« Les Sources » de Marie-Hélène Lafon
Avec Les Sources, Marie-Hélène Lafon signe une sublime et subtile chronique familiale, courant de 1963 à 2021. Un récit implanté dans le Cantal – théâtre de nombreux romans de l’écrivaine qui y est elle-même née – et raconté à trois voix qui se succèdent pour dessiner l’histoire d’une famille d’agriculteurs marquée par la violence du père. On y découvre une femme prisonnière, « saccagée » par les violences protéiformes de son mari. Un homme, ressassant sa rancœur contre son ex-épouse ce « boulet » qui « le rendait dingue, avec ses yeux de chien » mais aussi contre toutes ces femmes qui, depuis mai 68, « veulent prendre la place des hommes ».
Et enfin leur fille, devenue adulte, qui retourne aux « sources » de son histoire en arpentant une dernière fois la demeure familiale qu’elle s’apprête, avec ses frères et sœurs, à vendre. Ce court roman, qui se dévore bien trop vite, est porté par l’écriture ciselée, précise et magnifiquement simple de la romancière. Sa plume peint des tableaux de nature, d’humains, de vie, si sensibles et détaillés que les images se substituent parfois aux mots. La beauté de sa langue contraste avec la dureté de ce qu’elle raconte.
En résulte, un roman sombre et lumineux qui constitue une excellente porte d’entrée vers l’œuvre de cette grande romancière notamment récompensée par le prix Renaudot 2020 pour sa splendide Histoire du fils. À acheter et offrir sans modération !
*Les Sources de Marie-Hélène Lafon, Buchet Chastel, 117 pages, 16€50.
« Ceci n’est pas un fait divers » de Philippe Besson
« Il s’est passé quelque chose ». Au téléphone, le souffle de Léa est court, déformé. La respiration de quelqu’un qui suffoque, pense son frère. Il a 19 ans, étudie la danse à l’Opéra de Paris depuis cinq ans. Elle a 13 ans, va au collège, vit encore avec leurs parents. Alertée par une dispute et un bruit de vaisselle cassée, elle est sortie de sa chambre et s’est glissée dans les escaliers. Sous ses yeux, dans la cuisine familiale, son père a poignardé sa mère avant de s’enfuir. Dix-sept coups de couteau. « Papa vient de tuer maman », finit-elle par lâcher.
Avec Ceci n’est pas un fait divers, Philippe Besson – dont on avait déjà beaucoup aimé Le dernier enfant (2021), variation autour d’une mère déchirée par le départ de la maison de son dernier fils – s’empare du sujet des féminicides dans un roman vertigineux. Ce dernier s’attache à mettre en lumière le point de vue, dont on parle peu, des enfants dont la mère a été tuée par leur conjoint. Porté par la voix du jeune narrateur, le récit explore les difficiles voies de l’après pour ces victimes invisibles prises en tenaille entre la colère, la culpabilité, le chagrin ou l’incompréhension. Pour tenter de comprendre ce qu’il s’est passé, l’adolescent fouille le passé, découvrant, en même temps que le lecteur, les multiples signes avant-coureurs de la tragédie. Mais aussi la lâcheté d’un ami ou les manquements de la gendarmerie.
On est secoué par ce roman sobre et très juste qui décrit le chemin de croix d’enfants brisés pour tenter de survivre. Et plus encore, apprendre à vivre à nouveau. Un texte incontournable.
*Ceci n’est pas un fait divers de Philippe Besson, Julliard, 208 pages, 20€.
Une simple histoire de famille, d’Andréa Bescond
D’elle, on connaissait déjà Les chatouilles, pièce à succès adaptée au cinéma et inspirée des violences sexuelles commises durant son enfance par un ami de la famille. Danseuse, comédienne, scénariste, mais aussi infatigable militante contre les violences masculines faites aux femmes et aux enfants, Andréa Bescond se révèle être, en outre, une redoutable romancière.
Avec son premier roman, qu’elle s’est décidée à écrire après avoir appris que son arrière-grand-mère avait tué son mari à la suite de violences conjugales, elle signe une saga familiale polyphonique qui se déploie sur plusieurs époques. En 1964, Louisette, enceinte, fuit la maison familiale pour se réfugier chez sa sœur auprès de qui elle compte élever seule son enfant. Plus de cinquante ans après, Hervé apprend que celle qu’il prenait pour sa mère, ne l’est en réalité pas. Parallèlement, sa fille, Lio, qu’il a élevé seule depuis la mort de sa femme, plusieurs années auparavant, découvre le secret de cette dernière.
Entremêlant leurs histoires pour démêler la pelote de destins abîmés, l’autrice explore la spirale des non-dits, la transmission des secrets comme des traumas, le poids de l’héritage familial, la violence des hommes, la tentation de la vengeance, mais aussi les chemins de la réparation et d’un possible bonheur.
On est complètement happé par ce page turner servi par une écriture charnelle, parfois crue, aussi poétique que rageuse. Une belle réussite, sensible sans être mélodramatique, qui témoigne de l’émergence d’une sacrée plume.
*Une simple histoire de famille d’Andréa Bescond, Albin Michel, 250 pages, 19,90€.
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