Live now
Live now
Masquer
stars-agresseurs-ConvertImage
Féminisme

Qu’est-ce que ça fait d’apprendre que la star qu’on adule est en réalité un agresseur ?

Être fan d’une célébrité, c’est l’idéaliser. Mais quand cette personne s’avère violente, celles et ceux qui l’admirent peuvent passer par un deuil difficile. Nous vous avons posé la question : « Qu’est-ce que ça fait, d’apprendre que son idole est un agresseur ? »

Se définir comme féministe, c’est souvent être consciente de la structure patriarcale qui nous entoure. Et des nombreuses manières dont ce système impose à celles et ceux qui en sont les « minorités », au mieux, un plafond de verre, au pire, des violences.

Mais la sphère de l’intime, celle des choix de l’affect et des penchants qu’on pense parfois « coupables », est un autre genre de nébuleuse. En son sein, il arrive que se mélangent des sentiments très profonds et contradictoires, des projections sur des personnes qui nous sont étrangères.

C’est le cas quand on est fan d’une personne. Aimer une célébrité, c’est l’idéaliser et s’identifier à elle, l’utiliser comme support de projection de ce que l’on veut être, ou de ce qu’on attend des autres. Et parce que le patriarcat est partout, ces personnes si importantes dans nos vies sont parfois des hommes qui s’avèrent être des agresseurs, des personnes violentes, des violeurs, et cela nous fait du mal.

Au-delà de la réalité politique de ces actes, il y a la manière dont notre psyché les comprend, et l’impact que cela peut avoir sur nous. Alors, nous vous avons posé la question : qu’est-ce que ça vous fait, quand une personne que vous admirez et idéalisez s’avère être un agresseur ? Et pourquoi est-ce que c’est grave ?

Les « stars » et la construction de soi

Souvent, le fait d’être fan d’une personne est associé aux années de l’adolescence. En cette période de construction de soi, il arrive que des artistes réussissent à mettre en mots des choses que nous n’arrivons pas encore à comprendre de nous même. C’est ce qu’a vécu Laurie*, qui a connecté à la musique de Marilyn Manson très tôt.

« J’ai découvert Marilyn Manson à l’âge de 12 ans. C’était sans doute l’une des périodes les plus difficiles de mon enfance : ma mère avait des crises de violences extrêmes, et je vivais du harcèlement à l’école.

C’est ma grande sœur qui m’a initiée à sa musique. Quand elle m’a fait écouter Sweet Dreams, je me souviens avoir ressenti quelque chose d’énorme. Un raz-de-marée d’émotions. J’en ai pleuré. J’ai voulu tout savoir : à qui appartenait cette voix et cette douleur, d’où il venait, quelle était son histoire. J’ai découvert un grand mec tout pâle en porte-jarretelles, collants troués, culotte en cuir, cheveux long noir, maquillage noir dégoulinant, l’œil blanc. Ça a pu paraître totalement saugrenu à mon entourage mais cette vision m’a subjugué•e : j’ai tout de suite ressenti de l’attachement et de la fascination envers lui. »

Cette affection se renforce, et se poursuit au fil du temps. En plus de son univers musical, l’artiste joue aussi un rôle dans les débuts de l’éveil à la sexualité de Laurie, mais aussi dans son rapport au genre.

« Mon questionnement sur le genre a débuté avec Marilyn Manson avec le clip Dope Show, l’androgynie devenant quelque chose de central dans ma vie. Au lycée, je m’habillais en dandy, costard noir et porte-cigarette, coupe frange et eyeliner. Je cultivais l’ambiguïté dans mon style sans comprendre à l’époque que j’étais simplement non-binaire.»

Les liens très fort des fans envers leurs idoles

Ces découvertes de soi que nous permettent les stars et les personnes que nous admirons font partie d’un processus de construction identitaire par lequel nous passons toutes et tous. Coraline Delebarre, psychologue, l’explique ainsi :

« L’adolescence est une période de construction identitaire. Dans ce contexte, les “célébrités”, figures très extérieures à notre environnement social, deviennent des idéaux de ce que l’on souhaite avoir autour de nous, ou de ce qu’on voudrait être.

Le rapport à la personne célébrée rentre alors dans l’ordre des relations très intenses, qui peuvent donner du sens à la vie de la personne fan. Elle peut être marquée chronologiquement par des actions en lien avec cette célébrité : le premier concert, le premier baiser, une chanson particulière qui sera un marqueur d’épisode dans son histoire…

La personne qu’on idéalise peut aussi être la porte d’entrée à la découverte d’un mouvement qui deviendra constitutif de son identité, ce qui va aussi créer un lien très fort entre la personne fan et la “star”. Au point que cette dernière peut devenir une véritable relation “para-sociale” : une figure de notre vie affective.»

Quand Laurie* découvre que la violence « jouée » sur scène par Marilyn Manson fait aussi partie de sa réalité, sa vision de lui change, et elle s’en détache petit à petit. Aujourd’hui, elle n’écoute plus du tout l’artiste, et ressent même  de la colère envers lui.

« Je n’étais pas déçue, j’étais (et je suis toujours) en colère. Je réalisais son aspect « monstrueux », je le voyais évoluer dans les sphères d’Hollywood et dans les séries comme Californication ou Sons of Anarchy, où il ne jouait pas vraiment de personnage… Il me dégoûtait. Ses propos devenaient de plus en plus extrémistes, racistes, misogynes… C’était devenu un clown triste et ridicule.

Cela fait bien une dizaine d’années aujourd’hui que je ne suis plus l’actualité musicale de Manson, que j’ai compris l’être humain toxique et mauvais qu’il était, au-delà du personnage. »

Entre la colère et l’attachement, la dissonance cognitive

Quand on a été fan pendant longtemps d’une célébrité et que son travail fait partie de notre construction identitaire, il peut être difficile de concilier sa colère envers la personne et les émotions positives

auxquelles son travail se rattache. C’est le cas de Julie*, qui raconte :

« Quand j’étais petite, mon grand frère était fan de Noir Désir. Puisque c’était ce qu’aimait mon frère, j’étais fan aussi. Pendant des années j’ai écouté, chanté, adoré les morceaux de ce groupe. Avec mon frère, on ne ratait jamais une interview.

Quand Cantat a tué Marie Trintignant, j’avais 7 ans et j’ai été réellement choquée. Je me suis sentie trahie. Les chansons de Noir Désir étaient le truc que je partageais avec mon frère, certains de mes souvenirs d’enfances sont étroitement liés à leurs morceaux et l’acte de Cantat a “souillé” tout ça.

J’ai fini par passer un genre d’accord très hypocrite avec mon cerveau qui m’autorise à écouter des très vieux morceaux de Noir Désir qui seront toujours chers à mon cœur malgré tout… et malgré moi finalement. Mais seulement chez moi, en privé et avec un fond de honte face à ma propre hypocrisie. Je me rassure comme je peux en me disant qu’un groupe, c’est plusieurs personnes et que les deux tiers sont innocents, mais je ne veux plus entendre parler de Cantat et jamais je ne soutiendrai son travail.

À 24 ans maintenant, j’ai toujours la même rancœur et le sentiment de trahison et je crois que ça me restera. Surtout maintenant que j’ai de vraies convictions, que je me dis féministe, que je pleure presque de colère et de dégoût quand l’académie des César prime Polanski… Pourtant, sans pouvoir y faire grand chose, je garde un attachement qui n’est même pas choisi à des chansons de Noir Désir.»

Ce phénomène de tension entre ses valeurs et son attachement, souligne l’experte Coraline Delebarre, c’est de la dissonance cognitive. Elle explique :

« Le principe de dissonance cognitive explique bien ce qui se passe quand nous vivons ces évènements. Politiquement, on peut refuser de “dissocier l’homme de l’artiste”, et savoir que les violences sont inacceptables. Mais psychologiquement, les choses se passent différemment : l’attachement, l’identification et les souvenirs heureux que l’artiste nous évoque nous font ressentir des émotions contradictoire. »

Pour les victimes de violences, un écho à leur traumatismes

Pour Chloé*, qui a été victime d’abus, il est insupportable d’envisager écouter ou soutenir les productions d’une personne qui a été violente.

« Je ne peux pas dissocier l’artiste et sa sphère privée. Pas si cette personne fait du mal à d’autres sous prétexte qu’elle en a le pouvoir. Tout comme si j’apprenais qu’un proche était violent envers son compagnon ou sa compagne, je ne pourrai pas cautionner et continuer d’agir normalement avec cette personne.

J’ai moi-même été victime d’abus psychologiques étant plus jeune. Quand je vois à quel point ça a forgé ma personnalité, et pas dans un sens positif… c’est quelque chose d’impardonnable pour moi, peu importe les bons côtés que les gens peuvent avoir autrement. »

Apprendre qu’une personne qu’on admire est violente est d’autant plus difficile pour les personnes qui ont déjà été victimes d’agressions et d’abus : cela fait écho à leur vécu et peut faire revivre des traumatismes. Par ailleurs, la violence de ces révélations peut prendre une dimension encore plus difficile à appréhender. Mme Delebarre explique :

« Ces évènements peuvent être d’autant plus brutaux que les fans se sont identifiés à la personne qu’ils admirent. S’être identifié à une personne qui s’avère être un agresseur quand on a soi-même été victime de violences, cela peut être très difficile à gérer. »

Un sentiment de trahison et de déception

Quand on suit des artistes ou des créateurs engagés, on espère souvent pouvoir éviter ces situations. Pour Marion*, fan d’un youtubeur qui se disait féministe, la déception et le sentiment de trahison n’en ont été que plus cruels.

« Pendant le premier confinement il y a eu une vague de dénonciations d’agresseurs et de violeurs au Québec. Je n’y ai pas prêté grande attention, jusqu’à ce que j’apprenne par hasard que Kevin Marquis était accusé de harcèlement et de viol.

C’est un youtubeur qui se revendiquait féministe et qui abordait le sujet dans ses vidéos. Il parlait avec bienveillance et intelligence du “privilège masculin ”, du harcèlement sur Internet, des violences… Quelle ironie, sachant qu’il était lui-même un agresseur et harceleur.

Cette nouvelle m’a inspiré un sentiment de dégoût envers moi-même, et m’a fait douter de mon aptitude à voir les pervers. D’habitude, je suis forte pour ça mais là, je n’y ai vu que du feu. Je rêvais de rencontrer un mec comme lui, je fantasmais sur lui… Comment avais-je pu me faire berner par ce pseudo-féministe ? Désormais, je me méfie plus de mon propre jugement.»

Quand on a des convictions politiques fortes, ces révélations nous impactent d’autant plus : elles viennent toucher nos valeurs les plus profondes, et nous amènent à nous questionner. Mais dans ces moments-là, la psychologue Coraline Delebarre rappelle qu’il est important de ne pas se culpabiliser : on ne peut jamais éviter d’être sous le coup d’une révélation de cet ordre. Il n’est pas possible d’éviter ces évènements, et il faut accepter le choc qui les suit, sans s’en vouloir pour des faits qui sont complètement hors de notre portée. 

Des sentiments négatifs… envers soi

Faire d’un artiste une relation para-sociale, c’est le considérer comme appartenant à son milieu amical ou social. Quand on apprend qu’il a été auteur de violences, on le vit donc comme si un de nos proches était un agresseur : on passe par un moment de sidération, d’effondrement qui peut entraîner des sentiments négatifs. C’est qu’a vécu Lucie*. Mais dans son cas, ces sentiments ont aussi été tournés vers elle-même.

« Kim Woojin, du groupe Stray Kids, a longtemps été un des “idols que je préférais. C’est celui dont je me sentais le plus proche, et sa voix m’a toujours réconfortée et touchée profondément. J’avais l’impression de le connaître un peu car je regardais régulièrement des vidéos du groupe en train de jouer, dans des émissions, en voyage, en concert etc. J’étais très attachée à cette personne.

Quand il a été accusé de violences, j’ai d’abord ressenti une grande déception, j’étais tellement déçue de cet homme que je trouvais gentil, attachant, alors que je ne le connaissais qu’à travers des vidéos sur les réseaux sociaux.

J’ai culpabilisé aussi, beaucoup, d’avoir supporté pendant si longtemps quelqu’un qui était en fait un agresseur sexuel, et peut-être un violeur. J’avais honte de moi, je me demandais “Qu’est ce que ça révèle de moi, le fait que j’ai été aussi fan de lui alors que c’est en fait une mauvaise personne ?” — je m’en voulais de pas l’avoir pressenti.

J’ai eu aussi l’impression de m’être faite mener en bateau, trahie par cette homme qui m’a “séduite”, réconfortée, émue avec sa voix, sa manière d’être…

Cela m’a fait réaliser qu’on ne connaît pas ces personnes, même si elles ont l’air sincères et authentiques. De manière générale j’ai l’impression d’être moins attachée et fan des autres idols qu’avant, car ce scandale m’a vraiment heurtée.

S’il est important de ne pas tourner ses émotions négatives vers soi et de ne pas culpabiliser pour ces faits qui ne sont pas les vôtres, la psychologue souligne toutefois que ces sentiments sont essentiels. En effet, ils font partie du travail nécessaire pour se reconstruire après un choc comme celui-ci. Coraline Delebarre rappelle qu’ils sont autant d’étapes du « deuil de son idéal » vécu par les fans dans ces moments.

« La déception, la trahison sont des sentiments qui vont créer de la colère, de la tristesse, du dégoût… C’est normal. Il faut se laisser du temps pour avancer et pour se réparer. 

Pour certaines personnes, il peut paraître difficile de s’autoriser à éprouver des émotions perçues socialement comme “négatives”. Mais il est parfaitement légitime de les ressentir, et il ne faut pas s’empêcher d’en parler. »

Ce que l’on attend des célébrités

La manière dont le public idéalise les personnes célèbres crée une attente. Si apprendre qu’elles peuvent être violents est aussi fort psychologiquement, c’est parce qu’on attend de ces inconnus les mêmes choses que des gens qui nous sont proches, tout en projetant sur eux nos fantasmes. Caroline* l’explique par la valeur d’exemple qu’ont les actes des stars.

« Je dirais qu’apprendre ces comportements violents de personnes que j’apprécie, connues ou non, me déçoit terriblement.

Ce qu’il y a de plus avec une personne connue, c’est que, selon moi, elle a une responsabilité supplémentaire : comme personne publique, j’attends d’elle qu’elle montre l’exemple. Je travaille avec des jeunes, et j’ai une conscience aiguë de la responsabilité d’exemple que j’ai envers elles et eux. Non pas que je sois parfaite, mais j’essaie de montrer une cohérence entre ce que je dis et ce que je fais….

J’attends la même cohérence de la part de personnes publiques, mais aussi des profs, et de toute personne ayant des responsabilités envers les jeunes. »

Dans son témoignage, Caroline* aborde aussi l’espoir qu’elle a de voir le monde changer.

« En dénonçant et condamnant tout acte de violence (physique ou psychique), en mettant la honte sur les auteurs de violences et non plus sur les victimes, et en écoutant et entendant vraiment les victimes, les mentalités vont changer petit à petit. »

Et il semblerait que Caroline ait raison — si aujourd’hui, nous pouvons vous poser cette question et avoir autant de réponses, c’est parce que le monde change ! Lors de notre interview, Coraline Delebarre l’explique : la manière dont on vit ces évènements dépend du contexte politique et social.

« Il y a quelques décennies, il n’y avait pas les réseaux sociaux, et il n’y avait pas encore de dynamique de libération de la parole des victimes. Beaucoup de fans vivaient avec une sorte de déni, une incapacité d’accepter la réalité des actes de leur idole. Aujourd’hui, le monde a profondément changé : on se doit d’écouter la parole des victimes, et d’agir en conséquence. »

Alors réjouissons-nous de cette libération de la parole, et gardons en tête les conseils de l’experte : quand on apprend qu’une personne qu’on admire est auteur de violences, l’important est de ne pas culpabiliser, et de se laisser le temps de se reconstruire.

À lire aussi : J’aime BTS, j’aime les fanfics, je suis une fangirl et j’aimerais qu’on arrête de se foutre de ma gueule

Témoignez sur Madmoizelle

Pour témoigner sur Madmoizelle, écrivez-nous à :
[email protected]
On a hâte de vous lire !


Ajoutez Madmoizelle à vos favoris sur Google News pour ne rater aucun de nos articles !

Les Commentaires

21
Avatar de ClemBouBou
18 février 2021 à 20h02
ClemBouBou
Ce que je vais dire ne concerne pas une personne mais un film. J’aime beaucoup Call Me By Your Name, je l’ai trouvé très beau, il m’a fait rêver et m’a transportée, bref voilà. Je ne l’ai pas revu depuis les accusations envers Armie Hammer mais je me dis qu’en le revisionnant, ça va sûrement me niquer mon plaisir vu que je ne distingue pas l’homme de l’artiste même s’il joue quelqu’un d’autre dans un film.
Et comme dit plus haut, je ne sais pas si moralement je devrais revoir ce film. C’est une vraie interrogation, je ne sais pas si je devrais (alors qu’il y a tant d’autres personnes qui ont travaillé sur ce film).
6
Voir les 21 commentaires

Plus de contenus Féminisme

Source : Getty Image / MARIA DUBOVA
Féminisme

Ève, 42 ans : « Quand il m’a demandé où était le nettoyant après six mois de vie commune, j’ai pleuré »

5
[Image de une] Horizontale (24)
Culture

3 raisons de découvrir Agatha, le nouveau thriller psychologique à lire de toute urgence

Woman at home suffering from menstrual pain. Menstrual cramps, woman warming the lower abdomen with a hot water bottle, endometriosis, and diseases causing pain.
Santé

Non les filles, ce n’est pas normal d’avoir mal quand on a ses règles !

© Charlotte Krebs
Féminisme

Mona Chollet : “Se sentir coupable ne mène vraiment à rien”

3
femme-no-vert
Amours

Les lassées de l’hétérosexualité témoignent : « Les relations avec les hommes se ressemblent toutes »

47
Source : Instagram @Emrata
Féminisme

Emily Ratajkowski victime de slut-shaming en pleine rue : un passant lui somme de « mettre une chemise »

serviette-hygienique-sang
Santé

Quand ton cycle menstruel fait aussi ses valises

timothy-meinberg-unsplash- plage
Féminisme

Même à la plage, le sexisme ne prend pas de vacances

2
Source : Brooke Lark / Unsplash
Travail

Faire face aux harceleurs de ma boite : mon histoire

14
Source : Sasha Freemind / Unsplash
Féminisme

« Je n’habite plus mon corps depuis que tu m’as forcée » : lettre à mon violeur

1

La société s'écrit au féminin