– Article initialement publié le 13 juillet 2015.
Il y a quelques années, quand je disais que j’aimais sincèrement le rap, les gens répondaient souvent par un petit sourire en coin – ça les surprenait un peu, il faut croire… Il y avait moult haussement de sourcils dans l’assemblée quand je racontais que Through The Wire, le titre sur lequel Kanye West rappe, la mâchoire à moitié fermée par un fil de fer (suite à un accident de voiture), me donnait les larmes aux yeux.
J’étais pâle, menue, introvertie 80% du temps, et l’idée que ma chanson préférée du moment raconte comment un ancien dealer de drogue est sorti du ghetto pour devenir un vrai moghul du rap semblait en étonner plus d’un. Un peu comme si j’avais été un vieux fermier du Texas et que mon film préféré était Le Magicien d’Oz !
Pourtant, j’ai l’impression que cet étonnement s’est atténué depuis quelques années. Peut-être que le nombre croissant de femmes (Nicki Minaj, Angel Haze, Iggy Azalea, Azealia Banks) dans l’industrie du rap fait que c’est plus « acceptable » pour moi d’aimer ce genre de musique ?
Le rap : des codes pas si rigides
Le rap est né à la fin des années 1970, à une époque où les codes sociaux étaient bien différents d’aujourd’hui. Le but était de raconter la vérité de la communauté afro-américaine, de lui donner une voix pour raconter le racisme, la violence, mais aussi la vie de tous les jours – Today Was A Good Day d’Ice Cube est un bon exemple.
https://www.youtube.com/watch?v=8CPlF-IEkXQ
Tout ce que raconte le mec dans ce titre, c’est que pour une fois, il ne s’est rien passé d’incroyable aujourd’hui ; et un jour sans avoir à sortir son arme (« Today I didn’t even have to use my AK, I gotta say, it was a good day »), ça lui fait vachement plasir. Moi je trouve ça plutôt sympa, de faire un morceau juste pour dire ça.
Le but du jeu, dans le rap, c’est aussi de prouver à quel point tu es plus cool que tous tes compères. Je me souviens d’une discussion avec un ami. Nous parlions de nos rappeurs préférés, et quand j’ai évoqué Childish Gambino, il n’a pas pu s’empêcher de sourire : ce petit playboy maigrichon à la voix haut-perchée, acteur dans une série comique et star d’un one-man show ? (Oui, Childish Gambino, c’est Donald Glover de Community !)
Pour mon ami, Childish Gambino ne possédait pas le Potentiel Rappeur : il n’en imposait pas assez, il ne pourrait jamais faire croire à personne qu’il était le plus fort, le plus riche, celui qui avait le plus d’aventures avec des femmes…
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Mais perso, ça n’est pas ce qui m’intéresse dans le rap. Ce que je veux, c’est du rythme, du flow, des histoires et des rimes de ouf auxquelles j’aurais jamais pensé (comme Nekfeu qui fait rimer disquette avec cheesecake dans Egerie) !
Dans la même veine, il y a mes petits protégés : Frank Ocean et Chance the Rapper. Frank Ocean revisite complètement les codes du rap, en célébrant autant les influences du jazz que celles du R’n’B. Il est aussi un des premiers rappeurs à avoir rendu sa bisexualité publique. Et preuve qu’il pèse dans le game : il était en featuring dans le dernier album de Beyoncé !
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Chance, lui, a sorti plusieurs albums solos tout en contribuant au groupe Donny Trumpet & The Social Experiment. Voyez par vous-mêmes l’extrême mignonnitude de cette vidéo, dans laquelle Chance nous explique à quel point sa grand-mère est cool !
La contestation est toujours d’actualité : sur Yeezus, sorti en 2013, mon gars sûr Kanye West consacrait plusieurs titres à la question de sa place dans la société américaine en tant qu’afro-américain (Black Skinhead, Blood On The Leaves, New Slaves). Mais les codes évoluent, le rap US s’agrandit, devient de plus en plus inclusif, et c’est tant mieux.
Women, women, women et le rap
Le rap restera toujours une histoire de concurrence : les codes évoluent, mais un bon vieux morceau pour prouver qu’on est la meilleure, c’est un classique. Comment est-ce qu’on allie la solidarité du féminisme avec la compétition du rap, alors ? Est-ce seulement possible ? Le mieux est encore de demander à Beyoncé…
Sur ce titre, Beyoncé et Nicki rappellent : « If you ain’t on the team, you playin for team D » — soit, si t’es pas de notre côté, c’est que t’es avec les mecs. Perso ça ne me dérange pas du tout d’être du côté de Nicki et Queen Bey… Elles m’ont tout l’air d’être de charmante compagnie.
Je citais Angel Haze tout à l’heure. Saviez-vous qu’Angel a déclaré publiquement ne s’identifier à aucun genre… et que ça n’a en rien affecté sa carrière ? C’est moi ou le monde du rap semble s’ouvrir à la diversité ?
Son I Run New York met K.O. le I Run New York de 50 Cent, c’est scientifiquement prouvé
Les livres aux lecteurs, le rap aux écouteurs
Alors oui, Kanye West utilisera toujours le mot « bitches » pour parler des filles dans ses rap. Même Lorde (la caution féministe de la musique pop), quand elle reprend Can’t Hold My Liquor de Kanye West sur scène, se voit bien obligée de remplacer le mot « nigga » par… « bitches ». Eminem ne reviendra pas non plus dans le passé pour effacer ses commentaires misogynes.
Vous connaissez la maxime selon laquelle « les livres appartiennent à leurs lecteurs » ? Elle signifie que l’auteur peut bien dire tout ce qu’il ou elle veut, ce sera toujours le lecteur, la lectrice, qui décidera de ce qu’il ou elle retient d’un livre. C’est la même chose avec toute œuvre d’art : une fois qu’elle est partagée avec le reste du monde, la personne qui l’a créée n’a plus aucun contrôle dessus.
C’est un peu de cette manière que je vois le rap : j’y lis ce que je veux. Ça me permet de m’enjailler un max tout en restant lucide sur ce que j’entends. Des artistes géniaux ont des trucs à nous proposer et grâce à Internet, leurs œuvres sont écoutables sans efforts. Pourquoi ne pas en profiter ?
Et toi, est-ce qu’il y a une chose que tu as longtemps eu à te justifier d’aimer, parce que les gens ne te croyaient pas ?
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