« Ivre, il frappe sa compagne pour des grumeaux dans la pâte à crêpe »
« Une femme remporte le prix Nobel d’économie »
« Le coup de folie de l’amoureux jaloux »
Autant de titres d’articles collectés et partagés sur la page Instagram @preparez_vous_pour_la_bagarre, suivie par plus de 180 000 personnes.
Depuis 2019, la créatrice du compte, Rose Lamy, défait le discours sexiste dans les médias — comme le fait depuis longtemps Sophie Gourion avec Les mots tuent — et il y a de quoi être choquée.
Après avoir analysé des centaines d’exemples de discours sexiste dans la presse, à la télévision et à la radio, elle signe le livre Défaire le discours sexiste dans les médias, sorti aux éditions JC Lattès.
L’occasion de s’entretenir avec l’autrice qui nous explique le mauvais traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles, preuves à l’appui !
Interview de Rose Lamy, prête pour la bagarre
Madmoizelle : Pourquoi avoir eu envie d’écrire ce livre ?
Rose Lamy : Mon éditrice m’a contactée sur Instagram en pensant que je croulais déjà sous les offres d’autres maisons d’édition. Je n’avais jamais envisagé d’écrire un livre et je dois dire que j’ai eu un peu peur au début. Je ne souhaitais pas reprendre simplement la page Instagram Préparez-vous pour la bagarre, mais mon éditrice m’a de suite rassurée en m’exposant l’idée d’un essai.
L’idée était d’aborder le traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles, en analysant les mécanismes sexistes, les croyances misogynes, les discours antiféministes.
Vous lancez en 2019 votre page Instagram Préparez-vous pour la bagarre. Quel était le but ? De rassembler des preuves pour sensibiliser au mauvais traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles ? De mettre à jour un problème systémique ?
J’avais encore, coincé en travers de la gorge, le traitement médiatique de vieilles affaires comme celles de Bertrand Cantat ou de DSK. En parallèle, je commençais à me former à la communication de crise dans mon ancien travail pour une entreprise de transport. C’est à partir de là que j’ai compris le poids des mots.
Les pages Instagram se développaient et j’ai donc décidé de mettre en ligne tout ce que j’avais sur le cœur. Aujourd’hui, le compte continue de grandir avec sa communauté qui m’envoie chaque jour de nouveaux exemples médiatiques.
Je tiens à préciser que je n’ai rien contre les journalistes. J’ai même une profonde affection pour les médias, je consomme beaucoup de presse écrite, de radio, de télé.
Je n’ai pas envie de m’en prendre individuellement aux journalistes à travers le compte Instagram ou le livre, je voudrais plutôt que les gens comprennent en quoi des titres comme « Une femme prend la tête de la Lituanie » ou « Il avait la main baladeuse sur une fillette de 10 ans » sont problématiques.
Quel est justement le problème actuel avec le traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles ?
Il y a tout d’abord une remise en question de la parole des victimes, puis une mauvaise dénomination des violences sexistes et sexuelles, traduites sous forme d’euphémisme par exemple.
Il y a également une déresponsabilisation des auteurs de violence. Certains journalistes peuvent écrire un article à la forme passive, projeter une forme d’empathie envers l’agresseur et utiliser à outrance des procédés de langage comme la métonymie.
Parfois encore, le journaliste peut utiliser des éléments de langage de la défense et les présenter comme une vérité. Un des premiers titres qui me vient en tête est « L’agriculteur a dérapé avec sa stagiaire ».
Déjà, l’homme est jugé pour agression sexuelle et cette information n’apparaît pas dans le titre. C’est l’agriculteur qui a dit à la juge avoir dérapé. Le journaliste a repris ce terme dans le titre, mais sans le mettre entre guillemets. Il prend donc consciemment ou non le parti de l’accusé.
C’est un exemple parmi tant d’autres mais qui reflète un sexisme perpétué et amplifié par les médias.
Dans votre livre, vous pointez du doigt certains termes employés par les médias qui n’existent tout bonnement pas dans le droit français, tels que attouchements, abus, faveurs sexuelles, drames familiaux, etc. Les termes corrects existent, pourtant — je pense notamment à l’utilisation du mot « féminicide », qui est de plus en plus employé…
Le mot féminicide est utilisé parce que les collectifs féministes l’ont rabâché. Après, c’est un sujet « moins clivant » que les violences sexistes et sexuelles qui ne tuent pas — je l’explique dans mon livre, mais les « bonnes victimes » sont les victimes mortes puisqu’elles ne peuvent pas avoir menti.
Une femme qui dénonce une violence sexiste ou sexuelle est de suite jugée suspicieuse, car la culture du viol est tellement ancrée en nous. Encore dernièrement, sur le plateau de Touche pas à mon poste, Bernard Montiel a remis en cause la parole de la victime puisqu’il ne peut pas croire que son ami Ary Abittan ait violé une femme…
Pensez-vous que le mouvement #MeToo a eu un impact sur le discours médiatique ?
Je pense effectivement que le traitement médiatique d’affaires comme celles de DSK ou de Bertrand Cantat ne serait plus le même aujourd’hui. Il me paraît impensable de voir encore une absence totale de représentation des victimes et de voix féministes.
Le mouvement #MeToo a aussi vraiment apporté des enquêtes de presse, sur l’affaire Weinstein ou Baupin par exemple. Les médias ont renforcé leur rôle.
Quel est le dernier exemple médiatique qui vous a le plus énervée ?
Je le répète encore une fois, mais l’intervention de Bernard Montiel sur l’affaire Ary Abittan est particulièrement édifiante. La position idéale aurait été qu’il ne dise rien en attendant de connaître davantage les éléments de l’enquête. Au contraire, il a défendu son ami mis en examen pour viol.
Mais il ne faut pas être que dans le négatif. Je n’ai jamais autant publié de posts roses sur mon compte Instagram qui mettent en avant des discours féministes repérés dans les médias.
Quelles seraient les bonnes pratiques à mettre en place ?
Il faudrait commencer par nommer un chat un chat, en utilisant les termes précis de la justice, et arrêter à tout prix de blâmer les victimes.
Il faudrait également transformer les phrases passives à la forme active. On lit encore trop souvent des titres comme « une femme violée » ou « une femme tuée ». Ils participent à nous faire vivre dans un état de crainte permanente. Il faudrait plutôt nommer et lire « un homme tue » ou « un homme agresse », car on sait que les hommes sont les principaux accusés de violences sexistes et sexuelles.
Qu’en est-il des lecteurs et des rédactions ?
Les lecteurs sont dans leur droit d’interpeller les rédactions. Je préfère personnellement la méthode du mail envoyé directement à la rédaction, plutôt qu’une interpellation sur les réseaux sociaux qui peut vite se transformer en un bashing envers un ou une journaliste.
Du côté des rédactions, elles peuvent déjà prendre conscience de leur propre traitement médiatique des violences sexistes et sexuelles et payer une formation adaptée à leur équipe de journalistes.
Défaire le discours sexiste dans les médias, Rose Lamy, 19€
À lire aussi : Pourquoi les féminicides sont qualifiés de crimes « passionnels » dans les médias
Crédit photo : Tay Calenda
Si vous ou quelqu’un que vous connaissez est victime de violences conjugales, ou si vous voulez tout simplement vous informer davantage sur le sujet :
- Le 3919 et le site gouvernemental Arrêtons les violences
- Notre article pratique Mon copain m’a frappée : comment réagir, que faire quand on est victime de violences dans son couple ?
- L’association En avant toute(s) et son tchat d’aide disponible sur Comment on s’aime ?
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