Vendredi, Rémi Gaillard a mis en ligne sa dernière vidéo, intitulée Free Sex. Il se met en scène en train de mimer des actes sexuels à quelques mètres de femmes dans des lieux publics. Il n’entre pas en contact avec elles, c’est par un jeu de perspectives que l’effet est obtenu. Voyez plutôt :
La réponse de Rémi Gaillard « aux prudes et aux cons »
Les réactions ont fusé, sur les réseaux sociaux d’abord, puis sur plusieurs médias, dont France TV, Le Plus et Libération. Une attention médiatique qui n’a pas échappé au principal intéressé :
Sur Youtube, la vidéo a été interdite aux mineurs, et précédée de l’avertissement classique nécessitant de certifier qu’on a plus de 18 ans pour pouvoir la visionner.
Rémi Gaillard a réagi sur sa page Facebook, et davantage que sa vidéo, c’est sa réponse qui appelle un commentaire :
« Où est passé votre humour, les féministes ? »
Il fallait s’y attendre, la première ligne de défense du comédien et de ses fans est l’évident « vous n’avez pas d’humour ».
Il est vrai que cette vidéo ne m’a pas fait rire, pourtant dieu sait que j’ai le rire facile ( et par « dieu » j’entends toute personne ayant passé plus de dix minutes d’affilée en ma compagnie. J’ai le rire TRÈS facile.)
Non, ça ne m’a pas fait rire parce que ces mises en scènes me rappellent à ces intrusions permanentes de mon espace quand je me déplace dans la rue. Ces intrusions qui alimentent ma peur, qui nourrissent ma colère, et entretiennent ma profonde lassitude.
Mais en analysant le ressort comique, il n’est pas étonnant que cette vidéo ne m’ait pas fait rire : le principe d’une caméra cachée est de piéger les innocents, et le spectateur rit alors de la réaction des personnes piégées.
Or je m’identifie trop facilement aux filles « piégées » dans ce sketch, puisque je suis, comme beaucoup trop de filles, régulièrement harcelée dans la rue. Je ressens à chaque fois une profonde gêne, de la honte, de la colère, et beaucoup d’impuissance.
Ma première réaction à cette vidéo a d’ailleurs été de me dire « au moins, il ne les touche pas », ce qui en dit long sur le niveau de lassitude et de résignation que ces pratiques m’inspirent.
Pour comprendre pourquoi ce sketch ne fait pas rire celles et ceux qui s’y reconnaissent, je vous conseille le storify de Denis Colombi, c’est bien expliqué.
Faire un bide n’est pas un crime
Faire un bide n’est pas un délit en France, même si je pense personnellement que Golden Moustache tient un concept intéressant avec la police de l’humour. Là n’est pas la question, la vidéo n’a pas été censurée parce qu’elle n’était pas drôle, mais parce que son contenu est sensible.
Ce ne sont donc pas « les prudes et les cons » qui sont la cause de l’avertissement appliqué par Youtube, mais plutôt l’article 32 modifié de la loi du 18 juin 1998 :
« Lorsqu’un document fixé par un procédé déchiffrable par voie électronique en mode analogique ou en mode numérique présente un danger pour la jeunesse en raison de son caractère pornographique, le support et chaque unité de son conditionnement doivent comporter de façon visible, lisible et inaltérable la mention « mise à disposition des mineurs interdite » (article 227-24 du code pénal). Cette mention emporte interdiction de proposer, donner, louer ou vendre le produit en cause aux mineurs. »
Ici la vidéo n’a pas été interdite, parce qu’elle n’est pas à caractère pornographique (ce que Rémi Gaillard souligne effectivement en ironisant sur YouPorn), et ne constitue pas non plus une incitation à la violence puisque contrairement à Guillaume Pley, Rémi Gaillard n’entre pas en contact avec ses « victimes ».
Il n’en reste pas moins que la communauté Youtube a trouvé la vidéo de Rémi Gaillard offensante, l’a signalée comme telle, et par conséquent, elle a été précédée d’un avertissement. Ce qui n’est pas surprenant :
- quand on intitule une vidéo Free Sex,
- qu’on la fait débuter par quelques secondes de crypté, hommage du trentenaire à Canal+ et ses films X du premier samedi du mois,
- qu’on fait figurer un logo X dessus
- et qu’on y mime des actes sexuels
Ça fait quatre indices concordants du contenu sexuellement explicite.
Sois beau joueur, Rémi. Tu ne peux pas d’un côté revendiquer une légitimité conférée par ta communauté de spectateurs, et nier la légitimité d’une décision provoquée par cette même communauté. Il faut aussi accepter la critique quand elle ne va pas dans ton sens.
Le problème avec les prudes
Ta vidéo ne m’a pas fait rire, et nous en serions restés là si tu ne t’étais pas fendu de cette réponse :
« Je cherche une plateforme pour poster cette vidéo, sans que les prudes et les cons n’aient le droit de nous emmerder »
Certains diront qu’il s’agit d’une provocation, que j’aurais tort de relever. J’y vois au contraire une profonde ignorance de la problématique à l’origine de la polémique suscitée par ta vidéo.
De toute évidence, tu n’as jamais entendu parler de culture du viol, et pourtant, ton choix de mots est symptomatique de cette construction sociale qui classifie les femmes en catégories distinctes. On y trouve, en gros :
- Les mères, les soeurs et les filles, ces « femmes respectables »
- Les salopes et les putes qui couchent avec des hommes
- Et les fameuses prudes, dont voici la définition par le CNRTL :
Péj., vieilli (le plus souvent au fém.) Qui, dans son comportement, dans ses paroles, fait preuve d’une vertu sévère, excessive, souvent affectée; qui est offensé par le moindre manquement aux convenances.
Synon. pudibond, bégueule, puritain. Ces femmes devenues vieilles, laides, prudes et dévotes (Soulié, Mém. diable,t. 2, 1837, p. 190). Des femmes (…) qui savent le monde, qui ont voyagé, qui ne sont point prudes, et qui toute la vie se sont épanouies parmi des empressements, des attentions, au sein du bien-être assuré et délicat.
On est toutes la fille ou la soeur de quelqu’un, tu en conviendras. Mais lorsque nous avons l’impudence de sortir sans être accompagnées de la tutelle protectrice de notre mâle de référence (père, frère, petit-ami), nous sommes exposées à toutes sortes d’expériences désagréables, allant de l’insulte à l’agression sexuelle. (Note que je ne parle même pas des lesbiennes, puisque refusant la compagnie du mâle, ce sont des salopes par défaut)
Oui, ça se passe comme ça en France, en 2014. On se fait encore agresser sexuellement dans le métro juste parce qu’on porte une jupe. Ton concept de « air sex » est has been avant d’avoir été lancé : tu restes à quelques mètres, mais dans la rue, dans les transports, des mecs osent carrément le contact sans notre consentement.
Le consentement est une notion-clé, qui fait justement défaut dans une société imprégnée de culture du viol. Le problème avec les prudes, c’est que cette insulte sous-entend que refuser un acte sexuel est une faute. Pourquoi ? Mais parce qu’on provoque ! Parce qu’on se promène seule dans la rue, en jupe, en talons (ou pas), maquillée (ou pas), alors nous sommes par nature des provocations ambulantes. C’est ça, la culture du viol.
Et quand on a l’insolence suprême de répondre, de dénoncer, de s’insurger contre des pratiques qui nous oppressent, on s’en prend plein la gueule. Ainsi, une jeune personne (oui, une fille) adepte de ton oeuvre, répondait à ces « prudes » que ta vidéo a choquées :
D’autres exemples édifiants du même acabit sont à lire sur le tumblr de Bleu Kobalt : « à part ça, on n’a pas besoin du féminisme ».
Le problème avec les prudes, Rémi Gaillard, c’est qu’on ne peut pas toutes être ta mère ou ta soeur, et pourtant, on voudrait toutes pouvoir être respectées autant que tu les respectes.
On ne peut pas rire avec n’importe qui
Ta vidéo n’est pas drôle, mais en démocratie, aucune loi ne sanctionne le bide. Tu peux continuer tes activités l’esprit tranquille.
En revanche, ta vidéo est offensante pour toutes les victimes et toutes les femmes qui subissent le harcèlement sexuel au quotidien. Et nous sommes nombreuses dans ce cas, j’en suis la première désolée.
Et il y a pourtant des lois contre ça, ce serait bien de ne pas laisser croire à tes jeunes fans qu’ils peuvent reproduire ce comportement dans la rue « pour rire ».
Ta réponse sur facebook est complètement à côté de la plaque. « Il y a des choses plus graves » ironises-tu avec un mépris égal à la beauferie de ta dernière vidéo. Oui, c’est facile à dire quand on en n’est pas victime. De la même façon que je ne me pose pas en police du rire, tu serais gentil de ne pas hiérarchiser les causes.
Mais sinon, on s’occupe aussi de l’excision, de l’endométriose, du viol, des droits des femmes dans le monde, merci de t’en inquiéter. De la cruauté animale, des dictatures et des régimes politiques aussi (en Birmanie, au Venezuela, en Russie, en Égypte…). Tu devrais lire madmoiZelle dis-donc !
La culture du viol n’est pas une invention des féministes pour réglementer le sens de l’humour, c’est une réalité, reconnue et combattue par le ministère des droits des femmes.
La loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui devrait entrer en vigueur prochainement, prévoit d’ailleurs de confier au CSA des pouvoirs accrus dans la lutte contre la diffusion de contenus portant atteinte à la dignité des femmes. Y compris sur internet. Un vrai pays de prudes et de cons, n’est-ce pas ?
Écoutez l’Apéro des Daronnes, l’émission de Madmoizelle qui veut faire tomber les tabous autour de la parentalité.
Les Commentaires
Après une vingtaine de minutes de lecture j'ai à la fois envie de frapper, de hurler, de vomir et de pleurer ... J'ai lu des choses tellement ahurissantes, je ne pensais même pas que des gens pouvaient penser ce genre de choses de nos jours.
Franchement ça me pète le moral j'ai l'impression qu'il y a tellement à faire et que je ne fais pas grand chose.
Je parle déjà de ce genre de choses autour de moi mais si vous avez des idées de manières de s'engager de manière efficace n'hésitez pas je prends.
@Marie.Charlotte (d'abord cimer pour tes articles ) et si jamais l'envie te prends d'écrire la dessus, je suis sur que pas mal de personnes seraient ravis de découvrir des manières de s'investir efficacement contre tout ça (à moins que j'ai loupé un article qui en parle déjà).
Sur ce bisous tout le monde je vais regarder en boucle la vidéo d'Emma Watson pour me remonter le moral