Il y a peu, j’ai envoyé une lettre à mon copain au sujet de mon rapport à la sexualité. J’ai enfin réussi à mettre des mots sur quelque chose que je n’arrivais pas à expliquer ! Et comme ces choses-là peuvent parler à d’autres personnes, j’ai décidé de la partager avec vous.
C’est l’histoire d’une petite fille surnommée « la coincée »
Tu dois te dire que c’est bizarre que je t’envoie cette lettre, peut-être même que ça t’inquiète. Alors je vais te rassurer, je veux juste te raconter une histoire. Comme c’est quelque chose que je n’arrive pas à te dire à l’oral et que je trouve trop important pour t’en parler par message, la lettre m’a paru être le meilleur moyen.
C’est l’histoire d’une petite fille que tout le monde appelait « la coincée » à la récré au collège. Elle sortait alors de l’école primaire où son unique préoccupation était de laisser parler son imagination. Mais quand elle est arrivée au collège, le soleil s’est assombri et les nuages noirs se sont abattus sur son crâne.
Avec le mauvais temps est tombé une notion, un mot que cette petite fille, moi, ne connaissait pas du tout : la sexualité. Mais qu’est-ce que c’était ? Non en fait, je ne voulais pas savoir, j’étais heureuse là, je voulais rester comme ça.
Mais non, ce terme était là, il résonnait dans les couloirs du collège comme le maître mot devant guider un nouveau comportement.
Adieu les balles aux prisonniers et les chats perchés. Bonjour les blagues orientées, les insinuations salaces et les regards violents. Une fille pouvait être la reine du collège parce qu’elle sortait avec Mathieu de la troisième B… et être une salope parce qu’elle sortait avec Mathieu de la troisième B.
Tout devenait un challenge, une étape, un pari, un défi, un enjeu, et il me fallait rentrer dans cette danse pour ne pas me faire appeler « la coincée » .
Comme Clémence l’a expliqué sur madmoiZelle :
« On n’apprend pas dans les écoles à se construire des relations amoureuses et sexuelles saines et épanouies. En revanche, tout le reste de la société et du contexte culturel nous apprennent à penser la sexualité à travers les stéréotypes sexistes et violents. »
Mais c’était trop tard pour moi et je ne comprenais pas pourquoi. En fait, tout ce que je faisais, c’était faire ce que je voulais, penser à ce dont j’avais envie. Et la sexualité, je ne voulais pas y penser, ça ne m’intéressait pas. Et pourquoi on me parlait de sexualité avant même de me parler d’amour ?
Une vision négative de la sexualité qui devient naturelle
Malheureusement, je faisais confiance à ce qu’on me disait et en ce que j’entendais, car je n’arrivais pas encore à me faire un avis. Je me laissais guider par ce qui m’entourait, et voici ce que c’était.
Je devais selon les autres devenir une femme. Je n’avais ainsi plus le droit de m’amuser avec des gens juste parce qu’on plaisantait bien ensemble. Je n’avais plus le droit de rire avec un garçon sans avoir d’arrières pensées, sans me poser la question. Je devais sans cesse avoir un « béguin » pour quelqu’un, et que ce soit un garçon bien sûr !
Partout autour de moi, la femme devait être belle, et pas seulement. Les métaphores violentes, les images sales, les blagues, les allusions, les sous-entendus, les anecdotes, les mensonges, les réputations… Tout ça me faisait comprendre que je devais être un « bon coup ». Mais plus encore, que la finalité d’une relation, le point final qui clôturerait ma bonne entente, serait le sexe.
Mais moi, cette jeune fille, je n’en avais rien à faire de tout ça. Parce que toutes ces questions ne me venaient pas naturellement à l’esprit. Parce que ça ne m’intéressait pas. Parce que je n’étais pas « chaude », ni « bonne » selon les classifications qui m’entouraient. Parce que je ne me masturbais pas. Parce que je ne regardais pas de porno. Parce que je ne portais pas de string.
Parce que je m’intéressais à l’amitié. Mais aussi parce qu’avec tout ça, je ne pouvais qu’avoir une vision négative de la sexualité car on m’imposait cet univers. Tout ça venait de violer mon esprit, car pour moi c’étaient des pensées forcées, donc désagréables et stressantes.
Et durant toutes les années qui ont suivi, cette vision négative de la sexualité s’est enracinée dans ma tête, elle est devenue naturelle, ou du moins elle a engendré un comportement que je croyais naturel, que je ne contrôlais pas. Mais c’était tellement ancré en moi que je ne pouvais pas ne plus prendre en compte cet aspect de moi-même.
Surtout, je n’arrivais pas à savoir si j’avais eu un jour de moi-même de l’intérêt pour la sexualité ou si c’était le contexte lourd qui m’entourait qui me l’avait imposé.
Quand le sexe n’a rien de « naturel »
Mais maintenant je commence à comprendre, enfin je démêle tout ça. Il n’y a pas longtemps, j’ai lu un article qui parlait des différentes sexualités des gens. Je semble me rapprocher de la catégorie que l’on appelle « demisexuelle » : je ne ressens de l’attirance sexuelle pour quelqu’un qu’après avoir instauré un lien émotionnel fort, très fort. Mais ma manière d’agir, ma façon d’être ne se traduisent pas que par une catégorie.
Je me suis alors posée une question : pourquoi faire des câlins me paraît naturel dans une relation amicale mais pas dans une cadre plus intime ?
Pourquoi j’aime bien que mes amis me prennent dans leurs bras mais je n’aime pas quand c’est mon « petit ami » ?
La réponse est dans la question : ce sont deux relations distinctes et différentes. Du moins c’est ce qu’on veut nous faire comprendre. Et le pas entre les deux, on nous demande de le franchir du jour au lendemain, de passer de l’un à l’autre d’un seul coup. Et ça, ce n’est pas naturel ; pour moi, c’est forcé.
Quand, entre amis, on se prend dans les bras, j’aime bien car c’est sincère, c’est un câlin parce qu’on s’aime et qu’on veut le prouver. Alors oui, je les prends dans mes bras pour montrer que je les aime.
Dans une relation intime, quand on me prend dans ses bras, je ne suis pas à l’aise, je stresse : pour moi, cette action n’est que le rappel qui m’alerte que « l’acte sexuel » va arriver bientôt. Quand je suis en couple, je sens cette épée de Damoclès qui pend au dessus de ma tête. Cette pression car je sais qu’au final de la journée, du week-end, du temps qu’on passe ensemble, il va « falloir » faire l’amour.
Et ça m’enlève toute envie, tout désir : il ne reste que la pression du moment qui doit fatalement arriver. Alors je n’apprécie pas le moindre moment de tendresse car je les vois comme des actes orientés. Malgré moi, je les ressens comme ça. Et je ne parle pas du moment en lui-même qui regorge de pressions intrinsèques.
Je conçois ainsi principalement le sexe avant tout comme un passage obligé, plein de pressions : la réussite du couple, la réussite de l’acte en lui-même. Et cette pression annihile la plupart de mon rapport charnel au sexe ; mon propre désir est mis en sourdine, dominé par les pressions sociales qui m’ont été inculquées.
J’ai déjà ressenti de l’envie et je sais que je peux en ressentir ; je prends quand même du plaisir, mais seulement quand je suis vraiment, vraiment en confiance. J’en ressens quand je n’ai pas l’impression que le sexe vient se placer là comme un cheveu sur la soupe, mais quand il est suivi d’un vrai moment de bonheur, de plaisir non physique avec la personne. En bref, quand je sais pourquoi je veux faire l’amour avec cette personne.
Le passage brutal du « être ami » à « être en couple » et de ce que ce passage engendre de pressions, tout cela je veux t’en parler car je ne veux pas que ça se passe mal, et je me rends compte que je ne peux pas refréner ma pensée et ma manière d’être. Je suis comme ça, je réagis comme ça et je m’aperçois que je ne peux rien y faire, qu’il faut juste que je fasse avec et, petit à petit, je verrai l’évolution.
Je découvre petit à petit qui je suis et je l’assume
Je pense être quelqu’un de sincère, et c’est en partant de ce constat que je décide de ne pas vouloir me laisser dicter par ce que le contexte et la société veut ancrer dans ma tête : une manière d’être en couple et une dictature du sexe. Je veux me réapproprier ma sexualité, pour ne plus avoir à prendre en compte que mes propres envies.
Je voudrais donc qu’on cherche ensemble des « solutions ». J’en ai marre de réagir comme ça et de ne rien faire pour que ça change. Je veux juste me sentir bien, et être claire avec mes attentes et mes envies.
Alors voilà, je ne sais pas encore qui je suis, je le découvre petit à petit, on est encore jeunes. Je ne sais même pas encore avec certitude si je suis hétéro, bi ou homo. Pour l’instant, par contre, je sais un peu mieux où me placer dans mon rapport avec la sexualité.
J’aimerais te dire que je suis désolée de tout ce que je viens de t’expliquer et de mes réactions, mais je crois que je ne le suis pas, car je comprends que c’est ma personnalité et je sais pourquoi je réagis comme ça. Même si mes réactions peuvent me faire « souffrir », elles sont vraies et elles sont ce que je suis, donc je l’assume.
Je ne suis pas désolée mais je m’excuse si je te fais « souffrir » toi aussi.
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Les Commentaires
J'aurais presque pu l'écrire !
Mais après, à l'adolescence j'ai commencé à ressentir du désir, du plaisir, et ça ne m'a jamais quitté.
Après, je n'ai jamais été en couple, donc je n'ai jamais eu à gérer ça avec qqun.
J'ai trouvé cette lettre très touchante. Dans le principe déjà. Ecrire pour expliquer ça peut être plus facile. Et comme l'a dit une madz plus haut, on dirait qu'il faut que ça vienne de toi maintenant, plus de l'extérieur, malgré la pression.
Bon courage à toi en tout cas