Tout commence le 3 octobre dernier, par un t-shirt floqué des mots « White lives matter », lors de son défilé parisien à la fashion week. Kanye West, qui se fait désormais appeler Ye, reprend à son compte un cri de ralliement suprématiste blanc popularisé par le Ku Klux Klan afin de décrédibiliser le mouvement de justice sociale Black Lives Matter qui lutte contre les violences policières.
Mais West n’en est pas à sa première incartade raciste. En mai 2018 sur TMZ il parle en ces termes des victimes de la traite transatlantique : « On entend parler de l’esclavage qui a duré 400 ans. Pendant 400 ans ? Ça ressemble à un choix ». Plus récemment, il a aussi remis en cause de la responsabilité de l’officier de police Derek Chauvin dans le meurtre de Georges Floyd qu’il impute à une overdose de ce dernier. Il ira jusqu’à déclarer dans ses stories Instagram que le mouvement Black Lives Matter est une escroquerie.
À la suite du tapage provoqué par l’étalage médiatique de ses t-shirts, le rappeur P.Diddy l’attaque par réseaux interposés. La réaction de West sera de dire que ce sont les Juifs qui l’utilisent comme un pantin.
C’est à partir de ce moment-bascule qu’il se lancera dans une longue série de propos antisémites. Jonas Pardo, formateur à la lutte contre l’antisémitisme, analyse ce point de contact comme l’expression d’une forme de suprématisme blanc : « C’est à la suite de réactions indignées et légitimes autour de sa reprise du slogan White Lives Matter que West devient publiquement violemment antisémite avec les accusations calomnieuses traditionnelles d’un lobby juif organisé qui manipuleraient notamment la population afro-américaine. Si l’on reprend en miroir la théorie conspirationniste du grand remplacement, ce sont les Juifs qui seraient aux manettes de la supposée entreprise de substitution des Blancs et de la culture occidentale par des populations immigrées. Les deux discours se répondent ».
Et les groupes suprématistes blancs ne s’y sont pas trompés : White Lives Matter et la Goyim Defence League ont tiré parti de ses dires pour faire avancer leurs programmes et inspirer de nouvelles campagnes de propagande.
Mais reprenons le déroulement du feuilleton antisémite du chanteur s’étalant sur le mois d’octobre dernier, avec dans un premier acte ce qui ressemble à une menace sur Twitter, « Ce soir, je suis un peu fatigué, mais une fois plus réveillé, les Juifs vont subir la ‘Death con 3′ » (niveau d’alerte élevé de l’armée américaine). Il prolongera ses attaques sur différents médias en servant la traditionnelle palette de troupes antisémites.
Face à la tête d’affiche conservatrice de Fox News Tucker Carlson, il reprendra le thème du Juif obsédé par l’argent en balançant goguenard : « Je préfère que mes enfants connaissent Hannuka (célébration juive) plutôt que Kwanzaa (célébration afro-américaine), cela viendrait au moins avec un certain génie financier ».
Sur le podcast Drink Champs, il se fait le relais de la théorie du complot du lobby juif qui contrôlerait les médias et l’industrie du divertissement, mettant dans le même temps en compétition Juifs et Noirs : « Les Juifs se sont emparés de la voix des Noirs. Que ce soit en nous faisant porter des chemises Ralph Lauren, en nous faisant signer pour telle ou telle maison de disques, en ayant un manager juif, en étant signé dans une équipe de basket juive, en faisant un film sur une plateforme juive comme Disney. »
Dans ce même podcast il dira : « Vous vous habituez à ce que les paparazzis prennent une photo de vous, et vous n ’en tirez pas d’argent. Vous vous habituez à être baisés par les médias Juifs ».
Au cœur de ses diatribes antisémites, on retrouve la filiation de West à une théorie du complot qui voudrait que les Juifs aient été les principaux instigateurs de la traite transatlantique. « La communauté juive, en particulier dans l’industrie de la musique… ils vont nous (les Noirs) prendre et nous traire jusqu’à notre mort » dira notamment Ye dans le podcast Drink Champs. La thèse sur laquelle se superpose ce propos a été démontée par des associations d’historiens, mais laisse des marques jusqu’aujourd’hui.
Elle trouve son origine dans « Who Brought the Slaves to America? » de Walter White Jr (1968), lui-même inspiré du « Juif international » de Henry Ford (1920), relayé par la suite par l’extrême droite américaine, puis exploitée par le mouvement Afro-américain Nation of Islam de Louis Farrakhan – et repris par ailleurs en France par Dieudonné et Soral.
Certains commentateurs invoquent les troubles mentaux de Kanye West pour le dédouaner. Le fait qu’il souffre de bipolarité ne vient pourtant pas dépolitiser son discours. Même dans le cas supposé où West se trouverait dans des crises aigües de paranoïa au moment de tenir ces différents propos, lesdites crises se cristallisent autour d’un imaginaire antisémite florissant.
Ce qu’il dit est politique, ce qu’il dit est antisémite. « L’antisémitisme n’est pas incompatible avec des troubles psychiques ou mentaux. Par ailleurs, on considère trop souvent le racisme comme une colère mal dirigée, une diversion, de la « folie ». C’est faux. C’est un construit social qui a été forgé dans l’histoire. Ce n’est pas l’histoire d’un individu » conclut Jonas Pardo.
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Visuel de Une : Unsplash / Axel Antas-Bergkvist
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Les Commentaires
Je viens d'ailleurs de voir que Musk venait de lui rendre son compte twitter, je ne suis pas sûre que ça rende service à grand monde.
Moi qui suis plutôt favorable à une liberté d'expression totale à l'Anglo-saxonne, ce genre de cas me fait sérieusement douter.