Que tout le monde respire un grand coup ! Les débats se multiplient partout au sujet d’une prétendue réforme de l’orthographe par le Ministère de l’Éducation Nationale. Les agitateurs des réseaux sociaux annoncent la mort de l’accent circonflexe, le triomphe de « nénufar » et font du « i » de « oignon » un nouveau Moïse en l’exilant définitivement de notre bon vieux dictionnaire…
Il convient de remettre ici les choses dans leur contexte. Cette réforme de « l’orthographe révisée » correspond en fait à un bulletin officiel de l’Éducation Nationale qui remonte à 2008, rédigé à partir de rectifications validées par l’Académie française en 1990. Il y a de nombreuses exagérations en rapport avec cette réforme : par exemple, l’accent circonflexe ne disparaît pas complètement, il est conservé pour les mots qui ont des homophones.
Cela fait bien longtemps qu’on ne peut plus te reprocher d’écrire « weekend ».
Alors pourquoi tout ce tapage ? Les éditeurs de manuels scolaires ont tout simplement décidé pour la première fois d’appliquer la nouvelle orthographe préconisée dans leurs prochaines éditions. Il n’y a aucune nouvelle réforme mise en place par le Ministère, et notre orthographe habituelle est toujours très bien acceptée !
Rien de nouveau sous le soleil donc. Mais ce tourbillon de questionnements et l’indignation autour de la nouvelle orthographe mérite que l’on y mette un peu le nez.
On y arrivait à leur âge, pourquoi pas eux ?
Pour être honnête, en apprenant cette réforme, j’ai moi aussi commencé par grimacer un peu et râler sur le fait qu’on OSE toucher à notre patrimoine lexical. Mais après réflexion, cette réforme peut apporter des choses très bénéfiques.
On nous répète que le niveau d’orthographe des Français•es, et plus spécifiquement celui des enfants, diminue chaque année. Il faut dire qu’elle n’est pas facile facile, cette langue, avec toutes ses exceptions, ses étrangetés orthographiques qu’il faut connaître par coeur, faute de raisonnement logique… Mais si nous on y arrivait, pourquoi les jeunes pousses n’y arriveraient-elles pas ?
Après tout, le Pensionnat de Chavagne de M6 au début des années 2000 nous avait montré que des adolescent•e•s pouvaient s’adapter à une éducation (elle-même adaptée, quand même) des années 1950. Avait-on pour autant envie que cette éducation soit généralisée ? J’en doute.
Monsieur Navaron a fait son temps.
Les modes d’éducation sont voués à l’archaïsme car les générations évoluent. Cela ne veut pas forcément dire que l’on devient plus bête : on apprend de nouvelles choses (tous ces p’tits louveteaux qui vont savoir coder !) et surtout les priorités ne sont plus les mêmes (devine quoi, tu n’es plus obligée de savoir coudre !).
Une langue qui évolue est un phénomène naturel
Et si on arrêtait ce snobisme permanent du « c’était mieux avant », « nous à l’époque… », « nous au moins… » et du purisme qui frise parfois l’absurde ? On critique un nivellement par le bas à travers cette réforme. Mais un petit coup d’oeil à notre histoire littéraire montre que la langue française n’est qu’une succession de simplifications à travers les époques. Si nous étions vraiment puristes, on parlerait encore le latin aujourd’hui !
Ces simplifications étaient un phénomène tout ce qu’il y a de plus naturel, qui se fiaient notamment aux évolutions de prononciation, comme quand on a décidé en 1835 d’écrire « je trouvais » et non « je trouvois ».
On n’écrit plus comme Molière, à ce que je sache.
Pourquoi le français aurait-il forcément sa forme aboutie pour toujours, en ce 4 février 2016, alors qu’
il n’a cessé de muter à travers les siècles ? C’est une langue « vivante », ce qui signifie qu’elle évolue selon les usages de ceux et celles qui l’emploient. On invente de nouveaux mots, ils intègrent le dictionnaire en toute tranquillité, c’est donc logique qu’en parallèle d’autres termes subissent les changements de leur pratique. C’est un signe de modernité !
L’élitisme contemporain face aux difficultés de l’enseignement
Le niveau scolaire des enfants baisse. Soit. Faut-il alors continuer à sonner les cloches de l’élitisme en ignorant ces problématiques ? N’est-il pas temps de cesser d’être aussi rigide face au changement et de considérer avec pédagogie la hausse du nombre de fautes d’orthographe dans les dictées ? Est-ce qu’on ne pourrait pas filer un petit coup de pouce à ces 20 % d’enfants illettrés à l’entrée de la classe de sixième ?
Simplifier l’orthographe ne va pas résoudre par magie les problèmes d’illettrisme et d’éducation : c’est un problème de fond qui peine à trouver ses solutions miracles. Mais permettre à des enfants en difficultés d’avoir un peu moins de rouge sur leur copie ou de ne pas se sentir idiot•e devant la différence de prononciation entre oignon et oiseau… moi je dis, pourquoi pas !
Keep calm, and your trait d’union if you want
Il est compréhensible que ces changements puissent perturber nos habitudes, ce qui déclenche une réaction spontanée de rejet de notre part. Mais n’oubliez simplement pas que nous n’avons aucune obligation de changer notre orthographe (les enseignant•e•s non plus d’ailleurs), et que cela concerne 2000 mots (sur 60 000) qui pour la plupart correspondent à des habitudes que vous avez peut-être déjà abandonnées (« évènement » au lieu d’« événement », pour ne citer que lui) !
Si ces changements doivent entrer dans nos habitudes, ils le feront naturellement. Un peu comme quand on se moque des nouveaux mots d’argot qu’on finit malgré nous par adopter…
En fonction de l’époque où vous vous trouvez, Rocky a des chaussures de course, des tennis, des baskets, ou des runnings.
Notre patrimoine culturel ne se limite pas à un « i » après un « o », et d’ailleurs, ces évolutions de l’orthographe participent à sa construction. C’est bien l’histoire de notre langue que l’on écrit aujourd’hui et cela fera la joie des linguistes dans quelques siècles !
Pour aller plus loin :
- Sur Le Monde : Non, l’accent circonflexe ne va pas disparaître
- Questions et réponses sur la nouvelle orthographe
- Les nouvelles règles
- Journal officiel de la République française du 6 décembre 1990 : Les nouvelles règles de l’orthographe
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