Esther est partie à la rencontre des Sénégalaises durant trois semaines. Elle a réalisé interviews, portraits, reportages, qui s’égrainent au fil des jours sur madmoiZelle.
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Pendant que les membres du groupe de femmes réfugiées dont je vous parlais dans un article précédent s’affairent de nouveau dans la préparation du savon qu’elles produisent, je m’assois face à Blandine*.
Tout au long de la journée, j’ai senti qu’elle avait des choses à dire, sans oser venir me voir directement. Suite aux messages d’encouragements d’une autre membre du groupe, je lui propose qu’on discute.
Je commence par lui demander depuis quand elle vit au Sénégal, mais comme beaucoup d’autres, elle me répond que « c’est compliqué ».
Son récit débute en 1997, alors que Mobutu, despote régnant sur la République Démocratique du Congo, s’apprête à tomber face à son futur remplaçant, Laurent-Désiré Kabila.
« Mon mari faisait du commerce. Régulièrement, il faisait des trajets dans les régions, avant de revenir à Kinshasa [ndlr : la capitale]. Un jour, je lui ai proposé de faire le trajet avec lui et on est partis ensemble.
Mais à ce moment-là, les pro-Kabila et les pro-Mobutu s’affrontaient déjà. Kabila avait formé des régiments de mercenaires, parmi lesquels les Maï-Maï. Ils ont kidnappé mon mari, pour le forcer à combattre auprès d’eux. »
Blandine devint captive au même moment. Mais sa guerre à elle ne se déroulait pas au front. Elle m’explique, en fixant la toile cirée qui nous met à l’ombre, prenant soin d’éviter mon regard :
« Nous les femmes nous étions prisonnières à disposition des soldats. Le viol je l’ai vécu plusieurs fois, c’était régulier. »
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Jusqu’à ce qu’elle parvienne à convaincre un soldat de les faire s’évader, elle et son mari.
« Je n’avais pas vu mon mari depuis deux semaines. Par l’intermédiaire du mari d’une autre femme j’ai su qu’il était blessé et ne pouvait pas revenir.
Au début le soldat ne voulait pas m’aider, mais il a fini par organiser notre sortie. Il parlait ma langue car il était aussi originaire de la capitale, ça a beaucoup aidé.
On a pris une pirogue et on a traversé vers le Congo Brazzaville. »
Réfugiée, une vie d’errance ?
Mais le Congo Brazzaville ne semble pas suffisamment éloigné du danger lorsqu’on a eu des proches qui ont travaillé à la présidence du temps du dictateur déchu Mobutu.
Après avoir travaillé dans les mines de charbon pour faire un peu d’argent, le couple décide de fuir vers le Cameroun car « là-bas c’était stable, c’était la paix ».
« On a fait le trajet dans les remorques qui transportaient du bois. Quand on passait les frontières si il y avait des gardes, il fallait descendre et passer par les tropiques, avec des gens qui connaissaient le chemin car on n’avait plus de papiers. »
Blandine et son mari rejoignent ainsi Douala, où ce dernier peut faire soigner sa jambe, enfin. Au bout de quelques mois ils décident de rejoindre la tante de Blandine au Niger.
« Mais là-bas, on vivait chez elle, on ne pouvait pas travailler… On ne pouvait pas construire une vie comme ça. Un cousin est revenu de Libye où il travaillait et quand il est reparti, on est repartis avec lui.
La Libye, c’était bien. On avait du travail, c’était stable sous Khadafi. Mais au moment où les guerres ont commencé à éclater, Khadafi a dit à ses soutiens que l’opposition se servait des étrangers pour les tuer. Donc c’est devenu très dangereux pour les noirs, des gens faisaient du porte à porte pour les trouver dans les maisons. »
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Après quelques années de vie paisible qui ont permis au couple de donner naissance à deux enfants, c’est de nouveau le début de l’errance.
« Le patron de mon mari nous a dit « il faut que je vous fasse sortir du pays, ça devient trop dangereux ». Il a tout payé pour nous, tout le trajet jusqu’au Sénégal car il appréciait le travail de mon mari. »
La famille traverse la frontière de l’Algérie, pour rejoindre le Mali.
« Le chauffeur nous a dit « je vais vous déposer dans cette maison pour la nuit, je reviens vous chercher demain matin ». Mais pendant la nuit des touaregs sont venus, avec des couteaux, pour tout nous prendre.
Ils m’ont violée. Et le lendemain le chauffeur est revenu, peut-être qu’il savait que les touaregs faisaient ça. Ma fille avait 8 ans, elle se souvient de cette nuit-là. »
Lorsque je lui demande si elle a reçu un quelconque soutien psychologique, une thérapie, Blandine explique simplement avoir fait des tests à l’hôpital au Mali :
« Heureusement grâce à Dieu je n’avais pas d’infections. »
« Une fois arrivées ici, on rencontre toutes les mêmes problèmes »
Aujourd’hui, comme ses camarades du groupe de femmes, elle désespère d’avoir « une bonne vie ».
« Ici, on n’a pas le statut de réfugiés. C’est dur hein. Moi je travaille, je suis gardienne pour une société de sécurité. Mon mari faisait pareil mais l’entreprise a fait faillite alors pour l’instant il est au chômage.
C’est très dur car on n’a pas de moyens. Mon mari suit une formation en plomberie donnée par Caritas… C’est Caritas qui paie aussi la scolarisation de mes enfants.
Pour la santé c’est compliqué, le HCR ne fait rien pour nous qui n’avons pas le statut de réfugié. »
Blandine souhaiterait retourner à Kinshasa, mais « les billets sont trop chers, on n’arrive déjà même pas à payer le loyer et à fournir pour l’alimentaire. »
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Elle remonte ses manches, manifestant l’envie de retourner aider à la production du savon au beurre de karité.
Il est 17h et le groupe de femmes a encore dix bacs à faire, avant de revenir démouler et découper le tout dans deux jours. « Pour ne pas devenir folles », avoir une activité, comme elles le mentionnaient au début de notre rencontre.
*Les prénoms ont été modifiés
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