Gloire à David Bowie d’avoir poussé Iggy Pop, qu’il venait de faire signer chez Columbia avec James Williamson, le second guitariste des Stooges, à enregistrer un nouvel album avec le reste du groupe, et ce après leur séparation en 1971 (à cause de divergences multiples, de l’héroïne, etc). Raw Power est largement considéré comme l’un des albums de rock les plus importants, l’une des premières pierres de ce que l’on appellera plus tard le punk. Une arme de destruction massive.
Vous vous en doutez, j’écoute beaucoup d’albums. J’suis d’ailleurs de plus en plus exigeante quant à ceux que je chroniquerai ou non. Mais comme la plupart de mes collègues, j’essaye d’écouter un maximum de choses pour pouvoir ensuite vous proposer mon choix. Ecouter des dizaines et des dizaines d’albums par mois, c’est assez fatiguant. Passionnant, mais quand même sacrément crevant. C’est un peu comme le métier de goûteur (comme dans Astérix & Cléopâtre) (citer Astérix dans une chronique d’un album des Stooges, je l’avais pas prévu). Après avoir goûté des tas de gâteaux tous plus complexes les uns que les autres, un bon gros morceau de brownie vaut n’importe quel chef-d’oeuvre culinaire.
Raw Power, dans cette métaphore bancale, c’est le morceau de brownie avalé goulûment en trois bouchées et dont je lèche les miettes sur les tables avant de lâcher, repue, un “Ah putain c’est bon” qui fait toujours lever un sourcil chez la personne en face de moi. C’est la valeur sûre, le truc qui me plait et me plaira toujours, à n’importe quelle heure et dans n’importe quelle situation. Quand on me demande quel style de musique je préfère (après que j’ai répondu que je les aime presque tous), je réponds depuis peu : “les trucs violents mais qui restent accrocheurs”. C’est ça que j’aime le plus. La musique qui vous décolle les tympans tout en vous faisant danser et vous donnant envie de hurler ce que le chanteur hurle, peu importe ce qu’il raconte. C’est pour ça que j’aime le punk et que j’adore Iggy & The Stooges.
Là-haut j’ai écrit “protopunk”. Ça veut dire que ce disque a posé les “fondations” de ce qui allait s’appeler le punk-rock, comme l’ont fait une tripotée d’autres disques, dont les auteurs n’avaient évidemment aucune idée de ce que tout ça allait devenir, d’autant que ces mêmes disques ne se vendaient pas bien du tout à l’époque. Les deux précédents disques des Stooges furent un bide, causant la séparation du groupe, réuni en 1972 pour l’enregistrement de cet album par David Bowie. James Williamson a entre-temps remplacé Ron Asheton à la guitare, Asheton qui finira par rejoindre le groupe mais se retrouva “relégué” à la basse.
Ce disque est très différent des précédents. D’abord, il y a le chant d’Iggy Pop qui prend une nouvelle dimension. Alors que dans les précédents on dirait un gamin qui hurle, avec un talent dingue, certes, mais ça n’avait pas l’air extrêmement travaillé, dans Raw Power on découvre un Iggy plus contrasté, plus nuancé. Ok, “Your Pretty Face Is Going to Hell” est dans la lignée des morceaux de Funhouse, éruptif au possible, mais prenez “Gimme Danger” et “I Need Somebody”, où l’on peut d’ailleurs entendre une guitare acoustique (!) : Iggy m’y fait penser à Jim Morrison, avec sa voix calme (!), très sombre parfois dans la première, lunatique dans la seconde, et toujours possédée. Et que dire de “Penetration” où, si j’ose dire, il ne déborde jamais vers un exutoire criard, ce qui confère au morceau une tension affolante. Tant de seconds sens salaces dans une seule phrase, c’est pas permis.
C’est dans ce disque qu’il s’est imposé, en tout cas pour moi, comme l’un des meilleurs chanteurs rock de l’Histoire. Il y gagne en profondeur, en crédibilité, ce n’est plus un mec un peu dingue qui aboit, c’est un chanteur. Et en plus de ça, ses textes sont aussi plus intéressants que ceux des précédents disques.
Iggy Pop est aussi le producteur de l’album, contrairement aux précédents, ce qui peut expliquer sa totale implication, son professionnalisme son envie de faire le meilleur album possible. Pour la première fois, le groupe a essayé de faire autre chose que de capturer ce qu’ils font en concert. Avec en plus David Bowie en charge du mix de l’album, ça donne un son dans lequel il est un peu plus facile de s’immerger, même si ça sature gaiement sur “Your Pretty Face Is Going to Hell”. Ce n’est plus un bulldozer qui vous fonce dessus, mais quinze tanks qui vous foncent dessus de tous les côtés, avec des bombes qui vous tombent sur la tronche et des mines qui vous explosent sous les pieds ! Aucun morceau ne laisse de répit. “Search & Destroy”, “Raw Power”, “Your Pretty Face…”, “Death Trip”, ce sont à chaque fois un riff de guitare en forme de direct en pleine tronche, riff qui ne vous lâche pas jusqu’à la fin du morceau, pendant qu’Iggy Pop continue de vous marteler les côtes jusqu’au KO. Violent j’vous dis !
Bien entendu, aucun compromis, le titre de l’album dit tout : c’est raw, brut, c’est puissant, accrocheur voire carrément groovy parfois, et ça n’a d’autre objectif que de vous faire hurler de rage, de plaisir, de tout ce que vous voulez. C’est du rock’n’roll et c’est foutrement beau.
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