Miloš Forman s’est envolé le 13 avril 2018, cette fois-ci bien au-delà d’un nid de coucou. Décédé à l’âge de 86 ans, le réalisateur a laissé derrière lui un patrimoine cinéphile important, qui continue d’inspirer ses admirateurs, parmi lesquels Ryan Murphy.
Ce mastodonte du petit écran, père notamment de American Horror Story, Nip/Tuck, Pose, ou plus récemment Hollywood, remodèle cette année la matière créée par son aîné jusqu’à en faire une toute nouvelle substance.
Exit la Ratched (l’infirmière némésis de Jack Nicholson dans le multi-oscarisé Vol au-dessus d’un nid de coucou) dont la monstruosité n’avait jamais été questionnée, bonjour à une Ratched nuancée, tourmentée, plus altruiste que meurtrière.
Ryan Murphy and co, comme dans les saisons 2 et 4 de l’anthologie American Horror Story, font des marginales écorchées de leur imaginaire les héroïnes inquiètes du programme Netflix. Ensemble, elles doivent résoudre cette problématique : l’homme est-il un monstre ou le monstre un homme ?
Sujet épineux qui néanmoins n’effraie ni Mildred Ratched, ni ses acolytes féminines, dont rien ne peut ébranler le courage…
La Ratched d’hier et celle d’aujourd’hui
Depuis la sortie de la série Netflix évènement, le 18 septembre, plusieurs médias et abonnés de la plateforme de SVoD crient à la publicité mensongère.
On leur avait en effet promis une fiction glaciale sur l’antagoniste du film Vol au-dessus d’un nid de coucou, et on leur propose finalement une héroïne éloignée du personnage original, en quête de rédemption et d’identité sexuelle.
Les puristes hurleraient sans doute à l’infamie, préférons ici gueuler au génie.
Je fais partie de ceux qui estiment que transformer une figure iconique du cinéma n’est pas une hérésie. Au contraire ! Les héros, qu’ils proviennent du ciné ou de la littérature, appartiennent à l’imaginaire de tout le monde, et chacun est libre de leur offrir une nouvelle vie, dans un autre univers, un autre temps, ou même une autre histoire.
Ici par exemple, l’intrigue se déroule en Californie, bien loin de l’Oregon de Miloš Forman.
Et si à première vue, Ratched a tout de l’infâme meurtrière de Vol au-dessus d’un nid de coucou, l’antagoniste du film en réalité s’est mue en héroïne déchirante…
Qui est Mildred Ratched ?
Mildred Ratched est une femme froide et toujours tirée à quatre épingles, au sens de la morale très arrêté. Derrière cet apparent parangon de vertu se cache pourtant une héroïne brisée et meurtrière, qui porte le poids d’une enfance violente et d’une culpabilité innommable.
Infirmière de formation, Mildred Ratched fait tout ce qui est en son pouvoir pour intégrer Lucia, l’hôpital psychiatrique d’un médecin « avant-gardiste » nommé Richard Hanover. Elle ne recule devant aucun stratagème pour intégrer l’établissement : chantage, mensonge, et incitation au suicide.
Car si Mildred veut bosser dans cette clinique, c’est parce que celle-ci abrite un criminel extrêmement dangereux, incarcéré pour avoir assassiné de sang-froid une palanquée de prêtres. Un criminel dont elle est très proche…
À forces de manigances, elle entend bien libérer cet homme à qui « on a appris à être un monstre ».
Comme à l’accoutumée, Ryan Murphy et ses comparses ne se contentent pas de ce simple fil rouge mais font graviter autour de celui-ci plusieurs axes narratifs, jusqu’à former un univers où les héros ne sont pas toujours ceux qu’on croit…
Ratched, humaniste et ambitieuse
Il est souvent un peu long de tout à fait comprendre les enjeux des séries créées par Ryan Murphy. Au départ réside toujours une idée assez simple, dont elle pourrait n’être exploitée qu’en un ou deux épisodes.
Puis débarquent de nouveaux personnages, et avec eux de nouvelles idées, qui, mises bout à bout, dessinent une toile impressionnante de complexité et d’imagination.
Ratched, par exemple, est loin de n’être que la série horrifique promise par la plateforme de streaming. Ambitieux, ce programme aborde toutes les problématiques chères à son créateur et producteur : la monstruosité, l’injustice, l’homosexualité et surtout, SURTOUT la cruauté des hommes vs le courage des femmes.
Si Ratched a tout du divertissement grand public, avec son esthétique ultra-colorée, son découpage « blockbuster » et ses jets d’hémoglobines quasi-fluorescents, son ambition va plus loin que de simplement distraire les foules (à l’inverse du basico-basique Umbrella Academy).
Via une narration très « conte », Ratched analyse les tares encore tristement actuelles d’une société d’hier : l’homophobie, les violences sexuelles et sexistes.
Les « méchantes » n’y agissent qu’au motif de venger les horreurs dont elles ont été victimes. On aime immédiatement ces rebuts de la société, enfermées à Lucia pour « lesbianisme » ou « mélancolie ». On apprend à sinon aimer au moins pardonner celles qui se vengent, tant elles ont été malmenées.
Chacune a droit à son morceau de compassion de la part de Ryan Murphy qui s’évertue à créer des antagonistes plus complexes qu’on en voit généralement sur petit écran.
Ratched et ses personnages féminins
Complexes, les femmes de Ratched le sont certainement, par opposition aux hommes, qui agissent de manière animale (à l’exception de Huck, l’infirme travailleur au grand cœur). Toutes les infirmières ont une personnalité bien à elles, et toutes sont essentielles à l’intrigue.
J’aimerais souligner la drôlerie tragique de Betsy Bucket, sorte de marâtre transie d’amour pour son directeur, qui devient la pire ennemie de Mildred Ratched…
Mais ennemies, les femmes du programme ne le restent jamais longtemps, car la sororité est ici plus forte que la jalousie.
Cheffe de file des figures héroïques du programme, Mildred Ratched est une femme courageuse, qui n’a jamais peur de se dresser contre les injustices.
Toutefois, il est un courage que Mildred ne peut décemment avoir : celui d’aimer une autre femme. On est en 1947, et il ne fait pas bon être une lesbienne assumée.
Pourtant, Mildred sent bien que Gwendolyn Briggs, la responsable de campagne du gouverneur de Californie, lui fait de l’effet. Cette dernière, de son côté, ne cache pas son homosexualité, et compte bien faire ouvrir les yeux à Mildred sur son orientation sexuelle.
Ainsi, Ratched n’est plus une simple vengeresse détestable mais une femme amoureuse, qui porte sa sexualité comme le fardeau imposé par son époque.
Elle n’est plus une simple reine des glaces aux desseins parfaitement calculés, mais une victime de violences physiques, sexuelles et psychologiques, qui fait comme elle peut pour avancer.
Elle n’est plus une méchante primaire mais une héroïne plurielle.
Et à son instar, Gwendolyn Briggs, Betsy Bucket, l’infirmière Dolly et Charlotte Wells s’inventent multiples, capables du meilleur comme du pire. Elle se rêvent libres car elles sont prisonnières — de la société, toujours, des hommes, souvent.
Les femmes de Ratched ne sont pas si différentes de celles qui agitent notre époque : elles sont vent debout contre la violence des hommes, résolues à faire bouger les lignes et à vivre libres.
Avec leur adresse habituelle, cousue pourtant d’une mise en scène parfois grand-guignolesque, Ryan Murphy et son équipe racontent les luttes d’aujourd’hui avec la plume d’hier.
Et, quoi qu’en disent les détracteurs de Ratched, c’est brillant.
À lire aussi : Vol au-dessus d’un nid de coucou, l’hommage de la semaine pour briller en société
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