Sororité, santé mentale, racines… Il y a beaucoup de choses dans cette sélection de trois premiers romans publiés lors de cette rentrée littéraire d’hier. Voici nos trois coups de coeur du moment.
« Thelma« , de Caroline Bouffault, un roman bouleversant sur l’anorexie
Avec ce premier roman, Caroline Bouffault livre un texte subtil et tendre autour du vertige de l’adolescence et de l’anorexie. À 15 ans, Thelma vit sous le joug d’un dictateur intérieur. Celui qu’elle nomme « L’entraîneur » régit son quotidien, se réjouissant de chaque repas sauté ou gramme perdu, l’encourageant à ne jamais baisser la garde. À aller toujours plus loin. Tiraillée entre sa maladie et la volonté de guérir, la jeune femme tangue et tente de se frayer un chemin vers le monde d’adultes qui semblent aussi désorientés qu’elle.
La grande réussite de ce roman solaire est de parvenir à évoquer de manière si juste l’anorexie, sans chercher à tout prix à en expliquer les racines, ni à réduire son héroïne au statut de malade. Car c’est bien là le paradoxe ici mis en lumière, l’incroyable appétit de vivre de l’adolescente alors même qu’elle amène son corps vers la mort.
On est particulièrement touché par l’écriture organique de la romancière qui dit l’ivresse, mais aussi la souffrance d’un corps et d’un esprit poussés dans leurs retranchements. Coup de cœur de notre sélection, ce tendre roman est publié par Fugue, une toute nouvelle maison d’édition fort prometteuse.
*Thelma par Caroline Bouffault, aux éditions Fugue, 256 pages, 20€.
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« Les filles comme nous« , de Daphné Palasi Andreades, un roman brut sur l’amitié et les racines
Elles s’appellent Nadira, Anjali, Michaela, Naz, Mae, Aiza, Odalis… Elles sont, comme elles se définissent elles-mêmes, des « filles de couleur ». Celles de « la bière sans alcool du 7-Eleven », « de la terre », « du steak grillé d’un hamburger », « du sable » ou « du beurre de cacahuète ». Ensemble, elles constituent le chœur hétéroclite de ce premier roman vibrant qui court de leur enfance à leur mort, balayant les émois de l’adolescence, les études, le travail, la sexualité, le désir ou non d’enfants…
Elles vivent au fin fond du Queens et ont promis de ne jamais se séparer. Toutes tentent de se frayer un chemin, éternelles équilibristes d’une ligne de crête entre la culture américaine qui les a vues grandir et leurs origines. En classe, elles apprennent des choses que leurs parents ne savent pas et lorsque, le soir, elles voient leurs regards se voiler d’incompréhension au récit de leurs découvertes, elles se sentent tout en même temps méchantes et puissantes.
Prises en tenaille entre l’injonction de leurs parents à être obéissantes, discrètes et leur quête de liberté, entre la loyauté et l’ambition, elles tentent de trouver leur place. Certaines décident de ne pas quitter le quartier, ou d’y revenir, d’autres au contraire veulent s’en éloigner. Alors que leurs chemins bifurquent, un mur se dresse entre elles. Porté par un « nous » bouillonnant, ce roman brut écrit pas une jeune femme qui a elle-même grandi dans le Queens au sein d’une famille d’immigrés philippins porte la puissance de l’amitié féminine et interroge tant le poids que le cadeau de nos racines, mais aussi le racisme, le féminisme, la lutte des classes et ce qui fait une vie réussie.
*Les filles comme nous par Daphné Palasi Andreades, traduit par Emmanuelle Aronson, aux éditions Les Escales, 224 pages, 22€.
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« Le choix », d’Isabelle Hanne, au cœur des États-Unis post-abrogation du droit à l’IVG
Leah, 16 ans, fille d’un sénateur républicain qui enlève chaque matin sa Purity Ring sur le chemin du lycée. Mark, trentenaire paumé et très pieux, qui a choisi des rires de bébé comme sonnerie de téléphone. Norma, mère d’un petit garçon et de nouveau enceinte. Et Luke, 44 ans, médecin dans une clinique texane qui pratique les avortements. Quatre personnages et destins qui gravitent, se mêlent, autour de ce lieu, régulièrement pris d’assaut par des hordes de militants pro-life.
À l’heure où le droit à l’avortement est menacé aux Etats-Unis, depuis la chute de l’arrêt « Roe v. Wade » à l’été 2022, ce roman choral esquisse le portrait d’une société américaine déchirée par les tensions et fractures. Ponctué de passages en anglais dans le texte et porté par une écriture sobre et incisive, ce texte façon page turner s’appuie sur le travail de terrain de son autrice, Isabelle Hanne. Cette journaliste, ancienne correspondante aux États-Unis pour Libération a couvert le mandat de Donald Trump. Elle raconte avec précision et finesse, les clivages glaçants entre anti et pro avortements, mettant en lumière ce que l’intime a d’éminemment politique. Chapeau !
*Le Choix, par Isabelle Hanne aux éditions Goutte d’or, 352 pages, 19,50 €.
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