« Nos pompiers, violeurs comme les autres ! »
L’un des nombreux slogans scandés ce jeudi 24 septembre 2020 devant la chambre d’instruction de la cour d’appel de Versailles.
Les associations Nous Toutes, FEMEN, Osez le féminisme et des militantes anonymes se sont réunies pour soutenir une énième victime de la culture du viol : Julie.
À 9h débutait l’audience d’appel contestant la correctionnalisation (transformation d’un crime en délit) des viols subis par cette dernière, alors âgée de 13 ans, et perpétrés par 22 pompiers de Paris alors qu’elle était en état de médication et de grande fragilité.
Julie, sa mère Corinne Leriche et les activistes féministes réclament le jugement de ces 22 hommes pour « viols aggravés » et non pas pour « atteinte sexuelle » — un délit bien moins sanctionné pénalement.
madmoiZelle s’est rendue sur place pour un reportage photos.
L’histoire de Julie, accusant 22 pompiers de viols
Devant le portail de la cour d’appel de Versailles ce jeudi 24 septembre 2020, un peu avant 9h : des pancartes violettes, quelques dizaines de femmes masquées et du silence.
Julie, 25 ans, arrive en fauteuil roulant, accompagnée de sa mère, pour l’audience. Les voix s’élèvent, une énergie de sororité et de bienveillance soulève la foule et tente de leur donner du courage.
Si Julie est aujourd’hui handicapée à 80%, c’est parce qu’elle a tenté de se suicider par défenestration en 2014, souffrant des viols en réunion qu’elle a subis de 13 à 15 ans dans le cadre d’hospitalisations à cause de crises de spasmophilie et de tétanie.
Après une première intervention des sapeurs-pompiers de Paris à son collège en 2008, alors qu’elle est en quatrième, l’adolescente échange avec l’un d’eux, Pierre, âgé de 21 ans. Leur discussion se poursuit via Facebook.
Pierre fera rapidement circuler les coordonnées de la collégienne à certains de ses collègues et organisera de multiples rencontres entre eux et Julie. C’est là qu’auront lieu les viols en réunion et à répétition. RMC cite son avocat, Jean Tamalet :
« Les pompiers ont un ascendant sur Julie à l’époque, ce qui est un des éléments constitutifs de la contrainte. Sa vulnérabilité est avérée, compte tenu des médicaments qu’elle prend à haute dose. »
La cauchemar et le cercle vicieux se mettent en route : la victime raconte que plus les viols ont lieu (à l’hôpital et à l’extérieur), plus ses crises d’angoisse se multiplient et plus les pompiers interviennent dans le cadre de sa prise en charge médicale.
En tout, 130 interventions en deux ans et une jeune fille qui s’auto-mutile, tente de se suicider à plusieurs reprises, enchaîne les prises d’antidépresseurs, sombre dans un mal de plus en plus profond.
En 2010, Julie sort du silence et avoue tout à sa mère. Une plainte est déposée, premier pas dans une procédure de dix longues années qui n’a toujours pas pris fin.
Trois pompiers sont mis en examen pour « viols sur mineure en réunion », les autres sont entendus mais ne sont pas poursuivis. Tous reconnaissent les rapports sexuels mais déclarent qu’ils ignoraient l’âge ou l’état de fragilité de Julie.
Le défaut de consentement n’est pas retenu. Au lieu de « viol », un crime, 3 des 22 hommes sont renvoyés en Correctionnelle pour « atteinte sexuelle », un délit passible de 10 ans de prison maximum, soit moitié moins que la peine encourue aux Assises pour « viol aggravé ». Pour les autres pompiers mis en cause, le juge d’instruction estime que l’abus d’autorité n’est pas caractérisé.
Ce jeudi 24 septembre, l’audience examine donc la demande de requalification des faits en « viols aggravés » pour les 3 hommes. Et en attendant un verdict qui mettra des jours à tomber, les militantes féministes restent mobilisées.
La manifestation féministe en soutien à Julie, victime de viols en réunion par des pompiers de Paris
« Au feu, au viol », « le viol est un crime », « Julie on est là, on est avec toi », ce sont les mots scandés par les militantes, parfois dans les larmes, mais toujours avec une immense force.
Sur les pancartes, «
je te crois, tu n’y es pour rien », « Nos pompiers des héros violeurs comme les autres » ou encore « Justice pour Julie ».
Anne, membre actif du comité Nous Toutes à l’antenne 78, affirme à madmoiZelle son soutien indéfectible pour Julie et sa famille :
« Je suis venue pour apporter tout mon soutien moral et affectif à Julie, à ses proches et surtout à sa maman qui se bat de façon admirable depuis dix ans et qui mérite tout notre respect et notre soutien.
Je suis venue également parce que cette affaire est vraiment caractéristique de tout ce qui concerne les affaires d’agressions sexuelles, notamment par l’impunité des agresseurs.
Sur 22 personnes il n’y en a que 3 qui sont poursuivies et […] elles encourent des peines légères alors qu’elles ont détruit la vie d’une jeune femme. »
Pour les militantes, avec cette affaire, la Justice envoie une fois de plus un message de minimisation des violences sexuelles et fait passer l’intérêt et la protection des agresseurs avant celle des victimes. Elles dénoncent aussi la lenteur des procédures qui enferment les personnes comme Julie dans la douleur, sans leur permettre de tourner la page.
Certaines, amères, repensent aux récentes déclarations du Premier Ministre Jean Castex en visite dans un centre d’hébergement de femmes victimes de violences, qui affirmait que « la société a le devoir de protéger [les victimes de violences sexuelles] ».
Claudine Cordani, ex-journaliste et autrice du livre La Justice dans la peau, est elle aussi présente. Violée en réunion, séquestrée et torturée quand elle avait 17 ans, elle a été la première victime à refuser que ses agresseurs soient jugés à huis clos en 1984.
Devant la cour d’appel de Versailles, elle crie :
« Ce n’est pas un combat de femmes, c’est un combat de Société, avec un S majuscule. »
Aux alentours de 10h, une heure après le début de l’audience, Corinne Leriche, la mère de Julie, sort pour donner des nouvelles à la foule et annonce le positionnement annoncé du procureur de la République.
Sophie, membre du comité Nous Toutes, répète ses paroles :
« Les parties civiles n’auront pas l’autorisation de rentrer dans la salle d’audience, c’est-à-dire que Julie et sa mère devront rester à l’extérieur, seul leur avocat pourra rentrer.
La deuxième chose, c’est que le procureur a annoncé qu’il allait plaider pour le maintien en requalification en atteinte sexuelle, il ne va même pas plaider pour la requalification en viol.
La justice s’est déjà positionnée, mais par contre le jugement n’a pas été rendu. »
Cette nouvelle est un coup de massue pour toutes les personnes sur place, mais l’espoir perdure et Corinne remercie tout le monde avec larmes et émotion.
Dans la rue parallèle à l’entrée de la cour d’appel, les actions du collectif Collages féminicides Paris datent du matin même.
Un peu avant 11h, Sofia Antoine, activiste FEMEN, conseille à toutes les personnes présentes de dissiper le groupe petit-à-petit puisque l’audience sera longue et le délibéré n’aura lieu que le 12 novembre prochain.
Malgré tout, elle l’affirme, la mobilisation continue via les réseaux sociaux et clôture avec ces mots :
« Merci à vous toutes, soyez votre propre révolte, votre propre lutte, votre propre rébellion, vous êtes toutes légitimes. »
Pour soutenir Julie et toutes les victimes de violences sexuelles à travers elle, cette pétition est en cours et requiert un maximum de signatures.
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