Le sport, et en particulier le sport de haut niveau, a longtemps été la chasse gardée des hommes. Il y a seulement 110 ans, en 1912, Pierre de Coubertin, ancien président du Comité international olympique, déclarait publiquement que « les jeux olympiques devraient être réservés aux hommes » et qu’une « olympiade femelle serait impratique, inintéressante, inesthétique et incorrecte ».
Heureusement depuis, les femmes sont parvenues à se faire une place dans le milieu sportif et le nombre de licenciées au sein des fédérations sportives continue de croître chaque année. Cependant, comme l’explique à Madmoizelle Ganaëlle Rigondaud, kinésithérapeute et préparatrice sportive, le sport féminin n’est qu’à ses débuts et il y a encore beaucoup à apprendre sur les capacités physiques des femmes cisgenres.
« On a essayé de rattraper le retard sur le développement du sport féminin en essayant de s’entraîner comme les hommes. Sauf qu’on a oublié les spécificités féminines !
On a des corps différents, on a une physionomie différente, et c’est en prenant en compte ces spécificités qu’on pourra développer le sport féminin à son plein potentiel. »
Prendre en compte les cycles menstruels des sportives
Dans le cadre de son mémoire de fin d’études, Ganaëlle Rigondaud a justement travaillé sur l’une de ces spécificités, en établissant un lien entre les différentes phases du cycle menstruel et les blessures rencontrées par les joueuses de l’Olympique Lyonnais.
« En croisant les données recueillies par le staff médical sur trois ans, j’ai remarqué que certaines blessures survenaient plus souvent durant certaines phases du cycle. »
Ainsi, en fonction de l’âge de la sportive, de sa phase de cycle et donc de ses fluctuations hormonales, la joueuse ne rencontrerait pas les mêmes risques de blessures.
Par exemple, chez les footballeuses de 20 à 24 ans, on observe plus de blessures ligamentaires en phase lutéale (après l’ovulation et jusqu’au dernier jour du cycle), alors que chez les 25-29 ans ces blessures surviennent plutôt en phase ovulatoire (cf infographie ci-dessous).
Confirmer un lien entre l’incidence des blessures et les cycles menstruels pourrait permettre la mise en place d’entraînements plus efficaces tout en réduisant les risques de blessures.
« Ce n’est qu’un début et il faudra attendre d’autres études de plus grande ampleur », reconnaît Ganaëlle Rigondaud, mais cela permet déjà d’en parler et de sensibiliser les athlètes et leur entourage.
« Avant que les entraînements ne soient vraiment adaptés, il faut dans un premier temps que les joueuses s’intéressent à leur cycle, reconnaissent leurs symptômes, se posent des questions… Mais aussi que le staff, souvent majoritairement composé d’hommes, commence à y réfléchir et à le prendre en compte progressivement. »
« On commence tout juste à en parler », se réjouit la judokate Margaux Pinot, sacrée championne d’Europe en 2020. Pour Madmoizelle, elle se souvient :
« Ça fait des années que j’ai remarqué que mes règles ont un impact sur mes performances. Et là, tout récemment, le médecin de l’équipe de France a mis en place un suivi avec une application. Bon, à mon avis, le temps que les données soient recueillies, ce sera plutôt la prochaine génération qui va en profiter. Mais c’est un bon début. »
En attendant que son entraînement soit plus adapté, la judokate aménage sa récupération pendant cette période en adaptant son régime alimentaire et son sommeil. Laëtitia Guapo, numéro une mondiale en basket 3×3 en 2020, adopte à peu près la même stratégie.
« Depuis peu, j’essaie d’adapter mes séances lorsque j’ai mes règles, de ne pas faire trop de puissance et surtout de me reposer davantage. »
Pour Charlotte Morel, triple championne de France de triathlon longue distance, coach et co-fondatrice de l’application d’entraînement iDO Sport, il est important de repérer l’évolution de son corps au cours du mois. C’est pourquoi, dans son outil, elle a prévu des séances s’adaptant aux cycles menstruels des utilisatrices.
« Nous avons toutes des symptômes différents, cela permet vraiment de personnaliser l’entraînement. »
Les sportives et leurs équipes commencent donc progressivement à s’emparer du sujet et à collecter des données pour mieux comprendre ces fluctuations hormonales et l’impact sur le corps des femmes cisgenres. Mais les solutions face à la perte d’énergie, la fatigue, les douleurs ou encore la prise de poids pendant ou juste avant les règles sont encore fragiles. Margaux Pinot déplore auprès de Madmoizelle :
« Avant mes règles, je suis moins efficace, plus fatiguée. J’avais demandé à mon gynéco s’il avait une solution. Il m’avait simplement conseillé de prendre la pilule en continu. J’ai déjà essayé, mais la pilule ne me correspond pas… »
Charlotte Morel, elle aussi, avait été conseillée dans ce sens.
« Le médecin fédéral avait un peu essayé de me convaincre de prendre la pilule pour pouvoir décaler mon cycle. Mais, pour des raisons de santé, j’ai toujours été déterminée à ne pas faire ce choix. »
Pour Alizée Morel, championne de France du 800m et 400m nage libre :
« En natation, on ne réfléchit pas trop sur ces choses-là. Dans mon équipe, on enchaînait les plaquettes de pilules pour ne pas avoir nos règles pendant les compétitions. C’est tout. »
Briser le tabou des fuites urinaires et muscler son périnée
S’il est maintenant courant de parler de règles sur le bord des bassins ou sur le terrain, un autre tabou semble encore difficile à briser — celui des fuites urinaires. Charlotte Morel, qui coache régulièrement des triathlètes de tout âge et de tout niveau, soulève :
« C’est encore assez tabou, mais les fuites urinaires sont très courantes chez les sportives, beaucoup plus que chez les sportifs. Il y a un grand travail à faire sur ce point. »
En effet, selon une étude réalisée en 2016 à l’Insep (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), 72% des 404 sportives interrogées présentaient des fuites urinaires, qu’elles soient rares ou fréquentes. Des résultats qui s’expliquent par une sollicitation importante du périnée.
Aussi appelé plancher pelvien, cet ensemble de muscles internes situés entre le pubis et le coccyx se trouve aussi bien chez les hommes que chez les femmes et permet notamment d’assurer la continence urinaire.
Les sports les plus à risques pour le périnée sont ceux qui entraînent des déplacements rapides et supposent de fortes pressions intra-abdominales — c’est le cas par exemple du basket, du handball, du volley, de la course à pied ou encore de tous les sauts en athlétisme.
Pour pallier ce problème, des solutions existent, comme le souligne la triathlète.
« Il est important de travailler les abdos profonds et le périnée. Il faut prendre en compte ce travail dès le début et le renforcer tout au long de la carrière. »
Lise Anhoury Szigeti, psychologue clinicienne à l’Insep, se réjouit que ce sujet commence — enfin — à être abordé.
« À l’Insep, nous sommes en train de développer un projet autour des fuites urinaires. Cela permettra de mieux accompagner et de mieux prendre en charge les sportives dans un aspect préventif mais aussi de soin. »
Une prise en compte importante selon la spécialiste, qui souligne la priorité du bien-être des sportives, avant la recherche de performance.
« Une athlète qui n’est pas bien dans son corps ou qui n’est pas bien psychiquement ne sera pas performante. »
Un bien-être qui se traduit selon elle par un accompagnement sur le plan médical et sportif, tout au long de la carrière — et ce même pendant les périodes de pauses, comme lors d’une grossesse.
Sport de haut niveau et maternité, c’est possible, mais pas facile
Lise Anhoury Szigeti, qui a participé à l’élaboration du guide Sport de haut niveau et maternité c’est possible, piloté par le ministère chargé des Sports et sorti en février 2022, explique :
« Je pense qu’il y a une réelle amélioration de l’accompagnement pendant la grossesse. À l’Insep, les sportives sont bien accompagnées, bien entourées — il n’y a pas de culpabilité du fait de mettre leur carrière en pause par exemple. Elles suivent un entraînement adapté jusqu’à ce que le médecin conseille le repos. »
Si les choses semblent très bien se passer pour les futures mamans suivies par Lise Anhoury Szigeti, celle-ci reconnaît que les sportives de l’Insep sont privilégiées.
« Nous sommes une grande structure, nous avons la chance d’avoir tout sur place. Cela permet d’avoir plus de moyen et d’assurer un suivi complet. Mais toutes les athlètes n’ont pas cette chance. »
D’autant qu’à côté de cet accompagnement, les sportives sont encore loin de toutes bénéficier d’un congé maternité.
À part la fédération française de handball qui a signé en mars 2021 une convention collective prévoyant un congé maternité et la FIFA qui prévoit un congé maternité de 14 semaines, pour les autres sports, les dispositions légales sont généralement assez floues ou inexistantes.
« Aujourd’hui, il n’y a pas vraiment de règles, ça dépend des fédérations. C’est un peu au cas par cas. »
Une absence de normalisation qui conduit le plus souvent les athlètes à reporter leur grossesse ou à arrêter leur carrière après la naissance de leur première enfant.
« Il faudrait que la maternité soit intégrée dans la carrière avec un cadre légal clair. »
Mais l’instauration de ces filets de sécurité juridique, tout comme la poursuite des études sur les spécificités féminines, ne pourront se faire sans un investissement financier conséquent. Selon la kinésithérapeute Ganaëlle Rigondaud, c’est bien là l’obstacle le plus important au développement du sport féminin…
« Peut-on aujourd’hui espérer un suivi médical adapté et de réelles avancées quand certains clubs n’ont même pas les moyens de payer suffisamment leurs joueuses ? Je pense que c’est là toute la limite du sport féminin aujourd’hui.
Tant qu’il n’y aura pas plus d’investissement, le sport féminin ne pourra pas vraiment évoluer. »
Crédit de une : @hayleykimdesign / Unsplash
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