Les fêtes de fin d’année peuvent souvent être des périodes de tension : entre la galère des cadeaux, les repas trop copieux, les affinités (ou non-affinités) avec tel ou tel cousin et votre fameux tonton raciste, vous pourriez bien traverser les prochaines semaines avec un peu de stress… et de devoir passer par les drames et engueulades typiques des repas de famille, ou plus généralement des repas de groupe.
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Souvent, ces disputes familiales commencent par des questions qui pourraient paraître anodines : vous avez entendu la dernière interview de Sarkozy ? Vous pensez quoi de la prestation de Mélenchon lors de telle émission de télé ?
En réalité, lors des réunions de famille, les questions d’ordre politique ou religieux sont le nerf de la guerre : en entamant la discussion sur l’un ou l’autre de ces sujets, vous êtes quasiment certain-e-s de pouvoir déclencher un conflit diplomatique. Ils touchent à nos convictions profondes : vous, vous êtes persuadé-e-s que Jean-Luc Mélenchon est merveilleux, mais votre voisin de table est un fervent défenseur d’Emmanuel Macron ? Dans votre tête, il devient un libéral assoiffé de $$$, et dans sa tête à lui, vous vous faites avoir par le côté théâtral du représentant du Front de Gauche.
Du coup, ces discussions s’enveniment rapidement. Dans son ouvrage Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables, Serge Ciccotti explique que lors de ces débats, lorsque nous parlons de sujets qui nous touchent, ce sont des structures cérébrales liées aux émotions qui s’activent… Ce qui explique que nous avons parfois du mal à garder la tête froide lorsque Pépé commence à délirer sur la dynastie Le Pen.
Une expérience politique
Les chercheurs Westen, Blagov, Harenski, Kilts et Hammann ont montré le rôle de ces structures cérébrales en réalisant une expérience lors des élections américaines de 2004.
L’équipe de scientifiques a réuni 30 personnes pro-Bush ou pro-Kerry et a projeté des diapositives qui soulignaient des incohérences et contradictions dans les discours ou actions de leurs poulains politiques… Puis des diapositives montrant les contradictions d’une personne « neutre » (Tom Hanks, en l’occurrence).
Les sujets de l’expérience lisent ces diapositives – ensuite, on leur demande de trouver les contradictions. Pendant ces deux phases de l’expérience (lecture de la diapositive + recherche de l’incohérence), les cerveaux des sujets sont observés grâce à l’IRM (Imagerie par Résonnance Magnétique).
Ce qui a interpellé Westen et son crew, c’est que le cerveau semble fonctionner différemment lorsque ce sont nos poulains politiques qui sont pris en flagrant délit d’auto-contradiction (alors que les contradictions de Tom Hanks, nos cerveaux s’en foutent bien fort) (sauf pour les fans de Tom Hanks). Face aux contradictions de l’acteur, notre cerveau serait en mode « froid », logique.
« Si j’aime X, et que X fait des erreurs, alors j’ai fait une erreur »
En fait, lorsque nous sommes face à la contradiction de notre poulain politique, la situation est inconfortable pour nous puisque l’information menace également notre propre cohérence : puis-je continuer à penser que X est tout à fait merveilleux alors qu’il a fait ceci ou cela ? Face à cette menace, notre cerveau active des structures impliquées dans la punition et la douleur (oui, rien que ça). Puis, lorsque nous trouvons une explication plausible aux contradictions de notre politicien, la zone qui s’activerait serait la zone du « striatum ventral » — une zone qui s’active également lorsque nous recevons une récompense, lorsque nous sommes soulagé-e-s…
Autrement dit, si vous appréciez particulièrement François Hollande, ou Nicolas Sarkozy, et que quelqu’un vous cause de leurs incohérences politiques, il est probable que votre cerveau se mettre en mode combat : vous vous senté-e-s menacé-e-s (en tout cas, vous sentez que vos convictions sont menacées) et POUF, vos émotions prennent le dessus dans votre raisonnement.
Les œillères bien pratiques du raisonnement motivé
Face à cette menace, votre cerveau cherche à rétablir l’équilibre en trouvant un raisonnement qui vous arrange (qui ne bouscule plus vos convictions) – c’est le « raisonnement motivé » : vous êtes motivé-e-s à arriver à une certaine conclusion. Pour le dire encore autrement, la conclusion pré-existe à la recherche d’arguments : nous cherchons les arguments qui iront dans notre sens…
Ce sont donc nos convictions qui vont « motiver » notre raisonnement, nous n’analysons plus les choses de façon objective et notre cerveau va nous pousser à trouver le raisonnement qui va bien !
Bon nombre de chercheurs-es se sont penché-e-s sur le « raisonnement motivé » — par exemple, Lord (et al., 1979) ont par exemple observé que lorsqu’on montre à des partisans ou opposants à la peine de mort deux fausses études, l’une montrant l’efficacité de la peine de mort, l’autre prouvant son inefficacité, l’étude qui ne va pas dans le sens de leurs convictions est toujours décriée, accusée d’avoir une méthodologie foireuse et des résultats douteux… alors même que les deux (fausses) études présentaient la même méthodologie !
En fin de compte, le mécanisme du « raisonnement motivé » est à garder en tête pour nos prochains clashs familiaux : si nous sommes victimes d’un « raisonnement motivé », il est possible que nos opposant-e-s le soient aussi… ce qui pourrait expliquer en partie pourquoi Tonton Relou n’a jamais l’air d’entendre nos arguments : son cerveau ne cherche que les infos qui l’arrangent !
Pour aller plus loin :
- L’ouvrage Tout ce que vous devez savoir pour mieux comprendre vos semblables, de Serge Ciccotti
- L’expérience de Westen, Blagov, Harenski, Kilts et Hamann
- L’expérience de Lord (et al.,1979)
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