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Dans les maternités, la lente évolution de la place du coparent

Dans les années 1950, les pères n’étaient pas admis en salle de naissance ni en suite de couches. Aujourd’hui, les coparents prennent une part de plus en plus importante dans le processus d’accouchement et les premiers jours avec bébé. Comment ce rôle s’est-il modifié ces 70 dernières années ?

Celui qui s’évanouit, celui qui joue sur son smartphone ou qui s’endort, celui qui fait les cent pas dans le couloir, ou encore celui qui a la gâchette facile sur le brumisateur. En fonction des époques, différentes images nous viennent quand on pense à la place du coparent en salle de naissance. Mais comment leur rôle a-t-il évolué depuis la généralisation des accouchements à l’hôpital ?

Une place inexistante dans les années 1950

Quand on imagine un père à la maternité il y a 40 ou 50 ans, on revoit cette scène de la série This is us, avec des hommes qui regardent à travers une vitre les bébés en pouponnière, en fumant, et en se congratulant, « lequel est le vôtre ? ».

En réalité, pour comprendre l’évolution du rôle de coparent à la maternité il faut remonter encore un peu plus loin, au début des années 1950, quand le nombre d’accouchements à l’hôpital a dépassé celui des accouchements à la maison, en France. La place des pères est alors inexistante, on ne voit pas ce qu’ils pourraient apporter à la parturiente.

Pour Marie-Hélène Lahaye, juriste et autrice du livre Accouchement : les femmes méritent mieux, leur rôle se cantonne à :

« Conduire madame à l’hôpital, puis attendre dans le couloir. C’est en contradiction avec ce qu’il se passait lorsque les femmes accouchaient à la maison, contrairement à ce que l’on peut penser, ils participaient et soutenaient leur femme. »

Marie-France Morel, historienne de la naissance, et autrice de nombreux ouvrages dont Accompagner l’accouchement, d’hier à aujourd’hui. La main ou l’outil, confirme ce fait.

« À la maison, les pères étaient sollicités pour aller chercher la sage-femme ou le médecin, pour faire chauffer de l’eau ou s’occuper d’autres détails matériels, ils pouvaient être très présents, même si l’accouchement restait un monde de femmes. »

À la maternité, on craint que le père ne soit porteur de microbes. Les épidémies de fièvre puerpérale qui ont décimé les femmes accouchant à l’hôpital, pendant des générations, ont laissé une peur vive jusque dans les années 1960. Puisque le père n’a pas de rôle pendant un accouchement, et qu’il peut être une menace sanitaire, on le relègue donc à la porte de la salle de naissance.

Le tournant des années 1960-1970

Le personnel médical commence vaguement à tolérer les pères en salle de naissance dans les années 1960, sans les encourager pour autant à prendre un rôle de soutien. Ils ont du mal à trouver leur place, les soignants ne cachent pas que ce sont des éléments gênants.

Certaines personnes font de cette situation un combat. Marie-Hélène Lahaye raconte :

« aux États-Unis des couples sont allés jusqu’à se menotter l’un à l’autre pour être certains de ne pas être séparés pendant l’accouchement et après ».

En parallèle, en France, à partir de 1952, la méthode Lamaze venue d’URSS est plébiscitée dans les milieux ouvriers militants.

« Ce mouvement de l’accouchement sans douleur repose sur une préparation, à laquelle les pères sont conviés, pour pouvoir accompagner leurs femmes lors de l’accouchement. C’est très novateur ! » explique Marie-France Morel.

La méthode Lamaze finit même par être approuvée par le pape Pie XII en 1956, ce qui lui permet d’entrer dans le programme de nombreuses maternités. Jusqu’à la fin des années 1970, il devient admis que le père puisse assister à l’accouchement, tenir la main de sa femme et l’encourager à faire la « respiration du petit chien ».

En 1974, sort le livre Pour une naissance sans violence du gynécologue-obstétricien Frédérick Leboyer. Il propose une nouvelle manière d’accueillir un enfant à sa naissance : lumières tamisées, niveau sonore bas, attendre pour faire les premiers soins, mettre l’enfant en contact avec sa mère, et lui donner un bain en salle de naissance pour l’apaiser. Cette méthode rencontre un grand succès, et le rôle de baigneur est donné aux pères. Le bain de naissance disparaîtra quelques années plus tard pour laisser place au peau à peau entre la mère et l’enfant, et à la tétée d’accueil.

Une autre tâche est bien vite attribuée aux pères : celle de couper le cordon ombilical. « C’était un incontournable pour les pères, il y avait une telle pression qu’ils n’osaient pas refuser, même quand c’était insupportable pour eux » raconte Marie-France Morel. Pour Marie-Hélène Lahaye, « Il n’y a rien de psychanalytique ou de freudien à voir là-dedans, ce n’était à la base qu’un geste anodin pour donner une tâche aux pères à la naissance. »

Dans les années 1970, le psychiatre Bernard This y voyait pourtant là un acte nécessaire pour séparer l’enfant de sa mère, et que leur fusion ne soit pas trop forte. Mais vingt ans plus tard, il change son fusil d’épaule : couper le cordon ne sépare le bébé que du placenta, pas de la mère.

L’accélération, des années 1980 aux années 2000

Si leur présence en salle de naissance était désormais acquise, il a fallu du temps pour que les pères y soient vraiment actifs, et pour qu’ils puissent s’occuper de leur enfant pendant le séjour à la maternité.

« Dans les années 1990, la situation s’inverse, les hommes ne souhaitant pas assister à l’accouchement de leur compagne sont considérés comme de mauvais maris » se souvient Marie-France Morel.

Le congé de paternité n’est apparu en France qu’en 2002, les pères n’avaient auparavant droit qu’à trois jours de congés, afin de s’absenter de leur travail et d’être présents à la naissance de leurs enfants. C’est à cette période que des pères commencent à s’informer et à se former pour accompagner l’accouchement, par exemple via l’haptonomie ou la méthode Bonapace.

Quid du séjour en suites de couches ? Dans une étude menée en 2006, le chercheur du CNRS Gérôme Truc s’étonne d’une place encore incertaine pour les pères. Ils étaient considérés, dans beaucoup de maternités, comme des visiteurs lambdas, qui ne pouvaient venir voir leur femme et leur enfant que quelques heures dans l’après-midi.

On commençait à les solliciter davantage sur les démarches administratives ou les soins donnés au nouveau-né, pour « aider la mère », mais leur rôle principal était de venir chercher maman et bébé le jour de la sortie.

Crédit : Jonathan Borba / Pexels
Crédit : Jonathan Borba / Pexels

Une lente évolution vers une situation idéale

En 2022, où en est-on ? Les coparents ont, aujourd’hui, encore le sentiment de devoir se faire accepter pleinement. On les fait sortir pour la pose de la péridurale ou certaines césariennes, ils ne sont encore que rarement acceptés la nuit, ils restent donc des parents secondaires, plus ou moins gênants pour le personnel médical.

Marie-Hélène Lahaye dénonce également une instrumentalisation des hommes, par le pouvoir médical, afin de contrôler les femmes. Ils se font, par exemple, parfois le relais de l’équipe en interdisant à leur compagne de boire, « ils agissent alors en tant que bras armé des soignants, contre leur femme ».

Sur la mise à l’écart des hommes pendant la pose de la péridurale ou la césarienne, Marie-Hélène Lahaye n’y voit aucune légitimité.

« Ce sont justement des moments stressants où la femme qui accouche a besoin de soutien, et se retrouve seule. C’est la toute-puissance médicale, en l’absence du père, mais aussi d’une doula ou d’une meilleure amie qui ne sont pas tolérées en salle de naissance. Il n’y a ainsi pas de contestation, et pas besoin de justifier certains actes. »

Marie-France Morel avance une autre raison, « c’est aussi pour éviter aux pères de tomber dans les pommes », mais elle rappelle qu’ils ont également joué un rôle dans la démocratisation de la péridurale à partir des années 1980, « c’était une demande des parturientes, des soignants, mais aussi des pères, pour qui il est souvent difficile de voir souffrir leurs femmes ».

Heureusement, les choses continuent de changer doucement. Plusieurs maternités françaises sont aujourd’hui équipées d’une ou deux chambres familiales, avec des lits doubles, où les couples peuvent rester ensemble, dans des conditions de confort dignes. On retrouve ce type de chambres notamment à Grenoble, Fourmies (Hauts-de-France), Limoges, Toulouse, ou encore Lyon Ecully.

Les maisons de naissance, elles, ont bien sûr une longueur d’avance sur ce sujet depuis un moment ! « Le rôle des pères a vraiment été réhabilité et valorisé en maison de naissance ou en accouchement à domicile, ils font équipe avec la sage-femme pour entourer la mère » relate Marie-France Morel. Même en maternité il n’est pas rare de croiser « un père vidéaste, un père masseur, un père chanteur » s’amuse l’historienne. Chacun coache et soutient à sa manière.

Mais le Covid a montré que la situation reste fragile.

« On a essayé d’éjecter les coparents de la salle de naissance, et du séjour en suites de couches, sur un prétexte sanitaire. Certains doivent user de stratégies, et se cacher dans la salle de bains, afin de pouvoir rester la nuit. On veut se débarrasser d’eux, les maternités ne sont pas pensées pour donner un rôle aux coparents. » déplore Marie-Hélène Lahaye.

Pour la juriste, il est urgent de reconsidérer l’accouchement non plus comme un acte médical, mais comme un acte physiologique.

« Les femmes devraient pouvoir accoucher où elles veulent, avec qui elles veulent. Je vais même plus loin, en accouchant en maternité on devrait pouvoir mener la totalité de son travail dans sa chambre, sans avoir besoin d’aller en salle de naissance, sauf si une raison médicale le justifie. Il faut repenser l’organisation des maternités, comparablement à ce qu’il se passe réellement lors d’un accouchement. »

Mieux respecter les mères qui accouchent et la physiologie des accouchements serait donc la clé pour également réhabiliter le rôle de soutien du coparent ? C’est probable, mais cela passera, inévitablement, par allouer davantage de moyens financiers aux maternités.

Crédit photo image de une :  Jonathan Borba / Pexels

À lire aussi : Depuis quand « être une bonne mère » veut dire « se sacrifier » ?


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Les Commentaires

14
Avatar de Jonkille
1 octobre 2022 à 10h10
Jonkille
Ce sujet est dédié aux réactions concernant cet article :
Dans les maternités, la lente évolution de la place du coparent
Pas de panique pour ça il y a généralement une étudiante et l’infirmière anesthésiste pour la pose de la péridurale on est bien entouré si le la conjoint.e ne c’est pas sentie de rester ! Mais dans la maternité où j’ai accoucher ils ont demander se qu’on préférait. Pour la césarienne il me semble que ça dépend de l’urgence et de l’anesthésie. Mon mari a pu être avec moi alors qu’un ami a attendu dans le couloir car c’était une anesthésie générale.
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