En Suède, c’est une star. Ses livres se vendent comme des petits pains, et ses podcasts sont suivis religieusement par ceux qui adoubent son humour incisif et sa capacité à vulgariser avec brio les théories académiques les plus alambiquées. Liv Strömquist, autrice de bande dessinée, s’est fait connaître par son trait franc et son regard aiguisé sur des thématiques comme la sexualité, les rapports de domination et d’emprise, le capitalisme, le couple dans toutes ses déclinaisons, le sexisme systémique…
Celle qui s’inspire d’expériences vécues, d’anecdotes à portée universelle, dissèque avec minutie la pop culture et propose des raisonnements irréfutables, fouillés et déstabilisants de réalisme. Des œuvres que l’on offre volontiers à son entourage, tel un conseil de lecture essentiel pour faire avancer la réflexion sur ces sujets.
Un parcours atypique
À l’origine, l’autrice ne se destinait pas à la bande dessinée. Elle suit un cursus mêlant sociologie, philosophie et sciences politiques, qui lui donne le goût de la recherche académique et la rigueur de l’analyse : « À cette époque, j’écris beaucoup de dissertations pour la fac. Ma colocataire lance un fanzine et je décide de suivre son exemple. Chaque planche de BD s’inspire de ma pratique universitaire, j’applique la même structure de réflexion à mes histoires dessinées qu’aux essais que je rends ».
Très vite, elle trouve son audience. Dans un village voisin du sien, elle aperçoit un jour une page de son fanzine découpée et collée au mur d’un café. Les retours positifs qu’elle reçoit la galvanisent et Liv Strömquist commence à collaborer ponctuellement pour des magazines. De fil en aiguille, elle se tourne progressivement vers l’édition.
Sa carrière prend un tournant lorsqu’elle publie son deuxième livre, Les Sentiments du Prince Charles, best-seller absolu. Elle y interroge le fonctionnement du couple hétérosexuel, le modèle de la famille nucléaire, et interroge les mécanismes de domination insidieux qui s’y logent. Traduit dans plusieurs langues, cette bible critique des relations femmes-hommes propulse Liv Strömquist sur la scène internationale.
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Des thèmes universels tirés d’expériences personnelles
« Mon expérience personnelle nourrit mes livres. Par exemple, ma BD « L’Origine du monde » est partie d’un traumatisme d’enfance : je me rappelle être à l’école et avoir des crampes menstruelles si fortes que je me suis évanouie. J’avais tellement honte d’avoir mes règles, que je n’ai pas osé demander d’aller à l’infirmerie. Cela m’intéresse de voir comment la société et la culture construisent ces sentiments universels qui nous traversent. Les traiter en BD est cathartique. C’est aussi une manière de les explorer et donc de mieux les comprendre ».
Mais si Liv Strömquist s’inspire de son expérience, elle ne l’utilise pas pour illustrer ses propos. Sa force réside plutôt dans sa capacité à mobiliser des exemples tout droit sortis de la pop culture afin de dérouler son argumentaire avec finesse et toucher le plus grand nombre : « La vie des people nous fascine, leurs scandales, leurs problèmes de couple… Ils sont une version moderne du panthéon des dieux grecs que l’on vénérait autrefois. Utiliser leur exemple comme support est une sorte de catharsis, cela permet aussi d’intéresser des personnes qui sont peut-être moins attirées naturellement par les théories académiques, ou qui se disent que ce n’est pas pour elles ».
C’est une manière de démocratiser des théories d’utilité publique, en désamorçant la peur d’être perméable à leur complexité.
« Décortiquer différents types de pouvoirs »
Lorsqu’on lui demande de décrire son travail, Liv Strömquist répond qu’elle « décortique différents types de pouvoirs ». Son style de dessin, simple et rempli d’humour, permet à l’autrice de contrebalancer le poids de ses textes, parfois denses et complexes. « J’écris le matin, quand mon esprit est alerte, et je dessine l’après-midi, pendant la digestion, car ça demande moins de concentration » plaisante-t-elle.
Dans son dernier livre pourtant, l’autrice a choisi un sujet plus léger : l’astrologie. Ou du moins de prime abord…
« J’ai longtemps été obsédée par l’astrologie. Pendant ma première grossesse, j’avais même des poussées d’angoisse terribles en pensant au signe potentiel de mon bébé. Je me demandais si je serais capable d’élever un poisson. À ce moment-là, je me suis dit : ok, ça suffit, on arrête l’astrologie. Je n’y ai plus touché pendant des années. Puis, pendant la pandémie, la tendance astrologie a explosé sur les réseaux sociaux. J’ai commencé à faire des petits dessins astrologie que je publiais sur Instagram. Face à l’engouement, j’ai décidé d’en faire un livre ».
Ce qui n’est pas au goût de son éditeur, ou de sa mère, qui lui déconseillent fermement de s’aventurer sur ce terrain miné. En bonne Verseau, Liv Strömquist fait fi des avertissements et publie « Astrologie », un condensé d’humour céleste qui décrypte les caractères de chaque signe et leur compatibilité amoureuse.
Après la sortie du livre, l’autrice est prise d’un sentiment d’inachevé : « Je n’étais pas tout à fait satisfaite. Je me suis dit qu’il manquait vraiment un regard critique sur cette tendance astro qui révèle aussi quelque chose de notre société. Donc, j’ai rajouté un chapitre d’analyse, qui n’existe que dans les versions traduites, sorties plus tard ».
Car comme l’écrit Liv Stömquist, le verseau adore « écrire des essais scientifiques de six pages ». Pour notre plus grand bonheur.
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