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Amours

Ce que je retiens de ma relation toxique, trois ans après

Les relations toxiques s’installent de manière insidieuse, sans qu’on s’en rende compte immédiatement. Mymy Haegel témoigne des cicatrices profondes qu’elle garde de la sienne.

Le 13 mars 2016

Cela fait bientôt quatre ans que j’officie chez Madmoizelle. Dont au moins deux et demi à me dire que, quand même, il faudrait que j’écrive un article sur ma relation toxique.

Quatre ans à lire mes collègues, mais aussi à vous lire vous, à vous voir grandir, vous sortir de violences horribles, de situations insoutenables, lutter contre l’adversité comme les personnes fortes que vous êtes, que ce soit via les témoignages ou sur le forum.

Alors, pourquoi j’ai tant tardé ? Parce qu’il fallait que je mûrisse la chose. Parce que c’est une chose de se dire qu’on a été dans une relation toxique ; c’en est une autre de le dire à tout le monde.

Parce qu’il y a la honte, au fond, de s’être fait avoir si longtemps. Parce que pour vous en parler, j’ai dû partir en excursion dans un passé que j’aimerais bien laisser derrière moi.

Mais qu’à cela ne tienne : après un week-end passé dans les tréfonds de mes boîtes mail périmées à relire les textes de victime que j’envoyais à mon mec toxique, je suis prête à vous en parler. Allons-y avant que je ne change d’avis.

Une relation toxique qui a commencé par un coup de foudre

Des mecs nazes, j’en ai eu plein. Même des mecs toxiques, j’en ai eu plusieurs — à croire qu’apprendre de ses erreurs, c’est pour les faibles — mais celui-là, c’est le plus récent, le plus violent aussi. Parce que je n’avais plus l’excuse d’avoir quatorze ans.

C’était un jour d’été. J’étais étudiante, en vacances, plutôt fraîchement célibataire, et plutôt à l’aise avec ça. Je sortais d’une relation assez longue et j’avais envie de réapprendre à être toute seule… C’était sans compter sur ce presque-inconnu, ce pote-de-pote qui a débarqué pour 24h à peine, qui avait des pattes d’oie quand il souriait, sentait bon et me taquinait juste assez pour que ça soit séduisant plutôt qu’emmerdant.

On a passé 24h ensemble, et deux semaines après on était en couple (à distance). C’était fusionnel, et on se parlait en permanence (par SMS, sur Skype, au téléphone), du réveil au coucher — tardif, car aucun ne voulait raccrocher.

C’était mon mec, c’était l’homme de ma vie, c’était mon univers, ma béquille, mon confident, mon amant, mon évidence. Mais la distance, n’était pas facile, surtout qu’il avait du mal à avoir confiance en moi parfois, et que j’avais plus tendance à m’écraser qu’autre chose.

J’aimerais ne jamais te quitter, vivre chaque instant de ma vie avec toi… Je t’aime Mymy.
— Je t’aime et je ne veux pas que tu penses que je te délaisse. Je te consacre réellement tout mon temps libre, à part la soirée mensuelle ou bimensuelle que je m’autorise et pour laquelle j’arrive à me motiver. Je t’embrasse tendrement.

Ça clignote en rouge dans votre cerveau ? C’est normal. Consacrer TOUT son temps libre à UNE personne, c’est pas forcément l’idée du siècle.

C’était mon premier coup de foudre et j’espère que ça sera le dernier.

« Chaque jour, j’attendais sa réponse à mon premier SMS : elle allait définir mon moral de la journée. »

Il a commencé à changer d’attitude

Je me souviens encore de cette cassure si brutale, de ce volte-face trop rapide pour que je puisse m’y préparer.

Suite à un évènement pas cool mais pas mortel non plus, il a arrêté. Net. Il a arrêté de prendre soin de moi, d’être là, de s’ouvrir, de s’intéresser à moi. Ça faisait trois mois qu’on parlait toute la journée, tous les jours, et soudain j’étais chanceuse de décrocher quelques textos laconiques.

— Coucou toi ! Grand soleil ce matin, ça fait plaisir. Comment tu vas ?
— Mal dormi.
— Oh, c’est nul ! Une bonne douche et ça ira mieux. Tu as quoi de prévu aujourd’hui ?
— Rien d’intéressant.
— T’es pas très bavard…
— J’ai rien à dire
.

Cet évènement ? Il avait été cambriolé par des voleurs probablement spécialisés en bijoux qui ne lui ont pris que quelques boutons de manchette, laissant derrière eux plein de choses coûteuses (télévision, ordinateur, consoles, etc.).

Je comprends, et je comprenais déjà à l’époque le traumatisme d’avoir des inconnus entrant de force chez soi en son absence… mais pas son changement d’attitude envers moi.

J’étais paumée. Déboussolée. J’étais plongée dans l’incompréhension la plus totale. J’avais rien fait, moi ! Je n’avais rien à voir avec ce fâcheux évènement, j’avais aidé du mieux que je pouvais, je n’avais pas changé. Lui, si.

Il s’était refermé d’un coup et autant vous le dire clairement, j’avais pas la clef.

Mon partenaire est devenu lunatique

Chaque matin, j’attendais fébrilement sa réponse à mon premier SMS : elle allait définir mon moral de la journée. Souvent froide, parfois blessante, elle me plongeait dans une détresse longue durée. Quand elle était (rarement) chaleureuse et « normale », elle m’inondait d’un soulagement intense.

« Aujourd’hui, ça va. Il est de bonne humeur. »

Évidemment, ça changeait parfois pendant la journée. Son moral était plus imprévisible qu’une météo d’avril. Beau fixe le matin, orageux à midi, grêle le soir. Températures polaires à 10h18, mistral à 13h46. Parfois, voir du monde le rendait heureux, parfois ça le déprimait.

Parfois il se trouvait vieux, parfois il avait la vie devant lui.

Parfois il m’aimait, souvent il ne m’aimait pas. Et moi, comme la gentille petite que j’étais, je m’accrochais. Je suivais tant bien que mal.

L’ascenseur émotif était insoutenable. Parfois l’idée de me perdre ne lui faisait ni chaud ni froid, parfois il me promettait que j’étais la seule chose qui le retenait dans ce monde. Parfois on avait un avenir et une chance, parfois je devais me tirer d’urgence.

Moi, j’avais encore dans la bouche et dans le cœur le goût de nos débuts si passionnés. Je me persuadais qu’on pouvait retrouver cette époque bénie.

Sauf que les gens, ça va pas à reculons.

Deux ans de relation toxique, bon sang !

J’ai passé deux ans comme ça. À supplier et à sangloter. À douter et à gueuler. Pendant ces deux ans, j’ai fait des conneries, perdu des potes, le sommeil et ma tranquillité d’esprit.

J’ai été infidèle, aussi, je ne le nie pas. Pas tant pour le sexe, juste pour ressentir la tendresse, l’amour qui n’était plus là.

Il y a plein d’autres choses dont je ne vous ai même pas parlé.

Son ex avec un grand « E », l’ancienne femme de sa vie qui a toujours valu plus que moi à ses yeux. La façon dont il dénigrait mon passé, mes études, mes envies.

Tous ces week-ends passés chez lui où on ne faisait rien, où il finissait parfois par me ramener plus tôt à la gare, indifférent aux milliards de couteaux que ça plantait dans mon cœur.

« Tu ne peux pas non plus devenir froid et me traiter d’égoïste ou de gamine gâtée quand je réclame de te voir, parce que quand on est amoureux on aime bien voir les gens, en tout cas moi, et c’est pas comme si je réclamais d’être avec toi 24h/24 et de te suivre partout… j’ai juste besoin de te voir, de passer du temps avec toi. »

Je ne vous en ai pas parlé parce que cet article est déjà si long c’est pas ça, l’important. Parce que même sans ça cette relation aurait été toxique.

Dualité mentale et zéro moral dans une relation toxique

Je vous jure, relire les emails que j’envoyais à ce mec, c’était comme lire deux personnes à la fois.

Il y avait d’un côté la Mymy forte, déjà féministe, qui semblait parfois se réveiller et écrivait des trucs du genre :

« Ça ne peut plus durer. J’ai décidé de ne plus être dans des relations où je ne me sens pas respectée et c’est le cas ici. Je voudrais que ça marche entre nous mais tout ça dure depuis trop longtemps. Je crois que c’est fini. »

BOOM BÉBÉ ! Quand je relisais ça, j’étais Usain Bolt, j’avais envie de me faire des high-fives et de me dire que ouais, ouais, on se laisse pas faire, Mymy d’avant, on défend son bifteck !

Sauf que je savais bien que ce n’était pas la fin de l’histoire.

Eh non. Puisque dix-huit minutes plus tard, j’envoyais ça :

« Je suis désolée, je suis désolée, je suis pas assez forte, je vais être assez forte pour toi et pour nous deux, je vais t’aider, on va s’en sortir mon amour, je suis désolée si j’ai fait quelque chose de mal, je peux pas te perdre, dis-moi que c’est pas fini »

ÇA N’A AUCUN SENS. Mais ça a été ma vie pendant deux ans. Et Jean-Michel Zozo, en face, ne m’aidait pas, parce qu’il était pas plus avancé que moi je pense.

Sauf qu’il n’allait pas se barrer, visiblement, et que j’étais incapable de le faire. Dix partout, ex-æquo dans la Coupe du Monde du seum.

Comment reconnaître une relation toxique

Je sais à présent que cette relation était toxique grâce à plusieurs de ses aspects, que je tente d’éviter soigneusement dans environ 1000% de mes interactions sociales présentes et futures.

  • C’était totalement inégalitaire : il s’est mis, seul, à agir différemment d’un coup, ne m’a jamais incluse dans cette décision (un mémo aurait été sympa, au moins), n’a pas pris en compte ses effets potentiels sur moi.
  • C’était totalement injuste : je n’étais pas responsable de sa baisse de moral et je l’ai chèrement payée ; il voyait que j’en souffrais énormément mais refusait de couper le cordon.
  • C’était psychologiquement violent : il me disait souvent qu’il ne s’intéressait pas à moi, que ça ne lui ferait ni chaud ni froid que je sorte de sa vie, etc.
  • Cerise sur le gâteau, il était incapable de me laisser partir. Même s’il pensait m’encourager à le faire.

— Arrête de me dire ce que je dois penser ou ressentir, Mymy. Tu n’es pas moi.
— Je sais. Mais tu ne me parles pas de ce que tu ressens. J’en suis réduite à deviner, à tâtonner dans le noir.
— Alors arrête d’essayer de comprendre.
— Je dois juste rester là et subir ? J’ai l’impression que tu me détestes.
— Je ne te force pas à rester, encore moins à subir. Je ne te déteste pas encore, mais ça risque d’arriver un jour si ça continue comme ça.

Eh oui, car plusieurs mois après une séparation dans la douleur et la morve, devinez quel zozo a décidé soudainement que notre couple valait la peine, PILE au moment où j’avais trouvé un autre mec — qui me respectait, lui, en tant que personne ?

Et devinez qui s’est REMISE AVEC JEAN-MICHEL ZOZO ?

Ça a duré bien moins longtemps, mais bon sang, à quel point est-ce que j’étais aveugle ? Stupide ? Accro ? Je sais pas. Je suis toujours pas sûre de ce qui me motivait dans ces moments-là, mais j’espère vraiment qu’on ne m’y reprendra plus.

violentometre
Le violentomètre est un outil créé par le Centre Hubertine Auclert, En avant toute(s), la Mairie de Paris, l’Observatoire des violences envers les femmes du Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis et l’Observatoire Parisien des Violences faites aux Femmes pour prévenir et sensibiliser

Les cicatrices d’une relation toxique

Heureusement, j’avais goûté au respect. Heureusement, j’étais arrivée chez Madmoizelle, j’avais dépoussiéré pas mal de casseroles de ma vie d’avant. Heureusement, ça a vachement moins duré.

Heureusement, c’est fini depuis longtemps.

Mais cela a clairement laissé des traces. Je me méfie maintenant des mecs trop sûrs d’eux, un peu arrogants, un peu m’as-tu-vu, qui draguent en taquinant et font courir les filles.

J’ai du mal à me sentir en sécurité dans une relation parce que j’avais pas vu venir que celle-ci se pèterait la gueule et m’enterrerait pendant tant de mois sous ses décombres.

J’ai du mal avec le manque de respect, réel ou imaginé, et j’ai tendance à me braquer très vite quand j’ai l’impression qu’on invalide mes sentiments, ma pensée ou mon vécu, sans donner assez à l’autre la chance de s’expliquer.

J’ai peur de croire en une histoire, et j’en ai marre d’être toute seule. J’ai peur d’être à nouveau amoureuse comme ça, comme je ne l’ai plus été depuis. J’ai peur de ne plus jamais être amoureuse comme ça, même avec le bon.

Rebâtir la confiance après une relation toxique

Depuis, j’ai vécu une relation cool, mais sans milliards de papillons dans le ventre. J’ai traversé deux chagrins d’amour coup sur coup qui avaient exactement les mêmes causes (cf. le début de ce papier-fleuve : apprendre de ses erreurs c’est pour LES FAIBLES).

Je n’ai plus aimé avec un grand « A » car ça me fait flipper. Et ce n’est pas grave, parce que j’ai appris à avoir confiance en moi, déjà.

À écouter mes tripes, mon cœur, ma tête, sans rien occulter, en faisant le tri. Je ne dis pas que je ne tomberai plus jamais dans le piège d’une relation toxique parce que je sais que parfois, même quand on sait, on se fait avoir.

Mais je suis clairement mieux armée que je ne l’étais cet été là.

Aucun amour, aucune relation, aucune promesse ne vaut de pleurer si souvent, de ne pas se sentir maîtresse de son bonheur, de son avenir, de ses actes. Si vous avez la sensation de dépendre de l’autre (que ce soit votre moitié, une amie, une membre de votre famille…), de ne pas être écoutée, respectée, que vos sensations valent toujours moins…

Barrez-vous.

Barrez-vous sans regarder en arrière, comme on arrache un sparadrap, ou barrez-vous en glissant un mot sous la porte si vous préférez. Je sais que ça fait peur et que ça va peut-être faire mal, mais vous réapprendrez à être vous. Votre propre personne. Pas celle que l’autre essaie de façonner.

D’ici quelques temps, vous y repenserez (ou vous replongerez dans vos mails si vous êtes comme moi) et vous vous demanderez : « Comment j’ai pu tenir ainsi ? ».

La vérité c’est que je ne tenais pas. Je me maintenais à peine à la surface et j’étais dans un état mental déplorable.

Je me persuadais que la seule échappatoire était un bateau qui avait depuis longtemps levé l’ancre, alors que me voilà au sec sur la rive, regardant d’un œil ébahi la mare où j’ai failli me noyer.

Croyez-moi, vous pouvez le faire. Même si vous avez l’impression de ne pas savoir nager.

Les suites de l’histoire

3 ans après la parution de cet article, l’ex de Mymy dont elle parle ici l’a recontactée. Pour savoir comment se termine cette histoire, la suite est ici !

À lire aussi : Comment dire à une amie qu’elle est dans une relation toxique ?

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Les Commentaires

115
Avatar de Rainbow Girl
16 décembre 2019 à 11h12
Rainbow Girl
J'ai été Jean-Michel Zozo dans l'histoire, parce que c'était une relation extrêmement compliquée (fusionnelle mais partie sur des bases toxiques) et sans étiquette (or les étiquettes sont peut-être un peu bloquantes, mais elles permettent au moins de délimiter les attentes qu'on peut avoir de l'autre…). À un moment, il y a eu un gros malentendu, genre je partais de mon côté et j'étais convaincue que l'autre s'en foutait, et quand je me suis rendu compte que ça lui faisait mal il était trop tard.
On a essayé de recoller les morceaux pendant un an, mais c'était juste atroce, car l'autre voulait que la relation d'avant revienne et moi je n'en étais plus capable. Et ça recassait sans arrêt avec toute la douleur qu'on imagine. J'avais envie d'arrêter pour ne plus vivre dans l'angoisse, mais j'avais droit à du chantage émotionnel du style "si tu veux qu'on arrête c'est que tu ne m'aimes plus". J'ai quand même fini par accepter le rôle de la méchante et faire une rupture nette parce que ça n'avait plus aucun sens.
Il n'y avait pas de gentil dans cette relation. Plusieurs des trucs qui ont déraillé sont dûs au fait que j'avais un gros complexe d'infériorité à la base et donc je ne croyais jamais profondément être autant aimée que j'aimais. Du point de vue de l'autre je pense que tout est de ma faute... Mais c'est une somme d'insécurités, d'amours confuses, d'attentes irréalistes, et de manque d'étiquettes.
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