- Prénom : Raphaëlle
- Âge : 26 ans
- Occupation : Vidéaste
- Lieu de vie : Grande ville
Comment décririez-vous votre rapport au féminisme ?
Pour moi, le féminisme est à la fois quelque chose de très intime et physique, façonné par mes expériences de vie, la manière dont je me suis construite en tant qu’adulte… Et un idéal de la société que je veux voir advenir, lié à mon engagement écologique.
Car on en a la preuve : faire monter des femmes dans des positions de pouvoir est bénéfique pour l’intérêt général de la société.
Dans quel environnement avez-vous grandi ?
J’ai grandi dans un milieu privilégié, entourée de femmes (ma mère et ma sœur).
Ma mère est cheffe d’entreprise. Je l’ai toujours vue réussir, elle nous a montré, à ma sœur et moi, qu’elle n’avait pas besoin d’hommes pour quoi que ce soit (c’était même plutôt l’inverse !). Dans mon travail, j’aspire à être aussi ambitieuse.
Au collège, je suis entrée dans des cercles sociaux où j’ai, pour la première fois, viscéralement ressenti le poids de la société genrée. J’étais mal dans ma peau, du fait de devoir me plier à mille injonctions, d’être soumise à une myriade de critères physiques. J’avais honte d’avoir mes règles, je me sentais obligée de sortir avec des garçons pour ne pas être en retard, mais pas trop non plus, au risque de me faire slut-shamer…
À quand remonte votre déclic féministe ?
Je ne saurais pas dire à quel âge j’ai découvert le féminisme. Je pense que c’est arrivé progressivement. C’était quelque chose que je connaissais de loin et qui s’est concrétisé pour moi quand #MeToo est arrivé en France.
À l’époque, je me suis mise à écouter beaucoup de podcasts. Notamment, la série Un Podcast à Soi de Charlotte Bienaimé sur Arte Radio. Entre amies, on a commencé à s’échanger des conseils lectures, ciné, audio, comptes Instagram… Et on allait fouiller chacune de notre côté aussi.
C’est à ce moment-là qu’on a commencé à parler de nos relations intimes, à mettre des mots et des expressions sur des choses qui nous arrivaient, qui parfois nous dérangeaient, mais que l’on n’avait jamais réussies à formuler.
Raphaëlle
Je me rappelle par ailleurs un épisode marquant, lorsque je faisais des études à Lille : un jour, on a commencé à voir des collages de clitoris sur les murs de la ville. Je me suis rendu compte que je n’en avais jamais vu avant, que je ne savais même pas à quoi cela ressemblait. Jusqu’alors, toutes les conversations que j’avais eues sur la sexualité et le plaisir féminin se résumaient à l’idée qu’on était soit vaginale, soit clitoridienne.
Ça a été pour moi un point de bascule. À partir de là, j’ai eu l’impression d’avoir accès à plein d’informations sur le sujet.
Comment le féminisme infuse-t-il votre vie aujourd’hui ?
Aujourd’hui, le féminisme imprègne de nombreux pans de ma vie.
Déjà, professionnellement, je traite ces sujets dans certains formats vidéos que je produis.
Ensuite, politiquement, cela influence pour qui je vote. Je vais être sensible à un•e candidat•e qui critique le patriarcat. Lors des élections, je regarde à qui font confiance les références féministes que je suis et estime. Je regarde quel•le candidat•e est mis en avant par un mouvement comme Nous Toutes par exemple, pour ne pas me faire avoir par le pinkwashing de certaines personnalités politiques.
Il y a aussi beaucoup de choses qui ne passent plus dans mes rapports avec les autres. J’ai beaucoup de mal avec les personnes qui ne prennent pas au sérieux la gravité des violences sexistes et sexuelles, ou qui font des blagues sexistes.
Mes lectures féministes me donnent des clés pour m’opposer, pour combattre les micro-agressions sexistes du quotidien, pour faire respecter mes limites. Et pour m’écarter doucement des gens qui ne partagent pas les mêmes convictions…
Raphaëlle
Romantiquement et sexuellement, le féminisme m’a donné le courage d’assumer ma bisexualité. Aujourd’hui, je sors avec une fille, et cela me permet aussi de m’extraire des injonctions du patriarcat qui s’infiltrent jusque dans la sphère intime. Ne plus devoir plaire aux hommes est une manière de sortir de leur domination, et j’ai l’impression que cela me redonne une forme de pouvoir.
Il y a des choses dans mes rapports hétérosexuels qui me dérangeaient, mais je n’arrivais pas à les formuler. Cette troisième vague féministe m’a permis de mieux définir ce que je n’aimais pas.
Enfin, aujourd’hui, cela me tient à cœur d’investir des espaces habituellement réservés aux hommes. Un exemple tout bête : j’ai rejoint une équipe de foot !
Avez-vous laissé de côté certaines habitudes, défait certaines croyances, ou posé de nouvelles limites ?
Il y a effectivement des choses que j’avais internalisées et dont j’ai pris conscience.
Le plus frappant pour moi, c’est quand j’ai commencé à remarquer à quel point les hommes prenaient de la place dans la parole publique. J’ai commencé à voir de manière criante cette autorité naturelle qu’ils s’occtroient, au travail, en famille…
Récemment, j’ai monté une boîte avec deux amis garçons. Nous avons eu un débat sur qui devrait en être président. Spontanément, l’un d’entre eux, qui a pourtant 5 ans de moins que moi, s’est positionné. Et, automatiquement, je lui ai laissé la place.
Je m’en suis beaucoup voulu car j’avais l’impression de reproduire des schémas patriarcaux dont je pensais pourtant m’être affranchie. Finalement, on en a reparlé et on a mis en place des règles pour que le pouvoir soit équitablement réparti entre nous trois.
J’ai une petite sœur, et j’aimerais que cela soit plus simple pour elle. Pourtant, j’ai l’impression que tout est déjà très marqué par les rapports de genre, même à 10 ans. Quand elle me raconte ses journées à l’école, les schémas se reproduisent : les garçons sont turbulents et prennent toute la place en classe, tandis que les filles ont plus de mal à s’exprimer.
Comment vos proches ont-ils accueilli ce déclic ?
Avec l’écologie, le féminisme est le sujet qui a le plus transformé ma lecture du monde. Cela a mené à de nombreuses disputes, surtout avec mon père et mon ex-copain.
Mon père m’a reproché de devenir chiante. Pour lui, je n’avais rien vécu, je ne pouvais pas savoir, l’égalité femme-homme était atteinte depuis longtemps, à quoi bon s’énerver ?
Cela a mené aussi à des conversations passionnantes avec ma mère. Elle m’a dit que je lui avais permis d’évoluer sur certains points, de réfléchir à des choses que le féminisme de sa génération n’avait pas forcément en tête.
Évoluez-vous aujourd’hui dans des cercles féministes ?
Oui, l’écrasante majorité de mon entourage aujourd’hui est sensibilisée à ces questions. Ensemble, nous participons régulièrement à des manifestations ou des marches.
J’aimerais aller plus loin encore, en m’investissant au sein d’une association de terrain, qui mène des combats encore plus directs et a un impact tangible. Par exemple, un organisme de soutien aux victimes de violences sexistes et sexuelles.
Du côté de mes amis garçons et de mes collègues, il reste du chemin à parcourir. J’essaie de leur transmettre ce que j’ai appris dans mes lectures. Malheureusement, je connais très peu d’hommes qui font la démarche de se déconstruire en allant chercher tout seul des clés de compréhension féministes.
Avez-vous l’impression d’être arrivée au bout de votre éveil féministe ?
Non ! Mon féminisme est en perpétuelle évolution. Je continue à écouter des podcasts, à lire des livres, à regarder des films. Je découvre de nouvelles problématiques d’année en année : les droits des personnes trans, par exemple, étaient totalement occultées des luttes féministes il y a quelques années. Aujourd’hui, heureusement, les choses évoluent.
Du fait de ma bisexualité, je me pose aussi de nouvelles questions sur la parentalité, je m’intéresse à comment élever des enfants autrement, faire famille autrement, pour sortir du modèle nucléaire. Mon éveil féministe se poursuit à travers ces nouveaux questionnements.
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