— Initialement publié le 20 mai 2014
Note : cet article suit la diffusion française, assurez-vous donc d’être à jour avant de le lire, même si les spoilers sont légers !
La science fiction et la fantasy sont deux genres très riches qui ont la possibilité de questionner et critiquer l’humanité et la société à travers un futur hypothétique ou un passé imaginaire.
Real Humans, série de science-fiction suédoise dont la deuxième saison est diffusée en ce moment sur ARTE, met en scène une multitude de personnages formant une micro-humanité en constante évolution et en plein questionnement.
Les femmes y ont notamment une place de choix mais les hommes ne manquent pas non plus ! Tou•tes évoluent et présentent des personnalités complexes, tour à tour attachantes, méprisables ou terrifiantes…
Les consommateurs qui ont un Real Human
Dans cette série, le postulat de base est la démocratisation des hubots, robots humanoïdes, dans la vie quotidienne — au même titre que nos téléphones portables, voitures, etc. Mais on se rend vite compte que la simplicité du rapport humain/machine sur papier n’existe pas en réalité.
La ressemblance des hubots avec les humains empêche une réelle neutralité dans les rapports entretenus avec eux. Il y a volonté d’humiliation, d’écrasement. Les hubots sont mille fois plus performants que les humains mais entièrement soumis à eux, d’où un besoin perpétuel de les remettre à leur place. Le parallèle avec l’esclavage des Noirs par la pasteure Äsa est très parlant sur ce point.
On peut aussi constater que les femmes hubots sont plus particulièrement soumises à la violence des hommes : à de nombreuses reprises, on les voit palpées, claquées, violées… Mais peut-on vraiment parler de viol, puisque ce sont des machines ? La série questionne mais ne donne pas de réponse.
Ce qui est certain, c’est que ce rapport et cette violence même symbolique envers des êtres artificiels s’inscrit parfaitement dans notre société encore profondément sexiste, tout en n’étant jamais filmé avec la complaisance caractéristique des médias d’aujourd’hui (comme par exemple HBO avec le fameux Game of Thrones 4×03…).
100% real human… Et 100% hubot
Les deux positions extrêmes de Real Humans définissent les extrémités d’une échelle d’opinions très variées. D’un côté, on a les 100% humains qui donnent son titre à la série : Roger, Kevin et Malte dans la saison 1 et Rebecca et Conny, chef du mouvement dans la saison 2.
On éprouve d’emblée une certaine méfiance à leur égard car ils représentent l’extrémisme et le conservatisme. Certains de leurs propos ne sont pas sans rappeler les discours que d’autres tiennent à l’égard des immigrés : « les hubots volent le travail des vrais humains », par exemple.
Néanmoins, la série suit leur parcours et permet une certaine empathie pour Roger et Kevin sans pour autant faire preuve de complaisance. On sait ce qui les a menés à leur position actuelle, mais ça n’excuse jamais leur violence. Cette position n’est d’ailleurs pas si blâmable en soi : le refus d’une technologie envahissante à laquelle les humains deviennent dépendants peut se comprendre (la preuve avec le succès récent de Look Up par exemple).
De l’autre côté, les personnages de Bea et Niska clament la supériorité des hubots doués de conscience sur l’humanité telle qu’elle est aujourd’hui. Leur créateur David, rejoint plus tard par Jonas, clame d’ailleurs qu’ils sont « l’avenir de l’humanité ». Une vie éternelle dans un corps parfait, avec la conscience et les sentiments d’un humain.
À l’image des 100% humains, Bea et Niska sont prêtes à tout pour parvenir à leur but et peuvent se montrer très violentes. Le fait qu’elles soient toutes deux des femmes n’est pas anodin à mon sens, si on met en parallèle les traitements infligés aux hubots femmes et certaines scènes de la saison 2, qui ont une dimension très « rape and revenge » (un schéma scénaristique assez controversé mettant en scène un personnage violé qui se construira en opposition à ce viol en se vengeant du ou des coupable(s), comme le film Irréversible
par exemple).
Ces personnages sont à la fois les plus inquiétants et les plus « légitimes » dans la façon dont ils sont mises en scène. Ce sont des opprimés en révolte. Comme les 100% humains, ils gardent une véritable ambiguïté et évoluent constamment.
Les hubots qui aiment les real humans… et les humains qui aiment les hubots
Dans Real Humans, l’amour et le sexe sont l’espace où les limites se brouillent et où les différences humain/hubot semblent les moins flagrantes. Les uns ont intégré la norme et les autres la transgressent. Les hubots qui aiment les humains, comme par exemple Flash et Gordon, ont intégré leur statut d’être inférieur et aspirent à une humanité supérieure qu’ils singent.
Opposée à Gordon, son frère, qui se cherche dans le domaine spirituel de la religion, Flash a intégré à la fois les normes « humaines » et les normes genrées. S’inscrivant parfaitement dans notre société consumériste, elle désire passer du statut d’objet à celui de sujet en devenant possesseur à son tour. Elle aspire ainsi à une cuisine parfaite, une belle maison, des robes… Cet idéal façon IKEA n’est pas sans rappeler celui dénigré au début de Fight Club.
Elle veut aussi séduire un humain et avoir des enfants, devenant la parfaite femme au foyer des magazines qu’elle dévore. Elle va d’ailleurs si loin dans sa recherche de la norme qu’elle tient des propos homophobes quand elle découvre qu’elle est hébergée par un couple lesbien.
Flash est l’image parfaite d’un formatage par les médias : elle est l’opprimée qui a intégré la norme. Et force est de constater que cette norme paie, puisqu’elle est parfaitement acceptée…
Par opposition, les humains qui aiment les hubots et veulent leur reconnaître le statut de sujet qu’on aime (et qu’on ne possède pas) sont bien moins acceptés. Tobias, l’adolescent transhumain sexuel (attiré par les hubots) se sent terriblement mal et anormal, et Therese et Pilar qui trouvent en leurs hubots des compagnons idéaux et attentifs se voient refuser l’entrée en boîte de nuit.
Notons que les relations sexuelles tarifées avec des hubots sont quand même largement admises via un système de « prostitution » de hubots dans l’établissement Hubot Heaven. Les relations sexuelles avec les hubots d’accord, mais les sentiments, ce serait leur accorder trop d’importance…
Odi, l’esclave inconscient dans Real Humans
On voit également des hommes aimer les hubots sans y attacher de désir. Lennart, le vieillard, considère Odi comme un véritable ami et refuse de l’envoyer à la casse ; Silas, le revendeur de hubot, s’il a un rapport ambigu avec eux car ils restent ses esclaves, semble aussi éprouver un réel attachement pour ses robots. Et surtout pour Odi, qui émeut ses maîtres par sa fidélité et son innocence.
Odi est le seul hubot non modifié, c’est-à-dire non doué de conscience, qu’on suit réellement dans Real Humans. Il est fortement limité, il bugue car c’est un vieux modèle et semble n’avoir aucune estime pour sa « personne » : l’idée de perdre sa mémoire, par exemple, ne lui fait ni chaud ni froid. Il est une espèce d’enfant-esclave capable de s’émerveiller, de s’amuser, mais dont l’existence tourne entièrement autour de ses maîtres humains.
Avec son regard vide et son sourire niais, on dirait parfois un de ces idiots sublimes qu’on croise dans la littérature et qui, tout en se laissant entraîner dans des situations terribles et rocambolesques, finissent par retomber sur leurs pieds, toujours aussi purs et toujours aussi parfaits. À sa façon, Odi est un idéal de servitude et de gentillesse ; son existence, sa dépendance et ses limites en font le personnage tragique de la série, selon moi.
https://youtu.be/t5Ey1oOX7QU
Odi est une créature de Frankenstein pathétique, un Pinocchio sans mauvais penchants qui rappelle aux humains leur responsabilité dans son existence.
Inger ou l’ouverture d’esprit dans Real Humans
J’ai mis du temps à m’attacher à Inger et pourtant, c’est aujourd’hui mon personnage préféré. Sa famille représente à elle seule un éventail d’opinions sur les hubots : le père et la fille cadette sont des consommateurs presque esclavagistes qui ne se posent pas beaucoup de questions, le fils est transhumain sexuel, la fille aînée s’interroge et pousse les hubots vers l’humanité tout en se montrant consciente de l’opinion des autres.
Inger est, elle, un personnage pluridimensionnel que l’on suit dans plusieurs cadres où elle est toujours différente : c’est une avocate passionnée en proie au sexisme qui lutte pour un monde plus tolérant, une mère et une fille responsable et attentive bien qu’elle regrette de ne pas être plus présente pour sa famille, une amie capable de soutenir et d’écouter…
Inger, c’est la tolérance incarnée. Une femme qui réfléchit beaucoup et qui sait entendre les arguments contraires.
Quand sa famille voit en un hubot un simple outil, elle questionne immédiatement sur la portée d’une telle présence dans leur foyer. Après une période de compétition avec le robot familial, elle finit par reconnaître ses qualités avec bonne volonté. Quand elle fait face à une situation nouvelle, elle réfléchit avant d’agir. C’est elle qui, par sa mesure et son ouverture d’esprit, paraît avoir la bonne attitude et surnage dans un océan de médiocrité, de violence et de mesquinerie qui touche et les humains, et les hubots.
En somme, un modèle féminin complexe et en constante évolution, du genre qu’on voudrait croiser plus souvent… à la télé comme dans la vie !
Real Humans, c’est chaque jeudi sur ARTE, à 20h50 (deux épisodes à la suite), du 15 mai au 12 juin 2014.
Et voilà pour cette petite typologie des personnages de Real Humans ! Que pensez-vous de cette saison 2 ? Avez-vous des chouchous ?
Et si le film que vous alliez voir ce soir était une bouse ? Chaque semaine, Kalindi Ramphul vous offre son avis sur LE film à voir (ou pas) dans l’émission Le seul avis qui compte.
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