Il est un peu plus de midi à l’ombre de la tour Montparnasse et sous un soleil radieux quand s’élancent plusieurs milliers de sages-femmes venues de toute la France. L’ambiance de la manifestation a beau être bon enfant, il n’y a qu’à tendre l’oreille pour sentir la colère qui gronde. La rage, même, écrite en toutes lettres sur de très nombreuses pancartes.
C’est une manifestation « code noir » qui s’est tenue ce jeudi 7 octobre à Paris, en référence à une situation d’urgence dans l’exercice de leur travail.
Aux slogans des sages-femmes s’ajoutent le bruit strident des sifflets, et un autre, un clac-clac assourdissant qu’on a rarement entendu en manif : beaucoup ont a la main un spéculum à usage unique qu’elles font claquer en signe de protestation.
« On sait que ce sera la galère. »
Certaines ne sont pas encore diplômées mais savent déjà qu’elles s’engagent sur un chemin professionnel éprouvant. Lisa, Olivia, Océane et Fanny, en cinquième année d’études pour devenir sages-femmes, sont venues de Nancy pour défendre leur avenir :
« On a déjà eu des expériences sur le terrain et on s’est rendu compte de beaucoup de choses qui n’allaient pas, on voit les difficultés tous les jours sur le terrain, pour les sages-femmes comme pour nous. »
Leur présence dans cette manifestation est un moyen de faire entendre leur parole. « On veut soutenir nos collègues, nos futures collègues. Plus tard, on sera sages-femmes mais on sait que ce sera la galère. »
En quatrième année à l’hôpital Foch, Samrine et Lemba font le même constat. Elles voient elles aussi la dégradation des conditions de travail qui rend l’exercice de leur profession chaotique, notamment les sous-effectifs qui sont monnaie courante : « En tant qu’étudiantes, on est quasiment considérées comme des sages-femmes dans les services et ce n’est pas normal. »
Dans le cortège, beaucoup ont privilégié l’humour et la provocation comme ces quelques manifestantes qui portent une pancarte où l’on peut lire : « Il n’y a que mes patientes qui ont le droit de me chier dessus. », ou « Y’a pas que le périnée qui craque. ».
Même celles et ceux qui n’ont pas connu les déboires de l’accouchement comprennent le message : les sages-femmes en ont marre du mépris, marre d’être traitées comme des moins que rien.
« Plus que des accoucheuses »
« Les femmes reconnaissent notre métier seulement dans la salle de naissance », déplore Lisa, « alors que nos compétences sont élargies au niveau de la gynécologie, au niveau des écho, on a le même DU d’échographie que les médecins. »
À côté d’elle, sa camarade renchérit :
« Sage-femme, ce n’est pas qu’une accoucheuse, on fait énormément de choses à côté, on est là pour accompagner les femmes, leur famille, les bébés, donc on doit aussi nous accompagner dans notre travail. »
Alexia, elle, est venue de Lyon avec ses collègues, et ce n’est pas la première fois :
« C’est du foutage de gueule. En 2013, on était déjà venu à Paris pour manifester et rien n’a évolué, on est toujours là pour les mêmes revendications. Il va arriver un malheur si on n’augmente pas les effectifs, il faut revaloriser nos salaires, on ne peut pas gagner 1700 euros en faisant des nuits et des weekends ! »
Elle aussi déplore que la profession soit cantonnée à la salle d’accouchement : « On fait le suivi gynécologique, les échographies, les IVG, tous les suivis, et plein de femmes ne sont pas courant, c’est vraiment dommage. »
La course à la rentabilité du métier de sage-femme
Lise, plus de vingt ans de métier à Beaune, est « toujours aussi passionnée par son métier, mais un peu dépitée quand même » :
« Ça devient de plus en plus dur, les conditions de travail se dégradent, il y a eu trop de fermetures de maternités, de lits, et ça continue. Il faut aller à la rentabilité, alors que notre boulot c’est d’accompagner les femmes, de prendre le temps. On a l’impression d’un dialogue de sourds avec nos directions. »
Elle constate un « gros ras-le-bol » : « On n’arrive plus à exercer notre métier comme il faudrait qu’on l’exerce pour prendre soin des femmes, des nouveaux-nés. »
Une évolution en contradiction avec les besoins exprimés par les patientes : « Être dans l’accompagnement, c’est de plus en plus une demande des femmes… et on va dans le sens inverse. »
Un futur sujet dans la campagne présidentielle ?
Aux abords de la tête de la manifestation, alors que les manifestantes font une halte devant l’hôpital Necker – en entonnant « Je suis sage-femme » sur l’air d’Envole-moi de Jean-Jacques Goldman –, un petit attroupement grossit. Yannick Jadot, vainqueur de la primaire écologiste, est venu écouter les revendications, tandis que Sandrine Rousseau a rejoint le cortège pour marcher aux côtés des sages-femmes.
Plusieurs représentants et représentantes de la profession, dont Marianne Benoit-Truong Canh, vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes, interpellent celui qui incarnera la voix écologiste pendant la campagne :
« S’il n’y a plus de sages-femmes, il n’y a plus de maternité ! Une étudiante me disait que dans sa promo, il y a 30% des élèves qui veulent se réorienter. Qui va s’occuper des patientes demain ? Les médecins ne peuvent pas, il ne faut pas rêver ! On compte un médecin quand il y a quatre sages-femmes de garde, donc ce n’est pas possible. Il faut l’entendre ce cri. »
Marianne Benoit-Truong Canh poursuit, toujours en direction de Yannick Jadot : « Vous savez combien c’est payé une garde en plus ? Une nuit, c’est payé un euro de l’heure en plus, est-ce que un seul d’entre vous accepterait ça ? Pour lui et sa famille ? Personne ! Il faut faire quelque chose, écoutez les sages-femmes. »
Derrière le petit attroupement submergé de journalistes, la manifestation a repris, toujours sous les sifflets, direction le ministère de la Santé, pour que le bruit des spéculums arrive jusqu’aux oreilles d’Olivier Véran.
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Crédit photo : Maëlle Le Corre pour Madmoizelle.
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J'avais un petit peu d'espoir, ce fut la douche froide