Quand on le rencontre, Norman Mabire-Larguier paraît presque aussi immense que son talent. Le jeune couturier français de 26 ans aujourd’hui basé à Paris a étudié le design de mode à La Cambre de Bruxelles, puis à la HEAD de Genève, avant de lancer sa propre maison NORMANMABIRELARGUIER. Oui, tout collé, un peu comme son esthétique qui sublime parfois l’idée d’entrave, celle que l’on subit peut-être, avant de se l’approprier pour en faire une force.
Sa mode, taillée dans des stocks dormants de grandes maisons de luxe déconstruit les manteaux pour les porter à l’envers ou en jupe, interrogeant les typologies de vêtements et les codes de genres au passage. Sa démarche épurée et radicale, prolongée par son obsession pour le noir, l’a conduit parmi les finalistes de la 38e édition du prestigieux Festival de Hyères, alors qu’il avait déjà remporté le grand prix d’un autre concours de mode, ModaPortugal en 2022. De quoi laisser penser que son nom risque de compter de plus en plus dans l’industrie. C’est pourquoi Madmoizelle a décidé de le rencontrer, lui qui s’apprête à lancer sa ligne de prêt-à-porter, plus accessible que sa couture sur-mesure à la commande.
Interview du jeune créateur Norman Mabire-Larguier
Madmoizelle. D’où vient ta passion pour la mode ?
Norman Mabire-Larguier. Je n’ai pas de premier souvenir de mode précis. J’ai une fascination pour le vêtement en tant que tel. Comment est-il construit ? Qu’est-ce que c’est ? Tout ce qu’on peut transmettre à travers le vêtement comme émotion. Toute L’exigence de coupe, la recherche formelle qu’on peut faire. C’est ce qui m’a amené à la mode.
Comment as-tu commencé à te dire que cela pouvait devenir un métier en tant que tel ?
J’ai une approche très concrète du vêtement, il ne s’agit jamais d’abstraction, ni des bouts de tissu sur lesquels on plaquerait un discours storytellé. C’est ma curiosité pour la matérialité des pièces qui m’a amené à m’intéresser et vouloir me former au patronage, au modélisme, etc. L’un de mes tout premiers pas dans la mode, je l’ai fait au sein des Ateliers Grandis, artisans fabricants de vêtements de luxe basés en Normandie. J’étais au sein de leur bureau d’études, d’où ils conçoivent pour plusieurs grandes maisons. C’est là que j’ai pu aiguiser mon approche formelle du vêtement.
Quel a été ta formation avant de lancer ta propre maison de couture, NORMANMABIRELARGUIER ?
Après plusieurs stages au sein des Ateliers Grandis, j’ai fait trois ans à l’École nationale supérieure des Arts visuels de ‘La Cambre’, à Bruxelles. Là, on développe une approche à la fois très créative et très concrète du vêtement. Après, j’ai fait une césure avec différents stages dans des grandes maisons de luxe françaises. Et puis j’ai décidé de continuer mes études à la Haute École d’Art et de Design de Genève. La HEAD était vraiment complémentaire de mes années à La Cambre, car on y est beaucoup plus libre, et on y rencontre énormément de professionnels de l’industrie qui sont là en tant que mentors, tuteur·e·s, intervenant·e·s plus ou moins ponctuel·le·s.
Était-il évident pour toi dès l’école que tu allais lancer ta propre marque ?
Dès les bancs de l’école, je commençais à poser les bases de ma maison en devenir, consolidées par des missions en tant que designer freelance pour d’autres marques. J’ai participé à la 38e édition du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires d’Hyères en octobre 2023 qui a concrétisé le lancement de mon projet de marque. Cela fait seulement trois mois maintenant que c’est en train de devenir une réalité. En 2022, j’avais remporté le Grand Prix de la meilleure collection au concours Moda Portugal juste après la fin de mes études supérieures, ce qui m’a permis de signer cette collaboration avec La Redoute sortie en novembre 2023, pile après le festival d’Hyères.
Est-ce parce que ton travail semble si autobiographique que créer ta propre maison s’avérait nécessaire ?
Quand on est vraiment convaincu de ce qu’on fait, on peut avoir envie de porter sa propre voix, et non pour des grosses maisons qui ont une approche différente, de gros volumes et beaucoup de calendriers à respecter. Créer ma propre maison a toujours été dans un coin de ma tête, tout en me disant que ce ne serait pas réaliste, pas avant longtemps, voire impossible. Mais toutes mes rencontres et certaines opportunités ont rendu cela de plus en plus possible. Après ma collection de fin d’étude, c’était une suite logique. C’est plus une nécessité qu’un rêve.
Qu’est-ce que ton travail du vêtement raconte de toi ?
C’est une nécessité pour moi de traduire à travers le vêtement des sentiments que je n’arrive pas à dire. Il s’agit de pensées indicibles, en fait. On retrouve beaucoup l’idée d’entravement dans mon travail, c’est ma façon d’exprimer la difficulté à trouver sa place par rapport à soi même, mais aussi par rapport à la société de façon plus générale. Se dégage de la collection cette sensibilité queer, des interrogations sur le genre, la sexualité, leur performativité. Comment on peut tenter de se protéger du monde extérieur, tout en s’entravant soi-même au passage, tenter la transparence mais pas complètement non plus, etc.
Tes créations ressemblent parfois à des chrysalide dont on serait en train de sortir, ou à des mues en cours. En quoi tes silhouettes figent-elles aussi peut-être des métamorphoses ?
Oui, certains bas sont construits comme des manteaux dont on aurait ôté les manches, laissant apparaître des bords francs au niveau des épaulettes. D’autres vestes semblent portées à l’envers, mais sont construites exprès pour être revêtues ainsi. Il ne s’agit pas de créer des faux-semblants, mais plutôt de montrer une idée de transformation, de mutation encours, qu’on n’est jamais coincé dans ce qui nous a été assigné. C’est peut-être ma façon d’exprimer qu’on peut s’abstraire des codes de ce qu’on estime être une jupe, un pantalon, un manteau, ou même un genre. Pour s’extraire de ces typologies de vêtements, il faut vraiment en connaître les codes afin de pouvoir les détourner, les déconstruire, et les reconstruire autrement avec sa sensibilité à soi. Le vêtement peut aussi être une sorte de cocon à l’intérieur duquel on parvient à développer sa sensibilité, son intimité. On peut avoir envie de se protéger de la violence du monde extérieur en créant le sien à l’intérieur, mais du même coup, cela peut en partie nous restreindre.
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Pourquoi n’utilises-tu que du noir pour tes vêtements ?
Le noir, c’est avant tout un geste radical de réduction à l’essentiel, d’épure. Cela permet aussi de souligner l’architecture du vêtement, de se concentrer sur l’aspect formel. C’est aussi une référence indirecte à une certaine idée de la couture que chérissait notamment Cristóbal Balenciaga.
En quoi être un jeune créateur aujourd’hui est-il particulièrement compliqué ?
Être jeune designer aujourd’hui s’avère très éprouvant. On ne peut pas faire le poids face à des mastodontes qui dictent le rythme. C’est compliqué de développer une écriture singulière, un style propre. C’en est presque violent. Cela nécessite d’être motivé·e·s de façon acharnée. Surtout qu’il n’y pas besoin de nouvelles marques, on déborde déjà trop de vêtements, de propositions. Donc s’affirmer dans cette industrie aujourd’hui est une épreuve constante, un acharnement de chaque instant. À la HEAD, on nous a relativement formé·e·s à cela. On ne pourra révolutionner l’industrie du jour au lendemain, mais on peut quand même tenter d’en challenger le statu quo, proposer quelque chose de nouveau et d’alternatif, le plus respectueux possible de l’environnement.
Ta collab’ avec La Redoute t’a-t-elle donné envie de créer ta propre ligne de prêt-à-porter à côté de ta couture sur commande ?
La collab’ avec La Redoute m’a beaucoup appris, notamment comment répondre à des exigences de coûts, de gabarits, etc. J’avais déjà prévu d’avoir ma propre ligne (Black Line) plus accessible mais tout de même très haut de gamme, à côté de la couture faite sur-mesure à la commande (Atelier), et ça va bientôt sortir, justement. Il ne s’agira pas d’une simplification de la couture, ce sera vraiment complémentaire, avec toujours une grande exigence formelle sur le design, le choix des matières, la confection, la qualité des finitions, etc. Et toujours une grande radicalité dans ma quête d’épure.
Écoutez Laisse-moi kiffer, le podcast de recommandations culturelles de Madmoizelle.
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