tout juste 19 ans à l’époque, nous avait déjà épatée. Pour être honnête ce n’est pas tant la trame de ce livre – entremêlant les destins bouleversés de trois femmes – qui nous avait marqué que l’incroyable plume de l’autrice, son style unique, la beauté et la finesse de ses analyses. Trois ans après, son second roman est une claque qui vient confirmer la naissance d’une sacrée écrivaine.
Dans Un monde plus sale que moi, paru ce 25 août chez La Ville Brule, elle raconte l’histoire d’Elsa, une jeune fille de 17 ans qui brule d’être aimée et de perdre sa virginité, découvre l’amour en même temps que #MeToo et plonge dans une relation dont elle pense qu’elle l’épanouira autant qu’elle la protègera de la violence des hommes. Pourtant, chapitre après chapitre, le « gentil » Victor se révèle loin d’être inoffensif.
On se retrouve en apnée, spectatrice d’une prise de conscience, dans la tête d’une victime qui se refuse à l’être, oscille entre déni, épiphanie, honte et sentiment d’illégitimité, creusant au plus profond d’elle-même pour chercher à comprendre, à dompter, à dire ce qui lui arrive. Dans cette implacable quête de vérité et de sens, la narratrice traque et déconstruit tout ce qui pourrait s’approcher d’une forme de prêt à penser ou de prêt à sentir faisant jaillir des idées, images et sensations si justes qu’on en reste sonnée.
Et happée par l’urgence qui se dégage de l’écriture vive, inventive et pulsatile de Capucine Delattre. Comme le résume si bien la quatrième de couverture – et c’est suffisamment rare pour être souligné ! – cette histoire n’est pas seulement celle d’Elsa ( ou peut être de l’autrice) mais bien celle de toutes ces filles, nées au tournant des années 2000, qui ont cru devenir femmes dans un monde suffisamment progressiste pour leur éviter d’être des proies. L’histoire d’un fol espoir, bien vite douché. Au-delà, c’est aussi l’histoire qu’on aurait aimé lire à la sortie de l’adolescence et qu’on voudrait offrir à tours de bras à nos ami.e.s, sœurs, frères et parents. Alors foncez acheter ce livre qui vaut autant pour son sujet que pour sa réelle qualité littéraire !
*Un monde plus sale que moi par Capucine Delattre, à La Ville Brule, 18€, 280 pages.
Sophie Pointurier, Femme portant un fusil
« Il n’y a rien de pire au monde que passer pour une femme qui déteste les hommes. On peut être raciste, antisémite, violeur ou bouffeur de bébés que les hommes nous le pardonneraient mieux qu’une suspicion de misandrie. (…) Pourtant, je ne les déteste pas, moi, les hommes. Je m’en passe, c’est tout. Depuis que j’ai décidé de vivre en dehors de la société, de leurs regards, ma vie a changé, le quotidien s’est apaisé et mon corps tout entier a enfin commencé à respirer ».
Alors qu’elle traverse une crise existentielle, Claude tombe par hasard sur l’annonce d’un hameau à vendre, perdu au beau milieu du Tarn. Cet « amas de maisons » et les possibilités en découlant, réveillent en elle la flamme qui s’est allumée lorsqu’elle a découvert le mouvement béguinal grâce au très beau roman d’Alice Kiner, La nuit des béguines (Liana Lévi). Soit des communautés de femmes, qui, dès le Moyen-Age, prirent possession d’un espace, échappant ainsi « à leur condition en refusant de prendre un mari ou d’entrer dans les ordres ». Jour après jour, au grès des rencontres, le projet d’un lieu construit par et pour les femmes prend forme. Avec Harriett, Elie et Anna, elle bâtit une utopie, dont elles éprouvent tant la beauté que l’impossibilité. Car ce roman constitue une énième illustration du pouvoir meurtrier de la haine des hommes mais aussi une passionnante exploration de la violence des femmes. Une bible sur les solutions alternatives féministes, portée par le regard aussi sociologique que sensible de Sophie Pointurier. En bref, une belle réussite !
*Femme portant un fusil par Sophie Pointurier chez Harper Collins, 19,90€, 272 pages.
Julie Héraclès, Vous ne connaissez rien de moi
Une jeune femme, le crâne rasé et la tête haute, le front marqué au fer rouge, marche au milieu d’une foule hostile et moqueuse, serrant dans ses bras un nouveau-né. Derrière ce visage – celui de la célèbre « tondue de Chartres » immortalisé par le photojournaliste Robert Capa le 16 août 1944 -, il y a une chartraine de 24 ans, Simone Touseau.
Avec son premier roman, Vous ne connaissez rien de moi, Julie Héraclès retrace d’une plume intense et subtile, la vie de cette femme accusée de s’être livrée à la « collaboration horizontale ». Depuis son enfance, alors que sa mère fait peser sur elle ses espoirs déçus, jusqu’à son histoire d’amour passionnée avec un soldat de la Wehrmacht, en passant par ses brillantes études d’allemand, son amitié avec Colette, une jeune juive, le calvaire de sa grossesse ou son travail de traductrice avec l’occupant ; l’autrice brosse le portrait d’une héroïne résolument libre, portée par un appétit de vivre qui n’a d’égal que son désir de revanche sociale. D’une jeune femme qui crût, à une époque aux promesses du IIIème Reich mais protégera quelques années plus tard une jeune résistante. Un fantastique page-turne, exempt de tout manichéisme, déjà en lice pour le prix du roman Fnac.
*Vous ne connaissez rien de moi par Julie Héraclès chez Lattès, 20,90€, 380 pages.
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