En 2014, le retour de Renée Zellweger sur le devant de la scène avait défrayé la chronique et on avait beaucoup parlé d’elle, non pas pour son talent d’actrice mais pour son physique.
Le grand public et les tabloïds l’avaient en effet trouvée « changée » et criaient sur tous les toits qu’elle avait eu recours à la chirurgie esthétique avant de revenir sur les tapis rouges — chose évidemment très grave dans un monde où le physique des femmes, connues ou inconnues, est scruté à la loupe et où il ne leur appartient pas, apparemment.
Quand bien même Renée Zellweger serait effectivement passée sur une table d’opération, cette décision est purement personnelle et ne regarde personne, mais ce principe de base semble échapper à bien des gens.
La prestation de l’actrice dans Bridget Jones 3 est complètement passée à la trappe pour laisser place à une analyse sur la façon dont son corps et son visage sont modelés.
Depuis deux ans, l’actrice se retrouve donc constamment à la une de la presse à scandales, voit ses moindres changements physiques observés à la loupe et est obligée de démentir les « accusations » de chirurgie esthétique. Parce que oui, dans notre société, on vous « accuse » d’avoir modifié votre corps, car il faut croire que ça s’apparente à un crime.
Le pire dans tout ça, c’est que cette question obsède tellement la presse que sa prestation dans Bridget Jones 3
est complètement passée à la trappe pour laisser place, encore une fois, à une analyse sur la façon dont son corps et son visage sont modelés.
Certains critiques de cinéma vont même jusqu’à dire qu’ils « ne reconnaissent plus Bridget » à cause de la façon dont Zellweger aurait modifié son apparence. Voilà où on en est.
Mais lundi, le Huffington Post a servi de pupitre à Renée Zellweger, qui s’est livrée dans une lettre grinçante pour fermer le clapet de tous ses haters, et de tou•tes celles et ceux qui passent leur temps à surveiller son physique. En voici la traduction :
« Je suis quelqu’un de chanceux. J’ai choisi une vie créative et j’ai l’opportunité d’exercer un métier épanouissant, qui a parfois un impact positif. C’est une vie géniale qui vaut le coup de payer le prix qu’est le fait de vivre au vu et au su de tou•tes.
Parfois, ça veut aussi dire se résigner à être humiliée, et comprendre que ne rien dire peut aussi faire empirer les choses.
En octobre 2014, un article de tabloïd a écrit que j’avais sûrement eu recours à la chirurgie esthétique pour mes yeux.
Ce n’était pas très grave, c’était juste une histoire supplémentaire de presse à scandales, dans la masse nauséabonde de ce que pondent tous les jours ce genre de journaux, en plus des critiques de lâches anonymes qui se planquent derrière leur écran.
Dans son intérêt, la presse à scandales ramène la vérité à ce qui l’arrange et ne donne que sa propre version des faits, en s’immisçant dans la vie personnelle des gens célèbres et en profitant d’un moment de chaos dans leur existence. Je n’arrive pas à imaginer ce qu’il y a de digne à s’expliquer face à celles et ceux qui aiment alimenter un scandale (qu’ils/elles ont eux/elles-mêmes provoqué) ou à chercher l’approbation de celles et ceux pour qui se moquer des autres est un sport.
Quoiqu’il en soit, dans cette culture actuelle de la transparence obligatoire, du linge sale lavé en direct à la télé et des anonymes partageant leur moindre moment intime en échange d’un peu d’attention et de célébrité, il semblerait que le choix d’avoir une vie privée fasse de toi quelqu’un de suspicieux, de fourbe. Tu deviens un•e menteur•se avec un comportement infâme à cacher. « Elle nie » implique que tu tentes de couvrir la « grande vérité » exposée par les tabloïds.
Aujourd’hui, avec Internet, ces histoires et scandales artificiels créés par des esprits trop curieux et malsains deviennent, pour certain•es, la vérité établie. À ce moment-là, choisir la dignité du silence plutôt que de s’engager dans une bataille injuste te met dans une position vulnérable, où des récits ridicules sur ta vie profitent à des vautours.
Je n’écris pas aujourd’hui parce que j’ai été malmenée publiquement, ou parce que la valeur de mon travail a été remise en question par un critique car je ne ressemble plus au physique idéal qu’il imagine pour un personnage de fiction créé il y a seize ans, et auquel il est particulièrement attaché.
Je n’écris pas pour protester contre l’idée repoussante selon laquelle la valeur d’une personne et sa contribution professionnelle sont, en quelque sorte, diminuées car elle ne correspond pas à ce que l’on attend d’elle physiquement parlant, et parce que ses choix sont analysés sur la place publique.
Je n’écris pas parce que je pense que c’est un droit individuel de prendre ses propres décisions à propos de son corps.
J’écris pour être en accord avec moi-même, parce que je dois expliquer certains aspects de ma vie pour l’être, et aussi car je suis extrêmement troublée à l’idée que les spéculations des journaux à scandales soient prises pour argent comptant. L’affaire de « la chirurgie des yeux » en elle-même m’importe peu, mais c’est devenu un catalyseur de mon inclusion dans le combat pour l’acceptation de soi et dans le débat sur la pression que subissent les femmes à propos de leur physique.
Pas que ce soit l’affaire de quelqu’un, mais j’ai effectivement décidé de modifier mon visage et de subir une opération de chirurgie esthétique autour des yeux. Ce n’est pas important, mais la possibilité que cela devienne un sujet abordé par des journalistes respectés et que cela soit une conversation publique est l’illustration déconcertante de l’obsession de la société pour le physique et de la confusion qui règne au sujet de l’information, souvent confondue avec le divertissement.
Ce n’est un secret pour personne : les femmes ont toujours été réduites à leur apparence. Même si on a compris au bout d’un moment qu’il était important de donner une place aux femmes dans les postes influents pour que la société évolue, on a gardé ces standards de beauté qui dévaluent parfois notre contribution si on ne correspond pas aux critères imposés. Tout ça est perpétué par les discussions négatives qui imprègnent quotidiennement notre esprit sous forme de commentaires désobligeants.
Trop maigre, trop grosse, faire son âge, mieux en brune, des cuisses avec de la cellulite, un scandale de visage refait, devenir chauve, avoir de la graisse abdominale ou un petit ventre ? Des chaussures affreuses, des pieds moches, un sourire moche, des mains moches, une robe affreuse, un rire affreux…
Tous ces gros titres ne font que souligner les différentes façons et la mauvaise habitude que l’on a de déterminer la valeur d’une personne en ne la réduisant qu’à son physique, que ce soit personnellement ou professionnellement. Le message qui en découle est problématique pour les jeunes générations et les personnalités influençables et déclenche indubitablement des myriades de conséquences, incluant la conformité aux normes, les préjugés, l’égalité, l’acceptation de soi, le harcèlement et la santé.
L’omniprésence de ces « nouvelles » et de ces scandales humiliants présents sur le Net et dans les tabloïds ainsi que les jugements pleins de méchanceté et les fausses informations ne sont pas inoffensif•ves.
Cela prend de plus en plus le pas sur les innombrables événements importants et sans précédents qui affectent notre planète. Cela sature notre culture, perpétue des doubles standards qui n’ont pas lieu d’être, abaisse le niveau des débats, standardise la cruauté qui devient une norme et inonde les gens d’informations dont personne n’a besoin.
Qu’est-ce que cela donnerait si toutes ces histoires people, ces jugements et ces méprises étaient recalés au banc des divertissements de bas étage, et étaient remplacés dans les médias normaux par des sujets bien plus importants et nécessaires ?
Peut-être pouvons-nous nous demander pourquoi nous aimons tant assister à l’humiliation de personnes que l’on critique sur leur apparence ou leur personnalité, et voir à quel point cet appétit dévorant pour le harcèlement a un impact sur les jeunes générations et remet en cause l’égalité. Nous pourrions aussi réfléchir à la manière dont les médias d’informations sont influencés par ceux de divertissement, et à quel point la frontière est mince entre les deux.
Peut-être que l’on pourrait plutôt parler des vrais problèmes sociétaux, et de la manière dont on peut s’améliorer, plutôt que de commenter la tenue d’une star ou le physique d’une autre.
Le texte est fort, ferme sans être agressif, bref : c’est un sans-faute.
À la tienne, Renée.
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Les Commentaires
Sur le fond de ce que tu abordes @Eleonie je ne suis toujours pas d'accord (pas taper:yawn Je pense qu'aborder un cadre problématique n'est pas "lui faire de pub", et j'ai vraiment du mal avec cet argument que j'ai entendu plusieurs fois tout au long de mon parcours militant, comme s'il y'avait "un cadre noble" au sein duquel il serait bon d'évoquer les oppressions et un autre comparable à de la fange dans lequel il ne faudrait surtout pas se rendre, sous peine de faire la promo de la petitesse. Qui décide des cadres adéquats et de ceux qui ne le sont pas? Bien souvent les personnes tenant se discours n'ont aucun doute sur leur légitimité à le faire, mais moi si. Je ne vois vraiment pas qui peut se targuer de posséder la compétence pour énoncer les sphères au sein desquelles il est adéquat d'évoquer les discri ou non.
Je pense que la presse people, comme la télé réalité, la chick lit, ou que sais-je encore, sont des domaines à étudier, à analyser. Faire l'autruche et s'imaginant que nier leur portée ne les fera pas prospérer me semble être une erreur: nommer les choses, les reconnaitre comme existantes, ne signifie pas les créer ou les aider à se développer, c'est même parfois le contraire...