Elle a teinté le désormais traditionnel tapis fuchsia de notes violettes, vendredi 1er avril, à l’occasion du coup d’envoi du festival Canneséries.
Fanny Herrero a exprimé avec chaleur, sur scène, son amour de la télévision, et de ceux qui la font, mais qu’on oublie souvent : les scénaristes.
Dans la gare maritime, à quelques pas de l’auditorium Louis Lumière où sont diffusées les séries internationales qui concourent dans la compétition officielle, elle nous a plus tard raconté les subtilités de son métier, et est revenue sur la belle évolution de sa carrière.
Fanny Herrero, star de la série française
C’est en 2015 que la série Dix pour Cent sort sur France 2. Rien ne la prédestinait alors à un succès international, les programmes France Télévisions s’exportant rarement jusqu’aux États-Unis, par exemple.
Pourtant Dix pour Cent a donné tort à la (mauvaise) réputation française en cartonnant à l’étranger, au point que plusieurs adaptations de par le monde ont commencé à être produites.
Quelques années plus tard, Fanny Herrero revient avec Drôle, une série sur le monde du stand-up dont l’idée a été initiée par Gad Elmaleh, qui a cartonné plusieurs semaines durant sur Netflix.
Alors, quelle est la recette du succès des programmes signés Fanny Herrero ? C’est dans une splendide combinaison noire de la marque Sœur, dont le col habillait si élégamment la déjà très élégante scénariste, qu’elle a répondu généreusement à nos questions.
Madmoizelle : Vous avez récemment dit au micro de France Inter que vous aviez pour velléité, en écrivant Drôle, de parler de la vocation, et de la place qu’on occupe dans le monde. C’était une vocation pour vous, écrire des séries ?
En fait, c’est ce que je raconte aussi dans Drôle, c’est que parfois la vocation, on ne sait pas qu’on l’a. Moi, j’ai toujours aimé écrire. Depuis que je suis enfant, j’ai toujours écrit mais ça m’a pris un moment avant de savoir que je voulais en faire mon métier. Parce que de là d’où je viens – je viens de Toulon –, autour de moi personne ne faisait de métier artistique, je ne savais même pas que ça existait. Je suis née à la fin de 1974, et à cette époque là, scénariste ça n’était pas un métier, ou du moins ça n’était pas connu. Donc je ne pouvais pas me douter que j’allais faire ça. Et ce qui est beau, c’est le chemin de la vie qui nous amène où l’on doit être. Je suis donc passée par plein d’étapes. Notamment la comédie. J’ai longtemps cru que je voulais être comédienne, avant de réaliser que c’était l’écriture qui me plaisait. J’étais déjà travaillée par le goût des histoires, des personnages, et des dialogues. Il y a eu un jour où ça a pris forme. Mais j’ai mis des années à trouver ma forme d’expression. C’est à 30 ans que j’ai écrit mon premier scénario et c’est aussi à cet âge là que j’ai eu mon premier enfant, assez symboliquement.
Madmoizelle : Vous avez grandi à Toulon, avec deux profs de sport tendance assez gaucho, dans une ville connue pour son positionnement à droite. J’ai personnellement grandi auprès d’un père prof de sport, racisé, à Levallois-Perret, alors j’imagine assez bien le topo. C’est cet environnement familial qui a teinté vos programmes de la note sociale qu’on y retrouve toujours ?
Mes parents ont toujours essayé de nourrir notre curiosité. Et depuis que je suis petite, j’ai un goût pour les sciences sociales, pour la sociologie, pour les rapports de force, les rapports humains, pour les lignes de force d’une société. Ça m’a toujours intéressée. Et quand la fiction réussit à retranscrire ça, c’est ce qu’il y a de plus fort, car ça nous parle à tous. Mais pour répondre à votre question, oui sans doute, car mes deux parents sont issus de milieux très, très modestes, donc je pense que ça agite une espèce de conscience et que ça m’a toujours intéressée de travailler sur les différences de classes, de privilèges.
Madmoizelle : Vous avez été sportive, à un très bon niveau. Le sport, c’est la rigueur, est-ce que c’est cette éducation de sportive qui vous a inculqué la rigueur absolument nécessaire à l’écriture ?
Oui sans doute. En tout cas le sport m’a appris une discipline, un goût de l’effort. Avoir plaisir à progresser. Moi je faisais du volleyball. Et c’est un sport très technique le volleyball, ça n’est pas un sport facile. Quand on commence à faire du volleyball, on est nul en général. J’ai choisi ce sport parce qu’il nécessitait de s’améliorer sans cesse pour pouvoir prendre du plaisir. Et oui, on peut faire un parallèle avec l’écriture de scénario en cela.
Madmoizelle : Votre popularité a explosé avec Dix pour Cent. Avant, vous avez notamment co-écrit un film Arte avec votre frère sur le sport. Comment le pont s’est-il fait entre vos débuts et l’épanouissement assez rapide de votre carrière au sein de la télé ?
En fait, j’ai fait mes gammes, mes classes. Au départ, le premier scénario qu’on a écrit avec mon frère, on était vraiment débutants tous les deux. On a eu de la chance car Arte cherchait un truc sur le sport et nous, on avait écrit un film sur le rugby, qui était un petit unitaire. Il n’est pas super mais c’est un premier. Après c’est vrai que ça s’est enchainé, mais j’ai progressé step by step. J’ai commencé par être petite main dans une série qui n’est pas la mienne, j’étais dans l’équipe de Section de recherche sur TF1, après j’ai fait Les Bleus, et puis Un Village français. Donc j’ai fait mes classes au sein de séries qui n’étaient pas les miennes, et ainsi j’ai pu apprendre mon métier pour ensuite passer cheffe. J’ai appris en faisant, ce qui était une chance immense. Ma formation, ça a été d’être dans ces ateliers là. Ensuite on m’a confié des responsabilités. Et après est arrivée Dix pour Cent. J’étais mûre, j’étais prête. J’avais 37 ans.
Madmoizelle : Il y a quelques mois, lors d’un autre festival, le réalisateur Paco Plaza, compagnon de Leticia Dolera, une créatrice star de programmes télé espagnols, nous a confié que son épouse était épuisée par cet univers, où une femme, si elle veut subsister, doit être excellente et n’a pas droit à l’erreur. Vous avez dû bosser 2 fois plus dur parce que vous êtes une femme ?
Non, je ne trouve pas car scénariste de télé, c’est assez mixte comme métier, donc quand j’ai commencé je ne me suis pas dit du tout que ça allait être plus dur pour moi. Mes collègues scénaristes étaient autant des hommes que des femmes. Après, le passage à plus de responsabilités, il y a en effet eu un moment où on sentait bien que les producteurs et les chaînes confiaient moins la direction d’écriture à des femmes. Mais ma génération de scénaristes a vraiment changé la donne. Il y a une dizaine d’années ça a plutôt changé. C’est un métier où il y a beaucoup de femmes. Beaucoup de productrices, beaucoup de conseillères de programmes. Moi, j’ai trouvé que c’était un écosystème qui était féminin et féminisé. Mais comme souvent, dans un peu tous les métiers, c’est quand on commence à accéder à de plus hautes responsabilités que c’est plus difficile. Par exemple, quand on est en réunion de production, avec beaucoup d’hommes, des réalisateurs hommes par exemple, car dans ce domaine là il y a beaucoup plus d’hommes que de femmes, là c’était des moments où j’ai senti que j’étais la seule femme à la table. Mais je n’ai jamais souffert de misogynie.
Madmoizelle : Vous avez dit hier, sur le tapis rose, que le métier de scénariste était trop souvent oublié, que c’était un métier de l’ombre. C’est justement une belle initiative que le festival Canneséries ait choisi une scénariste et showrunner pour présider son jury. Mais comment s’explique cette non-mise en lumière, et surtout comment inverser la tendance ?
Je pense que tout va très vite dans cet écosystème, qui génère beaucoup de productions et d’argent. Il y a beaucoup d’appétit pour les séries. Chaque jour, ça bouge. Cette demande de fiction valorise l’écriture. Il y a 20 ans, aux USA, ils ont fait une vraie révolution dans le domaine des séries, dans la qualité des séries, ce qui a fait émerger la figure de l’auteur. La série, c’est vraiment un art de l’écriture, parce qu’on est dans le récit et dans les personnages, qui est purement et simplement une histoire d’écriture. Donc à partir du moment où l’on veut une série efficace, exigeante, qui s’exporte, on doit valoriser le scénariste. Ma génération, les quadras de l’écriture, on en a eu marre de pas être assez considérés, de pas être assez payés et valorisés. Donc on a un peu gueulé et moi j’ai fait partie de ceux qui ont été dans la lumière avec Dix pour Cent et donc j’en ai profité pour attirer l’attention sur le fait que notre métier était central à la fabrication et qu’il fallait le rendre plus connu. Mais vous allez voir, ça va aller de mieux en mieux (rires).
Madmoizelle : Sur le tapis rose, vous avez également dit avoir du mal à croire que vous étiez là. Cette modestie, cette humilité, est-elle symptomatique d’un syndrome de l’imposteur ?
En fait, c’est émouvant d’être distinguée par ses pairs et son milieu. Ce genre de proposition, d’invitation, ça raconte ça. Vous savez, moi je me dis souvent : « Moi je suis juste une petite dame qui fait sa vie, avec ses enfants » et avec ce genre d’invitations, on me prouve que j’ai bien travaillé. Je fais mon boulot, je trace ma route mais c’est parce qu’on me propose d’être présidente du jury que je me dis « ah ouais, ce que j’ai fait ça a touché des gens, ça a marché ». C’est pas un syndrome de l’imposteur, c’est une prise de conscience. Et il faut prendre ça avec précaution. Il ne faut pas se prendre au sérieux, il ne faut pas se croire arrivée. Il faut continuer à apprendre et avoir conscience de ce qu’on ait capable de faire. Et par ailleurs, je pense qu’avoir le syndrome de l’imposteur, c’est une bonne chose. Ça montre qu’on est humble et qu’on a encore envie de progresser !
Dans Dix pour Cent, votre héroïne est lesbienne, ce qui était une première pour une série grand public de France 2, en 2015. Dans Drôle, il y a une vraie diversité ethnique, dans votre casting, ce qui pour nous est résolument primordial et ne devrait soulever aucune question. Toutefois, j’ai lu un article qui vous accusait de cocher toutes les cases du progressisme, un peu par opportunisme…
Ça m’énerve. Mais qu’est ce que ça veut dire, en plus ? Déjà, tant mieux qu’on essaie de faire mieux et qu’on essaie de regarder le monde autour de nous tel qu’il est, tel qu’il va. Tant mieux qu’on essaie de s’intéresser à des gens qu’on a délaissé pendant des décennies. Tant mieux qu’on leur donne des rôles, qu’on leur donne la parole. Tant mieux qu’on s’interroge sur ce qui fait un bon rôle pour une actrice, tant mieux qu’on essaie de s’interroger sur les rôles qu’une femme de 50 ans pourrait avoir. Tout ça, ça nous rend meilleur collectivement, ça n’est pas une tare. La mixité, c’est inhérent au milieu du stand-up, qui plus est. Surtout depuis le Jamel Comedy Club qui a volontairement promu le stand-up comme un mode d’expression pour les jeunes des quartiers. C’est un espace d’expression pour les gens issus de l’immigration. Et c’est aussi ça qui m’a appelée dans ce sujet !
Décidément toujours pertinente et passionnée, Fanny Herrero a adressé quelques mots au vlog Madmoizelle avant de disparaître dans l’agitation cannoise, sans doute vers de nouvelles aventures sérielles.
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Crédit photo à la Une : CVS / Bestimage via Allociné
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