Cet article ne contient pas de spoiler du film. Vous pouvez le lire avant ou après avoir vu le film.
Qui a dit que l’été était synonyme de désert au cinéma ?
Ce mercredi 16 août, on a découvert Sydney Sweeney, la révélation d’Euphoria dans un thriller étrange qui nous a captivées chaque seconde pendant 82 minutes.
Pour son dispositif qui brouille la distinction entre fiction et documentaire et ne ressemble à aucun autre, sa fin que vous ne verrez pas venir, et son actrice qui se révèle avoir mille visages, Reality est le meilleur film au cinéma cette semaine.
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Reality, de quoi ça parle ?
Le 3 juin 2017, Reality Winner, vingt-cinq ans, est interrogée par deux agents du FBI à son domicile.
Cette conversation d’apparence banale parfois surréaliste, dont chaque dialogue est tiré de l’authentique transcription de l’interrogatoire, brosse le portrait complexe d’une milléniale américaine, vétérane de l’US Air Force, professeure de yoga, qui aime les animaux, les voyages et partager des photos sur les réseaux sociaux.
Pourquoi le FBI s’intéresse-t-il à elle ? Qui est vraiment Reality ?
Le diable se cache dans les détails
Un thriller est rarement aussi glaçant que lorsqu’il repose sur le minimalisme le plus extrême.
Dans Reality, il aura pratiquement suffi de trois acteurs et de la pièce vide d’une petite maison de banlieue pavillonnaire pour nous plonger dans une angoisse tenace et nous faire éprouver la folie de l’impérialisme américain et ses contradictions, à échelle humaine.
Reality repose sur un dispositif troublant. Chaque phrase de dialogue est tirée de la retranscription réelle de l’interrogatoire subi par Reality Winner à son domicile en 2018. À partir de ce matériau documentaire brut, la réalisatrice Tina Satter reconstitue la scène sous nos yeux, presque en temps réel. Si cette fidélité au réel est aussi perturbante, c’est précisément… Parce qu’on n’y comprend rien.
Oubliez les hordes d’agents menaçants, les malfrats agressifs et armés jusqu’aux dents qui refusent de coopérer : ce qui se joue sous nos yeux est d’une banalité déconcertante. Il n’y a qu’une jeune femme de 25 ans, à l’air absolument inoffensif et normal. Certes, les hommes arrivent en groupe chez Reality. Ils prennent son téléphone, lui demandent où sont ses armes (on est aux États-Unis, autant dire que le fait qu’elle en possède n’est pas un sujet pour eux…), quadrillent sa maison.
Pourtant, ils semblent plutôt sympathiques. D’un air innocent, ils discutent de tout et de rien : des animaux de Reality, de ses cours de yoga, de la vie en banlieue. Ils évoquent, au passage, le fait qu’elle parle couramment le farsi, le dari et le pashto, la félicitent pour sa carrière – à seulement 25 ans, elle travaille comme linguiste pour l’armée et a pour ambition de rentrer dans les forces spéciales.
C’est tout le paradoxe de cet étrange personnage : madame tout le monde tout en étant surdouée, Reality est-elle une manipulatrice ? Celle qui semble si normale, simple, attachée à servir sa patrie cache-t-elle quelque chose ?
Cloué·e par une scène et des dialogues où chaque mot, chaque rictus, chaque regard semble dissimuler une vérité violente mais imperceptible, on se demande : quel est le crime dont est accusée Reality ?
Vérité, crime et pouvoir
Et si cette étrange discussion, à cheval entre le small-talk et l’interrogatoire était précisément la méthode par laquelle les agents du FBI obtiennent les informations qu’ils cherchent ? Ou pire : les informations qu’ils possèdent déjà mais feignent d’ignorer, attendant que Reality finisse, comme une souris à bout de force engluée dans un piège, à leur dire ce qu’ils veulent entendre.
L’interrogatoire se poursuit dans une pièce où Reality est isolée avec deux agents. Cette fois, la menace est plus perceptible, sans qu’on comprenne tout à fait ce qui se joue. La jeune femme est acculée par les deux hommes. Plus ils lui posent de question, plus on éprouve l’angoisse du cadre qui se resserre sur la jeune femme, entre ces murs nus, et sur cette musique stressante laissant présager le pire. Actrice troublante aux multiples facettes, Sydney Sweeney nous fait éprouver l’épuisement et l’angoisse irrépressibles qui montent chez le personnage.
Très vite, on comprend que l’intérêt du film ne réside pas dans le fait d’avoir su reconstituer un évènement réel, mais dans la façon dont Tina Satter nous fait éprouver l’imbrication entre le pouvoir et la gestion d’informations.
Avec leurs méthodes qui feignent la familiarité pour mieux mentir et manipuler, les agents du FBI ne sont qu’une partie d’un système bien plus immense, contradictoire et injuste : le gouvernement américain. Comme ces hommes aux méthodes douteuses, ce pouvoir triche, déforme la réalité, ment, tout en se revendiquant de la justice, de la liberté et de la vérité. Pour cela, il n’hésite pas à maintenir la terreur sur ceux qui se battent pour la vérité.
Avant la révélation finale, aberrante et révoltante, la réalisatrice nous met à la place d’une jeune femme qui expérimente physiquement et mentalement la folie de ce régime, signant une expérience de female gaze originale et un film sur un fait divers qui mérite toute votre attention.
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