Publié le 20 juin 2018
Quand j’ai eu 3 mois, ma mère m’a trimballée pour la première fois à l’autre bout du monde, sur une île perdue dans l’Océan indien. Et depuis, elle n’a plus jamais arrêté.
Elle m’a emmenée partout, m’a fait goûter à tous les plats, escalader mille montagnes, arpenter des ruelles bondées puis m’a laissée voyager seule.
Je te raconte d’ailleurs ma première expérience en solitaire dans une série d’articles intitulée « ma vie d’apprentie ranger en Afrique du sud » sur madmoiZelle.com.
Expérience lors de laquelle j’ai rencontré Tom, un grand blond aux joues pleines devenu mon ami au bout de précisément 3 secondes.
Avec lui, j’ai vécu quelques uns des plus jolis instants de ma courte vie, rythmés par les rencontres improbables, les cuites au soleil, et les romances. LA romance.
L’Inde, un voyage fou
C’était en Inde, en 2014, j’avais 20 ans et un cœur gonflé par l’impatience. Je voulais tout découvrir, tout essayer.
Dans l’avion, une seule crainte me ravageait le crâne : allais-je m’entendre avec Tom pendant 5 semaines ?
Et surtout : une tension sexuelle finirait-elle par naître entre nous ?
Spoiler : NON.
L’animal avait beau être fort joli, je n’avais AUCUNE envie de m’ébrouer dans les hautes herbes avec lui. Et inversement.
Sympa, finalement, d’avoir un pote mec avec qui l’on peut s’endormir chaque soir sans jamais voir éclore le désir.
Enfin, accélérons un peu.
Je te passe les trois premières semaines de voyage, lors desquelles Tom et moi avons rencontré un milliard de personnes incroyables, fait 24 heures de bus avec des poules, mangé l’équivalent de notre poids en byrianis et eu la tourista, comme c’est la tradition.
Ces deux tiers de voyage étaient dingues, mais éreintants. Nous bougions tous les trois jours pour une nouvelle ville, sous une pluie parfois battante et 40° minimum.
Mais pour la première fois je sentais VRAIMENT un dépaysement. Plus qu’en Afrique et qu’aux Etats-Unis. L’Inde ne ressemble à aucun autre pays, et je mets au défi quiconque s’y est déjà rendu de me dire le contraire.
Bref, nous arrivions à Pondichéry dans un état déplorable : mes cheveux formaient une seule et même dreadlock de crasse, mes vêtements étaient dégueus, et surtout mes sourcils partaient dans tous les sens (je déteste ça plus que tout).
Une rencontre fortuite
Au sortir du bus qui arrivait du Kerala, je marchais par dessus le marché dans une énorme bouse de yack et lâchais :
« Nique sa mère putain ! Je me dégoute bordel. »
Suite à quoi je glissais dans cette même bouse et me rattrapais de justesse à la portière du bus.
J’en avais PLEIN LE CUL.
Quand soudain, est apparu au loin une silhouette nonchalante, noyée dans un T-shirt oversize aux motifs psychédéliques. Tout de suite, je changeais d’attitude et passais une main dans mes cheveux d’un air las.
Plus la silhouette se rapprochait, plus l’eau me montait à la bouche. C’est que, vois-tu, je n’avais pas vu de mec qui me plaisait depuis le début du voyage.
Je lui aurais immédiatement léché l’intégralité de la bite du visage si la bienséance ne m’avait pas retenue.
C’est donc les yeux plein de lubricité que j’accueillais les gestes fluides du grand châtain à l’oreille percée.
Accompagné d’un homme plus vieux que je comprenais immédiatement être son père, il pénétrait dans l’hôtel en face de la station de bus.
Nous, nous devions tourner au coin de la rue, pour rejoindre l’hôtel le moins cher du quartier.
Un endroit très peu hygiénique, dans lequel chaque recoin délivrait sa propre senteur. Tantôt l’effluve d’un animal en voie de décès, tantôt celle d’un plat périmé.
Ah la la, quel souvenir !
Une approche maladroite
L’individu châtain quant à lui pénétrait un hôtel si ce n’est luxueux, au moins propre, qui me donnait envie.
Mais il était hors budget. Toutefois, je décidais d’y rentrer, pour visiter un peu et essayer de décrocher trois mots au bel inconnu.
Et ça ne loupait pas : après deux minutes d’errance autour de la réception, il s’approchait de moi :
« Hey, I’m Chris ! Are you staying at this very hotel ? Is it cool ? »
S’en suivirent cinq minutes de conversation gênée lors desquelles je me rendais à l’évidence : l’envie de niquer m’empêchait d’articuler correctement.
Dans un anglais approximatif, je lui faisais comprendre que j’habitais dans le coin pour la semaine, et que j’espérais le recroiser rapidement.
Son visage lumineux et souriant m’indiquait un vif intérêt. J’irais même jusqu’à dire qu’il était charmé (comme tous les hommes qui croisent mon sourire).
Une absence soudaine
Ni une, ni deux, je filais dans ma chambre, me rasais (enfin) les jambes et trouvais un institut pour me faire dégrossir la moustache.
J’étais sur mon 31, enfin autant qu’on peut l’être par 42°, avec les aisselles qui collent au débardeur.
BREF.
Les 72 heures qui ont suivi étaient faites d’espoir. Celui de recroiser le beau châtain aux tâches de rousseur et à l’oreille percée.
Mais en vain. L’animal avait déserté le paysage.
Après plusieurs jours, j’abandonnais.
C’est donc de nouveau pleine de poils et couverte d’une pellicule de sueur que j’enfourchais mon bolide de type mobylette pour aller chercher une noix de coco avec Tom, un beau matin.
Un nouveau départ
Et là, surprise, un grand flandrin me faisait coucou de loin. Il surpassait tout le monde d’au moins une tête et affichait toujours le même air ravi.
J’hésitais entre insulter le destin pour me le mettre sous le nez sitôt que j’étais laide, ou le remercier pour me permettre de plaire même en étant sale.
Je ne tardais pas à descendre de l’engin pour m’approcher férocement du sien (c’est faux, ne me taxez pas de harceleuse dans les comz). Il buvait une noix de coco comme si c’était le nectar des dieux et m’observait d’un air émerveillé.
Après deux échanges de banalités et l’achat irréfléchi et donc trop conséquent de safran, nous décidions de faire un apéro le soir même sur le rooftop de mon hôtel miteux.
Toute l’après-midi, je la passais à rêvasser comme une ado, et à me préparer pour être aussi belle que possible le soir venu. Mais un doute me tiraillait : viendrait-il vraiment ?
Un début de soirée solaire
Le soleil n’avait même pas encore entamé sa descente qu’il montait déjà les quelques marches en haut desquels je caquetais avec Tom.
« Hey, Kalindi ! »
Jamais personne n’avait prononcé mon prénom avec un tel entrain. Dans chacun des sons qu’il émettait, je captais une note de bonheur. Et c’était contagieux.
Sitôt Chris arrivé sur le toit, son père lui emboitant le pas, tout le monde rayonnait. Tom et nos amis fraichement dégotés lui accordaient des regards doux, accords silencieux pour la signature d’une amitié.
Moi, j’étais déjà sous le charme, et mes envies charnelles avaient disparu au profit d’une volonté plus profonde : celle de tout connaître sur ce prophète, homme charmant au discours toujours édifiant.
Je l’accueillais sur notre toit jonché de saletés.
La nuit commençait à tomber, et à déployer ses couleurs sur toute la ville. La mer, à côté, demeurait sereine, sorte de nappe d’huile qui étouffait le monde.
Un toit peu avenant devenu superbe
J’étais bien.
Ce rooftop si laid se transformait en espace merveilleux, berceau de tous les possibles et de toutes les romances.
Chris prenait parfois la guitare cassée trouvée sur le sol, pour entamer des airs assez faux qui faisaient grincer avec humour cette ambiance trop parfaite.
J’apprenais qu’il était Allemand, et passionné par les voyages.
Avec Mani, son père, un homme aussi grand par la taille que par la tolérance, il écumait l’Inde pour s’en nourrir au mieux, et finirait par rejoindre le nord pour rendre visite à son frère, à l’époque prof de maths dans un orphelinat.
Sans aucune prétention, il me racontait ses périples et son amour pour les autres. Ma joyeuse troupe buvait ses paroles, les acceptait avec un cœur inassouvi.
J’étais amoureuse.
Ses regards trahissaient une inclinaison partagée, ses gestes lents une envie de ralentir, de passer son temps ici à s’interroger sur l’irréalité du moment.
Enfin seuls dans l’Inde silencieuse
Avec le temps, les autres abandonnaient le toit, écrasés par le poids de la fatigue.
Chris et moi demeurions seuls survivants du navire déserté.
L’Inde d’ordinaire si bruyante s’était tue. Même les chauves-souris s’étaient donné le mot pour chasser en silence. Les néons des échoppes diffusaient des lumières criardes sur les trottoirs.
Pour Chris, cette soirée signait la fin d’un voyage. Au petit matin, il devrait repartir à Hambourg, comme si de rien n’était. Chacun de nous savait qu’il serait impossible de retranscrire ce moment, de raconter cette nuit avec suffisamment d’ardeur pour lui rendre hommage.
En regardant les rares passants nager dans la lumière des néons, je pensais à l’après. Quelque chose avait changé, je le sentais.
Je ne pouvais pas le laisser partir sans lui dire que mon cœur était plein d’une belle certitude : celle qu’il nous fallait essayer. C’était fou, parce que c’était soudain. Et j’avais besoin de cet bel élan, de cette folie spontanée.
Une évidence
Mais vite, je comprenais qu’il ne servait à rien d’en parler. Dans un geste de sa main vers la mienne, je savais qu’il partageait mon envie.
Il est reparti comme il est arrivé, sans crier gare, sans même un baiser. Ça n’était pas nécessaire. Du haut de mon toit, je le regardais s’en aller, ses chevilles maladroites se heurtant l’une à l’autre, abîmant sa démarche.
J’allumais une cigarette, pour prolonger la sensation de vivre une scène de film, et me prélasser dans le cliché.
Les jours suivants ne ressemblèrent en rien aux précédents. J’étais amoureuse, déjà.
Une jolie histoire
Sans jamais plus écouter Tom, je voyais l’Inde différemment, comme le pays le plus romantique au monde. Adieu Paris, Pondichéry était le nouveau berceau de mes fantasmes.
Quelques jours après, je recevais un mail de Chris. À chaque phrase, je devinais son sourire. Il m’invitait à passer quelques jours à Hambourg. Sans hésiter, je prenais mes billets.
C’est sans hésiter non plus que je passais les deux années suivantes à faire des allers-retours entre ma ville et la sienne, sa vie et la mienne.
Avec Chris, j’ai vécu deux années tendres, à recevoir son amour trop grand pour moi. Le temps a fait grandir son affection et a atténué la mienne.
Aujourd’hui, nous ne nous parlons plus, car je n’ai pas su terminer cette histoire correctement, avec tact.
J’espère que Chris lira cet article un jour, qu’il tombera dessus au hasard d’une recherche Internet. Et qu’il saura y trouver du réconfort.
Parce que cette nuit sans ébats, accrochée tout en haut des immeubles de Pondichéry, demeure la plus douce de ma vie.
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