Roxane Gay, Difficult women
De la grande universitaire afro-américaine Roxane Gay, on connaissait les superbes essais Bad Feminist et Hunger. Deux textes publiés chez Denoël dont émanent une révolte communicative et un féminisme aussi décomplexé que décomplexant. Avec Difficult women, on retrouve son souffle rageur mêlé à une plume qui nous retourne. Ce recueil de nouvelles regroupe les premiers écrits littéraires de l’écrivaine qui, à l’époque, n’avait pas réussi à les faire publier. Les 21 histoires – plus ou moins longues – ici réunies, mettent en scène des héroïnes détonantes, anti-conventionnelles, aux prises avec la violence de la vie, des relations humaines. Et plus particulièrement des hommes. On y découvre deux sœurs, devenues quasi siamoises, après avoir été enlevées et violées par leur ravisseur. Les dessous d’une résidence huppée de Floride. Une femme qui se punit de la mort accidentelle de son enfant en fréquentant un homme qui la maltraite. Une autre qui feint de ne pas savoir que son mari et son frère jumeau échangent régulièrement leur place… Bien loin de la résilience dont on use et abuse à tout-va, Roxane Gay livre une galerie de femmes déchirées, abimées ou non adaptées aux normes de la société. Son écriture ciselée, et parfois cruelle, fouille le désespoir, mais laisse aussi entrevoir la possibilité du bonheur. Un livre puissant, parfois dérangeant, à lire absolument !
Difficult women, de Roxane Gay, traduit de l’anglais par Olivia Tapiero, Mémoire d’encrier, 338 pages, 23 €
Sylvie Pouilloux, Clandestines
L’actualité ne cesse de nous le rappeler : le droit à l’avortement n’est jamais un acquis. Mais un combat, loin d’être gagné. Avec Clandestines, Sylvie Pouilloux, remonte l’histoire de cette lutte, nous plongeant dans un moment charnière du mouvement pro-IVG en France. Aux lendemains du procès de Bobigny, au début des années 70, le combat pour les droits des femmes, et notamment la libre disposition de leurs corps, est en plein essor. Jane, dont le père, éminent médecin, soutient ouvertement l’association conservatrice pro-vie « Laissez-les vivre », tente de comprendre pourquoi sa sœur a subitement été exilée en Espagne. Son enquête l’amène à s’engager elle-même dans le mouvement pro-avortement aux côtés de Pierre, jeune médecin du Groupe information santé (GIS). Si on vous recommande ce premier roman, ce n’est pas – soyons honnête – pour l’inventivité de son style littéraire. Mais parce que ce texte très documenté, qui se tient à la frontière du récit historique, nous immerge entièrement dans les coulisses d’une cause qui nous concerne toutes et tous.
Clandestines, de Sylvie Pouilloux, Blast, 207 pages, 17€
Polina Panassenko, Tenir sa langue
Coup de cœur de notre sélection – mais aussi de nombreux libraires et critiques – Tenir sa langue est un bijou. L’histoire d’une petite fille, née Paulina à Moscou et devenue Pauline après l’exil de sa famille en France au lendemain de la chute de l’URSS. L’histoire d’un grand écart parfois déchirant entre deux langues, deux pays, deux cultures. Du dédoublement d’une fillette qui « met son français » quand elle sort, l’enlève en rentrant à la maison et se construit entre les « Minikeums » et les vacances dans la datcha de ses grands-parents. D’une adulte, enfin, qui décide de récupérer son prénom et se heurte à une conception de l’intégration quasi kafkaïenne. « Ce que je veux moi, c’est porter le prénom que j’ai reçu à ma naissance. Sans le cacher, sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. » écrit-elle à la procureure qui doit trancher son affaire au tribunal de Bobigny. Avec ce premier roman en partie autobiographique, Polina Panassenko offre une formidable réflexion, à hauteur d’enfant, sur la complexité et les barrières de la langue. C’est aussi un récit drôle, souvent tendre, parfois poignant, de ce qu’est l’exil. Le tout, porté par une plume aussi insolente qu’imaginative. À ne manquer sous aucun prétexte.
Tenir sa langue, de Polina Panassenko, L’Olivier, 186 pages, 18€
Photo de Une : Unsplash / Asal Lotfi
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