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Féminisme

Rencontre avec Éva Thomas, courageuse pionnière de la lutte contre l’inceste

Éva Thomas est la première victime d’inceste française à avoir témoigné à visage découvert de ce qu’elle a subi. Madmoizelle a échangé avec cette courageuse combattante.

En 1986, Éva Thomas provoque un choc salutaire. Invitée de l’émission Les Dossiers de l’écran, elle est alors la première victime d’inceste à témoigner à visage découvert.

Fondatrice de l’association SOS Inceste, autrice du Viol du silence (1986) et de l’essai Le Sang des mots : les victimes, l’inceste et la loi (1992), elle n’a cessé de se battre pour libérer la parole, faire changer la honte de camp, et faire évoluer les lois sur les crimes sexuels contre les enfants.

À l’occasion de la réédition de ses deux textes, nous avons rencontré cette combattante optimiste. 

Éva Thomas et son combat contre l’inceste, par les mots et pour l’avenir

Éva Thomas a été violée par son père à l’âge de quinze ans. En quelques semaines, elle plonge dans l’anorexie mentale, croyant se protéger ainsi d’une potentielle grossesse :

« Je ne savais pas exactement comment on faisait les bébés, mais j’avais conscience qu’un interdit avait été transgressé et que je risquais d’être enceinte ».

Aussi courageuse que résiliente, Éva Thomas parvient à se remettre sur pieds, autant que faire se peut, en quelques mois. Elle l’explique par l’âge qu’elle avait alors : « j’ai eu la chance de n’être agressée qu’à quinze ans, j’étais déjà construite ».

L’adolescente avait en effet une idée précise de son avenir et des rêves plein la tête : « j’avais conscience que je jouais ma vie, que je devais partir, pour étudier, pour vivre », se souvient-elle Alors devant la menace d’un internement en psychiatrie, Éva Thomas parvient à se remettre à manger et à reprendre ses études.

Bien des années plus tard, en 1983, alors qu’elle est devenue rééducatrice auprès de jeunes enfants, le traumatisme d’Éva Thomas la submerge à nouveau. Dans le cadre de son travail, une petite fille de six ans se confie à elle sur les abus que son père lui fait subir. Quand elle tente, auprès de sa hiérarchie, de lui venir en aide, on lui répond qu’il faut se méfier de la parole des enfants.

La colère d’Éva Thomas est immense, et c’est ce qui la lance dans l’écriture de son premier livre, Le Viol du silence.

C’est à la suite de la publication de ce texte qu’Éva Thomas est invitée à témoigner dans l’émission Les Dossiers de l’écran. Elle choisit de témoigner à visage découvert :

« Je voulais sortir de la honte et montrer à tout le monde que c’était possible. »

Le Viol du silence, un texte et un combat

Le Viol du silence vient d’être réédité aux éditions Fabert. L’autrice garde un souvenir marquant de l’écriture de ce témoignage bouleversant : « j’ai mis plus de deux ans à l’écrire, par petits morceaux ».

Le texte alterne entre les pronoms, et passe fluidement du « je » au « elle » pour raconter les évènements et le combat qui s’en est suivi.

« Je pouvais écrire certains passages en utilisant “je”, mais pour d’autres, je ne pouvais pas encore, j’avais besoin de les mettre à distance. »

Pendant l’écriture, Éva Thomas replonge dans les souffrances physiques et psychologiques de son passé : elle est poursuivie de cauchemars, se couvre d’eczéma de la tête aux pieds.

« C’était tellement difficile d’arracher ces mots-là… Pendant que j’écrivais, je cherchais dans les librairies des livres de témoignages, mais à l’époque il n’y en avait pas. Alors j’ai simplement écrit le livre que j’aurais voulu lire, que j’avais besoin de lire. »

Et l’épreuve de l’écriture est loin d’avoir été vaine : depuis la publication de ce texte, les témoignages de victimes se sont multipliés. Première à briser le silence et à refuser la honte, Éva Thomas a ainsi ouvert à tous et toutes la possibilité de faire le récit du chemin à parcourir pour retrouver la mémoire, surmonter le traumatisme et retrouver la capacité de dire « je ».

Dans les premiers temps qui ont suivi sa propre prise de parole, Éva Thomas a d’abord été surprise. Surprise d’à quel point ils et elles sont nombreux à avoir vécu ce qu’elle a dû vivre.

« J’imaginais bien que je n’étais pas la seule, bien sûr, mais je n’aurais jamais imaginé la fréquence de ces agressions. »

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Le Viol du silence, aux éditions Fabert, 18€

L’importance de la loi pour lutter contre l’inceste

Après la parution du Viol du silence, Éva Thomas continue de se battre.

En 1989, le procès de Saint-Brieux aboutit à la condamnation d’une victime, au motif qu’elle a témoigné à visage découvert. Éva Thomas en sort « sidérée, fracassée ». Elle cherche une issue judiciaire et demande un changement de prénom au motif que son père l’a violée. Malgré la prescription, elle apporte une lettre d’aveu de son père et obtient ce changement de prénom. L’autrice se souvient :

  « À partir du moment où j’ai reçu mes nouveaux papiers d’identité, j’ai retrouvé ma santé, ma capacité  de penser et d’écrire mon deuxième livre, “Le Sang des mots”. » 

C’est le fait d’avoir elle-même éprouvé ainsi « l’efficacité symbolique de la loi, quand elle va dans le bon sens » qui pousse Éva Thomas à s’engager pour faire évoluer la justice en faveur des victimes.

Le Sang des mots, qui vient d’être réédité aux Carnets DDB, est justement, selon son autrice« un cri pour l’allongement de la prescription », une réflexion qui vise à comprendre « pourquoi les victimes de viol et d’inceste ont tant besoin de la loi ».

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Le Sang des mots : les victimes, l’inceste et la loi, Les carnets DDB, 8,90€

Pour les crimes sexuels contre les enfants, le délai de prescription reconnu par la justice a d’abord été de dix ans après la majorité de la victime. Depuis la publication du texte en 1992, ce délai a été allongé à vingt ans, avant d’atteindre les trente ans que nous connaissons aujourd’hui.

Mais Éva Thomas est contre l’imprescriptibilité, réservée aux génocides : selon elle, une limite  posée par la loi peut être stimulante pour choisir ou non de porter plainte et de tourner la page.

L’avenir du combat contre l’inceste

Depuis la publication du Sang des mots, une dizaine de lois visant à protéger les enfants des violences sexuelles ont été adoptées. La dernière en tête date du 21 avril 2021 et reconnaît enfin qu’un enfant ne peut pas consentir à un viol. Éva Thomas se réjouit de cette avancée :

« Les enfants sont dressés à obéir et ils aiment leurs parents, on marche vraiment sur la tête avec les débats sur l’âge du consentement des mineurs à un viol. »

Éva Thomas est consciente des évolutions de ces dernières années : l’opinion publique a pris conscience que les violences sexuelles contre les enfants et l’inceste représentent un problème majeur de notre société et la justice doit se donner les moyens de mieux protéger les mineurs.

Les problèmes pratiques et théoriques concernant ces crimes restent cependant nombreux et complexes : il est impossible et inacceptable de condamner sans preuve, mais la justice doit aussi s’affronter au fait que la parole des victimes lui parvient souvent plusieurs années après les faits. Le chemin reste long, mais Éva Thomas est optimiste :

« Je crois beaucoup au collectif, je suis très heureuse de voir toujours davantage de personnes s’emparer de ces questions. Tous et toutes ensemble, on va trouver des solutions, j’en suis certaine. »

Pour aller plus loin…

La musicienne Mai Lan lève elle aussi le tabou sur l’inceste. Retrouvez-la en interview :

À lire aussi : J’ai été victime d’inceste, je comprends enfin les racines de ma détresse


Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.

Les Commentaires

3
Avatar de Crapule du Far West
27 octobre 2021 à 11h10
Crapule du Far West
Merci madame Thomas. Quel courage, quelle force. Vraiment un grand merci.
J'en profite pour évoquer l'association Les Papillons qui met concrètement en place des boites aux lettres dans les écoles pour recueillir la parole des enfants (par des mots, des dessins, ...). L'un des engagements est que le courrier est relevé par des bénévoles complètement indépendants de l'établissement. Cela permet aussi aux enfants d'éventuellement parler de harcèlement scolaire par exemple. En tant que parent d'élèves, je vais demander la mise en place d'une boite à lettres de ce type. N'hésitez pas à faire tourner l'info !
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Voir les 3 commentaires

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