Après 17 ans à Paris, je décide à 37 ans de déménager en Haute-Savoie, pour un changement de vie radical… même si je n’imagine pas encore à quel point.
Quelques mois avant mon départ, je sens une boule en me palpant le sein, alors je prends rendez-vous chez ma gynéco qui me prescrit une mammographie. Verdict : un adénofibrome, rien de grave, ouf !
Sauf que les semaines passent et que je sens la boule qui grossit, et surtout qui me fait mal. Je retourne voir la gynéco qui me répond : « Arrêtez de vous tripoter, ça ne peut pas grossir ! ».
Sauf que je me mets à saigner du mamelon, alors je vais voir un autre gynéco qui me donne rendez-vous pour une opération du sein la semaine d’après afin d’enlever les canaux galactophores et ma boule, vu qu’elle me gêne mais est toujours bénigne selon lui.
Dix jours après mon opération (merci les copains pour le coup de main pour faire mes cartons !), je déménage direction les montages, le sourire au lèvre, le sein énorme sous des pansements, et la chanson « tout le bonheur du monde » de Sinsemilia en boucle dans la voiture.
Je suis prête à attaquer une nouvelle vie et un nouveau boulot !
« C’est un cancer »
Sauf que le mardi 5 juin à 9h30 — je n’oublierai jamais l’heure, ni le moment — le chirurgien qui m’a opéré m’appelle, il ne trouve pas ses mots, et je le sens décontenancé. Il me dit qu’il a eu les résultats d’analyse et que c’est grave.
Comme il tourne autour du pot, je prononce moi-même le verdict : « c’est un cancer ». Il confirme et me dit qu’il est très agressif. J’ai bien fait d’insister pour l’opération, car sinon, cela risquait d’évoluer en cancer généralisé sous un an !
En raccrochant, j’ai l’impression d’avoir pris un TGV de plein fouet. Je vous passe les détails de la suite : on me propulse dans la machinerie médicale et j’ai l’impression d’être dans un wagon du Space Mountain, sauf que cette fois la vitesse va me faire devenir chauve.
Je trouve une équipe médicale au Medipôle de Savoie et je commence à enchaîner les rendez-vous, les examens, les opérations, les chimios, la radiothérapie… À un moment, on envisage de faire une mastectomie, et puis non, finalement, je peux conserver mon sein.
Comment retourner à la « vie normale » après neuf mois de traitement ?
Bien évidement, mon nouveau job s’arrête très vite et je me retrouve en arrêt maladie, sans énergie. Neuf mois de traitement démarrent pendant lesquels je perds le sommeil, 8 kilos, mes cheveux, mes sourcils, mes cils et mes règles.
Tous les jours, je vois des professionnels de santé et j’ai un peu la sensation d’avoir déconnecté mon mental de mon corps pour « l’offrir » à la médecine.
Et puis un jour, la 38ème et dernière séance de radiothérapie arrive, le 27 février 2019. Une fois passée dans la machine, je me rhabille, on me dit au revoir et je sors de l’hôpital et là, c’est terminé.
Neuf mois de traitement pour sauver ta peau qui se terminent comme ça, pouf ! Même pas un certificat de remise en circulation, ni de cotillons ou de félicitations du jury, rien !
Je rentre chez moi seule pour faire ma sieste quotidienne, car les rayons ça fatigue, et soigner ma peau meurtrie… Et ensuite, j’attends… Quoi exactement, ce n’est pas très clair pour moi. La suite ? Le retour à la vie « normale » ? Mais comment faire après tout ça ?!
La fatigue, le corps et le mental après un cancer
Il y a d’abord la fatigue physique à gérer : mon corps a été détruit et il doit se reconstruire, puis je subis un contre-coup psychologique. La culpabilité de la survivante s’empare de moi pendant quelques jours, puis je vis un vrai choc émotionnel.
Pendant neuf mois, j’avais le sourire, j’ai remonté le moral à tout le monde, mais quand même, qu’est-ce que c’était dur !
J’ai le moral dans les chaussettes, le corps douloureux et affaibli (je me suis même cassée le coude à cause de mes os trop fragilisés). Tout est à reconstruire : chaque muscle, tendon, ligament… Je dois reprendre du poids, retrouver une activité physique et intellectuelle…
Quelle surprise en effet de me découvrir des troubles cognitifs ! J’ai régulièrement de gros trous noirs : impossible de savoir où je suis, ce que je fais ou de me souvenir de la conversation immédiate. Comme si mon cerveau était vide et que mes neurones ne connectaient plus.
Et puis, il y a ma tête de kiwi dans le miroir quand le duvet repousse sur le corps et le crâne, ma peau flétrie qui cherche à retrouver son élasticité… La liste serait bien trop longue pour vous décrire toutes les conséquences physiques et mentales de l’après-cancer…
Alors quand deux mois après l’arrêt des traitements, l’entourage me demande quand est-ce que je vais reprendre le travail… Je me marre : je ne suis pas en convalescence d’une grippe !
Un jour, mes règles reviennent alors qu’on m’avait fait comprendre que c’était peu probable et que je devais penser à tirer un trait sur une éventuelle maternité. Ça aussi, ça fait partie du contre-coup. Alors le retour des règles à chaque nouveau cycle, c’est une vraie joie, comme la vie qui reprend le dessus sur la maladie ! Pourvu qu’elles restent assez d’années…
Les relations amoureuses et amicales après le cancer
Côté cœur, le mec qui était amoureux de moi et qui a tout plaqué pour me soutenir, a fui au moindre changement d’humeur.
Ben oui quoi, je déprime : j’ai les hormones sans dessus-dessous (la chimio met le corps en ménopause, on croise les doigts pour que ce soit temporaire), je suis profondément épuisée, je n’ai pas assez d’énergie pour tenir la journée, je passe du rire aux larmes à la colère, je suis épuisée sur tous les plans, rien à quoi me raccrocher… Et il faudrait être au top pour rassurer tout le monde ?!
Alors j’ai pris le parti de dire la vérité sur mon état quotidien et flûte. Aujourd’hui, ce qui compte c’est ma vie et non la bienséance. Ma famille et mes amis ont été exemplaires, merveilleux, un soutien sans faille. Ils ont accepté ma lenteur, mes sautes d’humeur et j’ai eu de la chance car très peu m’ont tourné le dos.
Par contre, c’est beaucoup plus compliqué pour moi de redémarrer une relation amoureuse. Après cette épreuve, je rêve de m’endormir dans les bras d’un homme et de pouvoir me reposer sur quelqu’un. J’ai besoin de trouver de la douceur après tous ces actes médicaux qui ont coupé mon esprit de mon corps.
Sauf que sexuellement, c’est une catastrophe… Je n’ai plus vraiment d’envie mais surtout je ne ressens plus de plaisir, mon corps réagit mais pas mon esprit. Je mouille, j’ai la chair de poule sous les caresses mais le plaisir ne monte pas à mon esprit, ni dans mes émotions, je ne ressens rien.
Et puis, allez expliquer à une nouvelle conquête que votre corps est différent de vos habitudes et que vous ne vous reconnaissez pas dans le miroir avec vos cicatrices et vos cheveux courts qui ont changé de couleur à cause de la chimio.
Surtout que j’ai aussi besoin de compréhension, d’écoute, de patience, qu’on me répète les choses et qu’on accepte que je radote car la mémoire ce n’est pas encore ça… Je ne suis pas capable aujourd’hui de me reconstruire personnellement et d’investir de l’énergie pour quelqu’un d’autre. Ça fait beaucoup de choses à accepter pour un potentiel amoureux. Alors, pour l’instant, je vais d’échec en échec, et j’accepte juste d’être encore patiente…
La vie après le cancer avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête
Les mois passent et la convalescence suit son cours, tout doucement, un pas après l’autre, alimentée par l’espoir et la patience encore et encore. C’est comme si je ne connaissais plus mon corps, ni ses limites ou son fonctionnement. Je dois tout réapprendre, rééprouver, réexpérimenter pour savoir jusqu’où je peux le pousser.
Arrivent ensuite les premiers examens de suivi pour voir si tout va bien et si le cancer n’est pas de retour. C’est vrai, j’ai maintenant 39 ans et je vais devoir vivre avec cette épée de Damoclès jusqu’à la fin de mes jours.
Tous les quatre mois dans un premier temps, puis dans quelques années deux fois par an, je dois retourner faire des imageries médicales et croiser les doigts pour qu’il n’y ait rien à ce moment donné. Je découvre ce nouveau stress, qu’il va falloir apprivoiser durant les 40 prochaines années, ben oui j’ai bien l’intention de vivre vieille !
Chercher un emploi après un cancer
Dix mois après la fin des traitements, je me sens mieux physiquement et je ne fais plus que 30 min de sieste par jour. Je décide de me concentrer sur ma recherche d’emploi. Ouch ! Encore une nouvelle épreuve à affronter…
Avant le cancer, j’avais un poste à hautes responsabilités de directrice de production. Mais aujourd’hui, je buggue dès que j’ai plus de deux informations, et si les trous noirs se font rares, ils sont encore présents. Comment reprendre confiance ? Remonter à cheval ? Cela fait vingt mois que je ne travaille pas et que ma vie a basculé, me faisant voir les choses sous une nouvelle perspective.
Lorsque je passe des entretiens, on me demande si je sais être autoritaire et si je me sens capable de virer des gens. Alors qu’aujourd’hui je n’ai plus aucune envie de générer des énergies négatives : pourquoi être agressive ? Alors que rien n’est grave et que tout peut se gérer dans la douceur et la bienveillance.
On m’a demandé, aussi, si je m’étais déjà retrouvée en dehors de ma zone de confort et comment j’avais géré la circonstance. Comment dire… quelle est la limite de ma zone de confort aujourd’hui ? Me retrouver confrontée à l’idée de ma mort ? OK, donc tout le reste est confortable !
Et puis, comment retrouver un poste quand on a besoin de faire la sieste, d’avoir un mi-temps thérapeutique, ou de s’absenter pour aller faire des examens médicaux ? Comment parler du cancer et expliquer ce que j’ai fait pendant ces deux dernières années ?
Au-delà de mon cas personnel, une question me taraude : comment la société va-t-elle intégrer ces femmes atteintes par un cancer à moins de 40 ans ?
Le soutien des associations et des autres survivantes après un cancer
Dans mon parcours, j’ai eu une grande chance : celle de rencontrer deux associations aidant les femmes dans l’après-cancer. En fournissant des soins de confort, des activités créatives, du sport adapté, de la méditation, du yoga, des moments de discussion, mais aussi de fête, de joie, de dépassement de soi et j’en passe…
Il y a l’association des « Des elles pour vous » de Véronique Sacco et l’association « À chacun son Everest » de Christine Janin. Deux femmes incroyables qui remuent ciel et terre pour les personnes atteintes par la maladie. Christine Janin est une ancienne alpiniste qui compare la maladie à l’ascension d’un sommet. Très souvent, les alpinistes ont du mal à redescendre dans la vie normale et cherchent toujours à repartir, souvent jusqu’au risque ultime.
Pour la maladie, c’est pareil : arrivée en haut, en rémission, il faut retourner à la vie normale avec l’adrénaline de l’ascension, et tous les bagages qu’on a récupérés en chemin… Car on ne peut pas les abandonner, cela fait partie de nous maintenant. Au-delà des mois de souffrances physiques, il faut aussi faire face à des années de souffrances psychologiques et émotionnelles.
Il nous suffit d’un échange de regards entre soeurs de combat pour se comprendre sans un mot. Les autres, qui ne sont pas passés par là, ne peuvent pas comprendre et tant mieux pour eux. Comme les familles des alpinistes, ils ne savent pas ce qu’il y a là haut.
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