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Politique

Quelle place pour les Françaises musulmanes dans une campagne présidentielle où l’islamophobie est banalisée ?

Dans une campagne où certains candidats n’hésitent à faire des musulmans des boucs émissaires, une association comme Lallab, qui défend les intérêts et les droits des femmes musulmanes, peut-elle se positionner ? Doit-elle le faire ? Fatima Bent, sa présidente, fait le point sur la place de la lutte contre les discriminations islamophobes dans la campagne.

À l’approche du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, nous avons décidé d’interroger des associations et des militantes féministes peu entendues dans le cadre de la campagne.

Elles ont pourtant des critiques à émettre sur les cinq ans de mandature d’Emmanuel Macron, mais aussi plus globalement une analyse sur la façon dont les candidats et candidates décident ou non de s’emparer de certains sujets.

C’est d’ailleurs le visage d’Emmanuel Macron qui figure en couverture du rapport européen sur l’islamophobie en 2020 rendu public fin décembre 2021.

Un choix pour représenter la façon dont le président et son gouvernement seraient les artisans d’une « institutionnalisation » de l’islamophobie en France à travers une succession de mesures.

Créée en 2016, Lallab est une association féministe et antiraciste. Elle défend les droits et fait entendre les voix des femmes musulmanes, qui sont à la croisée de plusieurs oppressions : le sexisme, le racisme et l’islamophobie. 

« Chez Lallab, on souhaite ouvrir une nouvelle voie dans la défense des droits des femmes musulmanes », explique Fatima Bent, présidente de l’association.

« On souhaite créer une société où les femmes, au-delà des femmes musulmanes, peuvent être elles-mêmes sans peur d’être jugées, discriminées, violentées, quel que soit leurs identités, quel que soit leur choix de vie.

On œuvre à créer cet environnement, à mettre à disposition des ressources qui puissent accompagner des femmes musulmanes à construire par elles-mêmes leur propre voie d’émancipation. »

« On ne parle jamais des femmes musulmanes dans leur pluralité, on leur nie cette agentivité pour les enfermer dans un bloc homogène. »

Fatima Bent, présidente de Lallab

Ce besoin de se réapproprier ces histoires part évidemment d’un constat, celui d’une parole continuellement confisquée :

« Que ce soit dans le débat politique ou médiatique, il y a constamment une narration stéréotypée qui dépeint les femmes musulmanes comme des femmes soumises. On ne parle jamais des femmes musulmanes dans leur pluralité, on leur nie cette agentivité pour les enfermer dans un bloc homogène. “La” femme musulmane n’existe pas, la “bonne” femme musulmane n’existe pas. »

Chez Lallab, on insiste sur ce pluriel pour parler des parcours et des réalités différentes « qu’il ne faut pas opposer les unes aux autres », trop peu reconnues aujourd’hui.

Un quinquennat qui a entretenu l’islamophobie

Structure associative récente, Lallab a émergé seulement un an avant l’élection d’Emmanuel Macron. Quel regard porte-t-elle sur cette mandature ? « Le discours sur les femmes musulmanes, ça fait des années qu’il existe », tient à rappeler Fatima Bent.

« Il y a une histoire coloniale dont il est issu, ce n’est pas nouveau avec Macron, et ça ne s’est pas amélioré sous sa présidence. Ce gouvernement n’a fait qu’empirer des réalités qu’on vivait déjà et alimenter des discours politiques qui étaient déjà très stigmatisants auparavant envers la communauté musulmane. »

Un quinquennat émaillé par des polémiques à répétition, des lois qui ciblent à demi-mots la communauté musulmane sous couvert de laïcité ou de lutte contre le séparatisme. Lallab a tenu à y réagir aussi souvent que possible, mais à quel prix ?

« C’est consternant d’écrire constamment des tribunes et de devoir nous positionner face à une polémique sur un foulard, sur le hijab Decathlon, sur l’interdiction des mères accompagnatrices qui portent le foulard, sur toutes ces polémiques. » 

En mars dernier, le Sénat vote deux amendements, concernant l’interdiction des signes religieux chez les parents qui accompagnent les sorties scolaires. Un autre amendement est aussi voté, concernant l’interdiction du port du burkini dans les piscines municipales.

Au final, ces mesures sont rejetées et ne seront pas dans la version finale du texte. Reste que ces tentatives sont autant de manifestations d’islamophobie décomplexée qui soufflent sur les braises, dans un climat où une polémique autour du maillot de bain couvrant ou de la nourriture halal n’est jamais loin…

« Quand les caméras sont éteintes, ce sont les femmes musulmanes qui subissent des violences, à l’emploi, dans le monde professionnel, qui subissent des discriminations pour accéder à des espaces de loisirs. »

Fatima Bent, présidente de Lallab

Des polémiques régulières, banalisées, qui libèrent la parole islamophobe et renforce la stigmatisation à l’encontre des femmes musulmanes, estime Fatima Bent.

« On reçoit des témoignages, on l’a vu dans notre collectif : les femmes musulmanes sont exclues du marché de l’emploi, exclues de postes qu’elles souhaitent occuper, obligées de trouver des stratégies, comme choisir l’autoentrepreunariat ou aller dans des environnements qui ne sont pas leur formation de base.

Elles ont des bâtons dans les roues et c’est envenimé par des débats, par des médias. Le gouvernement Macron a favorisé un terreau islamophobe, avec la loi séparatisme qui est une menace pour nos libertés fondamentales, pour nos droits fondamentaux. »

Les controverses et les outrances racistes sont peut-être limitées à certaines plateaux télés, mais leurs conséquences dans le quotidien sont réelles.

« La normalisation du discours islamophobe dans le débat médiatique, c’est un danger pour nos libertés, pour nos vies. Quand les caméras sont éteintes, ce sont les femmes musulmanes qui subissent des violences, à l’emploi, dans le monde professionnel, qui subissent des discriminations pour accéder à des espaces de loisirs. »

Lallab, présente dans la campagne présidentielle 2022 ?

Face à ce climat violent pour la communauté musulmane, quelle marge d’actions pour une association comme Lallab ? Et surtout quelle volonté pour s’imposer dans une campagne présidentielle parasitée par le racisme et la xénophobie ? L’association a fait des choix et les assume : 

« Chez Lallab, on a très vite compris que les débats et les polémiques ont pour objectif de ralentir notre propre agenda politique » constate Fatima Bent en reprenant la célèbre maxime de l’autrice Toni Morrison sur le racisme  : 

« La fonction, la très sérieuse fonction du racisme, est la distraction. Il vous empêche de faire votre travail. Il vous pousse à expliquer, encore et toujours, votre raison d’être.

Quelqu’un dit que vous n’avez pas de langue, alors vous passez 20 ans à prouver que vous en avez. […] Quelqu’un dit que vous n’avez pas de royaumes, alors vous ressortez tout cela. Rien de tout cela n’est nécessaire. Ils auront toujours à redire. »

Lallab veut donc avant tout construire son « propre agenda politique et féministe » et non devoir se positionner constamment  en réponse aux attaques contre la communauté musulmane. Construire des outils, des moyens d’autodéfense, des éléments juridiques, des formations, accompagner avec l’émancipation des femmes musulmanes. 

« On veut être au centre de nos réalités, ce n’est pas le gouvernement qui va nous aider, ce n’est pas l’état qui va nous donner des moyens, il nous met plus des bâtons dans les roues qu’autre chose. C’est à nous de créer cette société. »

Difficile aussi de chercher à peser dans la campagne quand les outrances racistes sont à ce point banalisées, où un candidat évoque la possibilité d’imposer des prénoms français.

« Depuis des années, on voit que les partis politiques sont très frileux sur la question islamophobe. À Lallab, on est apartisanes, on n’est pas affiliés à un parti politique, ça fait aussi notre force, on est indépendantes. » 

Sans rechigner à enrichir le débat, Lallab préfère garder ses distances avec la sphère politique et se concentrer sur sa communauté. Un choix qui reste politique, pour Fatima Bent :

« La politique n’a pas qu’une seule définition, elle a d’autres formes que l’affiliation à un parti, ça passe par la construction d’un pouvoir collectif, par l’auto-organisation des principaux concernés.

On parle constamment des femmes musulmanes mais sans nous donner la parole, on a conscience de ce système politique et médiatique qui nous exclut totalement, alors on crée nos propres médias, nos vidéos, nos propres narrations, nos événements, on essaye de bousculer les mentalités, d’avoir un discours indépendant sans attendre une validation d’un parti ou d’être récupérée par un agenda politique qui ne serait pas adéquation avec le notre. »

Lallab dénonce une « normalisation du discours islamophobe raciste et sexiste » — en prenant garde à ne pas citer les noms qui incarnent cette tendance. La présidente de l’association conclut :

« Quand on touche aux droits des femmes musulmanes, on touche aux droits de toutes les femmes, on touche aux droits des personnes minorisées, on touche potentiellement aux droits de tout le monde. »

La solidarité féministe se fait-elle attendre ?

Se réclamer féministe ET musulmane peut être encore perçu comme une anomalie en France, comme une contradiction. Dire que l’on choisit de porter le voile est aussi regardé avec suspicion, y compris dans certains milieux féministes.

Lors de la première marche contre les violences sexistes et sexuelles organisée par Nous Toutes en 2018, Lallab et quelques autres associations, dont le Strass, avaient trusté la tête du cortège en clamant : « Nous aussi ». Une façon aussi de prendre la place au sein d’un mouvement féministe où les intérêts des femmes racisées ne sont pas toujours prioritaires…

À lire aussi : #PasToucheAMonHijab : trois étudiantes veulent en finir avec l’obsession du voile en France

Crédit photo : Lallab (capture Youtube)


Les Commentaires

5
Avatar de soshishi
9 février 2022 à 13h02
soshishi
Merci beaucoup pour cet article!!
Je trouve que tout est dit ici :
« La fonction, la très sérieuse fonction du racisme, est la distraction. Il vous empêche de faire votre travail. Il vous pousse à expliquer, encore et toujours, votre raison d’être."
C'est tellement vrai et je le vois tous les jours pour toutes les formes de racisme. On relaie des horreurs pour les démonter certes, mais on les relaie et on contredit. On fact-check des propos de polémistes, on argumente etc... ça coûte en énergie et en temps, et ça impact psychologiquement car il faut lire des horreurs pour ensuite les contredire.
En tant que femme musulmane, j'ai mute pas mal de choses sur les réseaux et je n'écoute plus la radio pour ne pas subir chaque jour, pour ma santé mentale.
Je trouve les femmes de Lallab extrêmement fortes, et je pense que les allié.e.s des femmes musulmanes doivent encore plus s'exprimer car iels peuvent éviter toute la partie du débat consistant à nous renvoyer à nos origines/religions pour délégitimer nos propos.
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