J’ai grandi en Lorraine, plus précisément en Moselle, un département dans lequel le Concordat s’applique toujours, c’est-à-dire que l’enseignement de la religion est au programme des écoles publiques. On peut bien entendu s’en dispenser, mais il y a vingt ans, dans un petit village de campagne, la religion avait encore une très forte dimension culturelle.
Un seul élève de ma classe en était dispensé, et tous les adultes avaient pris soin de nous expliquer que ses parents étaient témoins de Jéhovah, que ce n’était pas une vraie religion, que seule notre religion était enseignée à l’école, parce que c’était une vraie religion.
Ce n’est qu’au collège, en cours d’Histoire, que j’ai découvert que d’autres fois étaient tout aussi légitimes que la mienne.
Lorsque j’étais petite, une grande partie du village se retrouvait à la messe le dimanche. Aujourd’hui, vingt ans plus tard (ça ne me rajeunit pas !), l’église peine à se remplir pour la messe de Noël. Les temps changent, les moeurs évoluent.
Mon père est athée, et ma mère… je ne suis pas sûre. Ses parents à elle sont croyants, surtout sa mère, qui a été plus de cinquante ans l’organiste de la paroisse. Comme la maison familiale se situe exactement en face de celle de mes grands-parents maternels, certains compromis ont été faits. Concrètement, critiquer la religion devant mes grands-parents était tabou.
Nous allions à la messe un dimanche sur deux (sans mon père), et à toutes les fêtes catholiques.
La religion, « c’est normal »
Mes premiers souvenirs des cours de religion sont étroitement liés à mes premiers souvenirs d’école primaire, en classe de CP. Ce n’était pas la même maîtresse qui faisait le cours, mais cela n’avait rien d’exceptionnel. D’autres classes dans l’école avaient aussi des enseignant•e•s différent•e•s pour les cours de langue, de sport, ou d’autres activités culturelles.
C’était l’école. Pour moi, c’était le seul endroit où les adultes ne mentaient pas. Des sorcières aux fantômes, en passant par la petite souris et le boucher de Saint-Nicolas, chaque mensonge « mignon » entamait un peu plus ma confiance dans la parole des adultes. À l’école, la maîtresse ne répondait pas forcément à tout, pas tout de suite, mais elle ne mentait pas (en tout cas beaucoup moins que les adultes de mon entourage).
Alors forcément, quand une maîtresse s’est mise à nous parler de Jésus, et à nous raconter des histoires de voyages, de rencontres, de conflits, de morale, j’écoutais religieusement — c’est le cas de le dire ! À six ans, je n’avais aucun recul, et aucun adulte ne m’a permis d’en prendre.
De la classe au confessionnal
Ma grand-mère renforçait ces leçons, mes parents ne la contredisaient pas. L’année suivante, je suis entrée en préparation pour la première communion. En plus des cours de religion, j’ai dû suivre des cours de catéchisme en dehors de l’école.
C’était un peu redondant, donc un peu ennuyeux, même si j’étais fière de connaître les réponses aux questions de « la dame du catéchisme », parce qu’on avait déjà vu les mêmes passages des Écritures en classe (et que j’ai toujours été une sacrée Hermione Granger à l’école).
Moi en cours de religion. Je ne plaisante même pas.
Plus la communion approchait, plus la préparation s’intensifiait. Nous avons été initié•e•s au rituel de la confession. Il fallait confesser ses péchés au prêtre, à l’église, dans le confessionnal. C’était long, parce qu’il fallait attendre son tour, et assez humiliant parce qu’il fallait se préparer en réfléchissant à ses péchés pendant qu’on attendait.
Et surtout, ça arrivait beaucoup trop souvent à mon goût, puisqu’il fallait y passer tous les trois mois (avant chaque fête chrétienne importante : la Toussaint, Noël, le Mercredi des Cendres, Pâques, la Pentecôte).
Je me souviens avoir dit à ma mère que je ne voulais pas faire ma première communion. J’en avais marre des cours de religion, de la préparation, et surtout, des confessions. C’était sans doute le pire : s’entendre répéter à longueur de temps que nous sommes tous des pécheurs, qu’il faut confesser ses péchés…
Même quand j’étais sage (quand j’estimais avoir été sage), il me fallait confesser des péchés, sinon c’était de l’arrogance, de la prétention. Je manquais d’humilité, ce qui EST un péché. Nous sommes TOUS des pécheurs, vous suivez ?
Alors je confessais toujours la même chose : j’avais menti, et je n’avais pas été gentille avec mes frères (en espérant que de leur côté, mes frères confessent m’avoir provoquée et frappée à plusieurs reprises, hein : faut pas déconner.)
Ce rabâchage permanent de mes devoirs de chrétienne a vraiment fini par avoir raison de mon enthousiasme. Mais lorsque j’ai dit à ma mère que je voulais tout arrêter, elle m’a répondu que c’était dommage de s’interrompre maintenant alors que nous étions à quelques mois de la communion. Et que j’allais recevoir une belle robe blanche et pleins de cadeaux.
J’avais sept ans, ne me jugez pas, Dieu s’en charge puisque ma décision a été motivée par matérialisme et vanité. La robe blanche et les cadeaux valaient bien quelques mois d’assiduité supplémentaire !
Des doutes à l’affranchissement (enfin)
Il aura fallu attendre le collège pour que je commence à prendre du recul par rapport aux enseignements religieux. J’ai enfin fini par comprendre que le cours de religion n’était pas « un cours » au même titre que celui d’histoire, ou de mathématiques. Riez, mais comment mon moi de sept à dix ans était censé faire la différence ? On me racontait la vie de Jésus comme on m’avait raconté celle de Vercingétorix ou de Clovis !
Mais ce n’est toujours pas grâce aux adultes que je me suis affranchie de l’influence religieuse. À l’approche de la Profession de Foi, les cours de catéchisme se sont à nouveau intensifiés. Sauf que je n’avais plus sept ans, mais quatorze.
J’ai traversé une sorte de « crise de foi » : je voulais croire, je voulais trouver dans la religion une stabilité et un réconfort que je n’avais pas dans ma vie bouleversée par les doutes inhérents à l’adolescence.
C’est alors que je me suis rendue compte de l’absence des femmes dans la religion catholique, et surtout au sein de l’Église. J’ai commencé à noter les écarts entre la morale chrétienne et le train de vie du clergé à travers l’Histoire. Je voyais des décalages trop importants entre le discours de ma prof de religion, les sermons du curé et le comportement des adultes autour de moi.
Les gens mentent, les gens trichent, les gens se comportent mal les uns vis-à-vis des autres, et pourtant, j’avais l’impression d’être la seule à m’en sentir coupable. J’ai commencé à remettre tous ces discours en question.
Pendant mes années collège-lycée, ma découverte et ma passion dévorante pour les textes de Voltaire ont achevé de consommer ma rupture avec la religion.
Quelques années plus tard, le film Amen de Costa-Gavras portera le coup de grâce : je ne sais pas si Dieu existe, mais en tout cas, j’ai fini de croire et d’écouter son clergé.
Quand le Pape s’est prononcé contre l’usage du préservatif, j’étais déjà loin.
Je ne sais toujours pas si Dieu existe, mais lorsque j’entends les partisans de La Manif Pour Tous, je sais que n’est pas Sa parole qu’ils diffusent, mais un discours de peur de l’autre que n’a jamais tenu le Christ. En tout cas, pas dans les Écritures que l’on m’a fait étudier pendant dix ans.
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Ce que la religion a changé dans ma vie
Si je pouvais revenir en arrière à n’importe quel moment de ma vie, je reviendrais au CP, au premier cours de religion, et je viendrais expliquer à mon mini-moi que la religion n’est qu’une croyance. Que ce n’est pas plus tangible que les sorcières et les fantômes, que si je choisis de ne pas y croire, il ne m’arrivera rien. Que j’ai le choix de ne pas croire, et pas l’obligation de croire.
J’aurais sans doute investi les heures passées au catéchisme dans une activité plus productive, mais surtout, je me serais épargné le poids de la culpabilité permanente.
Peut-être était-ce à force de m’entendre répéter que nous sommes tous des pécheurs, peut-être était-ce à force de me préparer au rituel de la confession… je ne saurais exactement où imputer la cause, mais toujours est-il que j’ai fini par intérioriser violemment certains interdits moraux.
Je suis devenue incapable de mentir, même aux questions les plus banales du quotidien. J’ai développé toute une série de techniques pour changer de sujet ou ne pas répondre aux questions, mais je suis physiquement incapable de mentir. Si je mens, je me sens très mal, nauséeuse, asphyxiée.
Je me sens coupable. De tout, tout le temps. Beaucoup moins depuis que j’ai réussi à rattacher ce sentiment de culpabilité à mon éducation religieuse, mais il est toujours là, résiduel, dormant, faisant régulièrement surface.
À force d’entendre que c’est pour racheter nos péchés que Jésus est mort sur la croix, j’avais fini par intégrer que j’étais en partie responsable des malheurs du monde – rien que ça. Comme dans l’épisode de Louie où Louis C.K. raconte une séance de catéchisme particulièrement traumatisante…
Dans cet épisode, un « docteur » vient expliquer précisément le supplice du Christ aux enfants. Histoire qu’ils comprennent exactement quelles souffrances leurs péchés ont infligées à Jésus.
Moi aussi, j’ai eu le droit à une séance d’explications anatomiques détaillées. C’est ainsi que j’ai appris que les clous étaient plantés dans les os du poignet, et pas dans la paume de la main comme sur la plupart des crucifix.
À sept ans.
Chaque année, le jour du Vendredi Saint, nous faisions l’intégralité du chemin de croix devant les tableaux qui représentent chaque étape du martyr du Christ. Et il n’y avait pas de macaron du CSA « interdit au moins de 16 ans » sur cette Passion-là.
Juste une clause dans « un accord de paix »
Impossible de savoir quelle adulte je serais devenue sans l’influence aussi prégnante du discours religieux pendant ma petite enfance. Il ne sert probablement à rien de réécrire cette histoire.
Une part de moi reste persuadée que j’aurais été tout à fait capable de développer de l’empathie pour mon prochain sans la menace du Purgatoire, mais si ça se trouve, je suis sociopathe et la religion aura sauvé mon âme ! Même si j’en doute…
J’ai seize ans lorsque je me détache définitivement de la religion, mais ce sera tout de même après ma Confirmation, que j’ai dû faire « pour faire plaisir à ma grand-mère ». Plus de chantage aux cadeaux et à la robe cette fois-ci, mais un argument de raison : franchement, Marie.Charlotte, ça te coûte quoi de faire encore une préparation à un sacrement, si au final ça compte autant pour ta grand-mère ?
Dire que je l’ai faite à reculons serait un euphémisme. Je m’entraînais activement à détacher mon esprit de mon corps pendant les cours de catéchisme, et je faisais mes devoirs au lieu d’écouter lorsque la configuration le permettait. Mais souvent, nous étions si peu nombreux qu’il était difficile de faire autre chose sans se faire prendre.
Je me souviens avoir été mal à l’aise pendant la cérémonie. Prononcer ces serments, c’était mentir, puisque je n’y croyais plus et que je ne voulais même pas être là.
Mon frère cadet, moins diplomate, refusera de faire sa Profession de Foi, mettant ainsi fin à ce que ma famille avait appelé « l’accord diplomatique » avec mes grands-parents : en gros, les enfants font les quatre premiers sacrements (baptême, communion, profession de foi, confirmation) et vont à la messe (au moins aux messes importantes), et les relations restent cordiales et chaleureuses entre mes parents et mes grands-parents maternels.
Tout ça, c’était pour avoir la paix entre nos deux foyers. J’aurais préféré que la religion me soit présentée comme un choix, pas qu’elle me soit imposée comme la condition d’un accord tacite que je ne comprenais pas.
« Nous sommes tous des pécheurs »
J’ai de la rancoeur vis-à-vis de ces adultes qui m’ont laissée
être embrigadée dans une idéologie sans me donner les clés pour la comprendre. J’en veux à mes parents d’avoir cédé aux désirs de leurs parents, avant de suivre leurs propres principes éducatifs. Comment ai-je pu être livrée ainsi à la religion alors que mon père est profondément athée ?
Je me souviens m’être inquiétée pour son âme. Parce que la dame du catéchisme disait que les gens qui ne vont pas à la messe (comme mon père) n’allaient pas au Paradis. Je me souviens avoir dit à ma mère, un soir au moment du coucher, que je me faisais « du souci pour l’âme de Papa » ! Maman si tu me lis, c’était sans doute un bon moment pour m’expliquer que cette âme ne risquait rien.
Peut-être que je n’étais pas très maline. Des milliers d’enfants suivent des cours de religion dans les écoles publiques ou privées, vont à la messe et font leurs sacrements. Et tous ne ressentent pas le besoin d’exorciser cette expérience dix à vingt ans plus tard.
Mais je n’emporterai pas ma rancune dans ma tombe, et ce pour deux raisons :
- Je n’arrive pas à garder de la rancoeur, parce que c’est UN PÉCHÉ. Et si vous avez bien suivi, ça me fait des noeuds à l’estomac.
- Celui qui s’avisera de faire enterrer mon corps lors d’une cérémonie religieuse aura affaire à mon fantôme. La tombe et le prêtre, on oublie.
Question sacrements non consentis, j’ai déjà donné, merci.
Et toi, as-tu reçu une éducation religieuse ? Comment a-t-elle influencé ta construction personnelle ?
À lire aussi : La religion, l’adolescence, et moi
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Les Commentaires
Je te remercie pour ton témoignage. J'ai vécue un parcours proche du tiens en terme d'éducation religieuse et de déclic. Depuis plusieurs années, je suis entourée d'amis athés et qui souvent n'ont pas reçus d'éducation religieuse. J'ai toujours eu du mal à leur expliquer mon ressentie vis à vis de la religion, et clairement, ils ne me comprennent pas.
Je me sens un peu moins seule maintenant, et je pourrai m'inspirer de ton témoignage à l'avenir si une conversation religieuse se représente